Au Mali, le centre Kanuya recueille les enfants soldats

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Depuis 1992, plus de 13 000 victimes de guerre, enrôlées par les groupes armés ou abandonnées par leur famille, ont été prises en charge à Bamako.

Fil en coton et aiguille à la main, Salamata* apprend à coudre. « Je suis en train de faire un napperon », explique-t-elle en levant la tête, face à sa formatrice. En 2018, cette adolescente ivoirienne de 16 ans était bien loin des cours de couture, de l’hébergement et du soutien psychologique que lui fournit aujourd’hui le centre Kanuya à Bamako. Un lieu qui, depuis 1992, a accueilli plus de 13 000 enfants de la rue et victimes des guerres qui ont secoué la sous-région.

En 2018, Salamata pensait réussir à emprunter le même parcours que certains de ses camarades avaient testé plus tôt. « L’aventure », comme disent les jeunes ouest-africains pour qualifier leur migration vers l’Europe. Pour Salamata, sa destination finale était la France. Mais la guerre, qui persiste au nord du Mali depuis 2012, et ce malgré l’accord de paix d’Alger signé en 2015, a mis un terme aux espoirs de vie meilleure de la jeune fille. Embarquée dans un camion avec quatre autres jeunes ivoiriens par un passeur, elle se fait enlever. Elle restera captive pendant plusieurs semaines.

« J’ai vu des viols et des morts »

« Des hommes armés, aux visages masqués, nous ont enfermés dans une prison. Il y avait plus de vingt personnes : des migrants, des jeunes et des enfants. (…) Je les ai vus forcer des prisonniers à s’entraîner, à tirer avec des armes. (…) Ils ont aussi fait du mal aux filles. J’ai vu des viols et des morts. Moi, j’ai eu de la chance », raconte-elle.

Depuis sa fuite au printemps, elle est prise en charge au centre Kanuya : hébergement, nourriture, formations agropastorales, cours de français et d’arabe et, surtout, soutien psychologique. Ce centre est le seul de la capitale malienne à accueillir d’anciens enfants soldats, ayant combattu au sein des groupes armés du nord et du centre du Mali. Il fonctionne en grande partie grâce au soutien de l’Unicef et de ses partenaires qui, depuis le début de l’année, ont pris en charge 250 enfants, à Kanuya et dans trois autres lieux d’accueil, au Mali.

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Malgré l’accord de paix de 2015, les groupes armés du nord du pays continuent à recruter des mineurs. En 2018, l’ONU a pu confirmer le recrutement et l‘utilisation de 109 garçons et de 5 filles. Les trois quarts de leurs recruteurs appartiennent aux coalitions qui ont signé le texte : la Plateforme et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). Pour ces enfants soldats du Mali, la situation semble se dégrader au fil du temps. Selon les Nations unies, ils étaient deux fois moins nombreux à avoir été enrôlés dans ces groupes en 2017.

Mohamed*, 20 ans, a failli faire partie de ces enfants soldats. En 2012, lorsque les anciens rebelles déclarent l’indépendance du nord du Mali et prennent la ville de Gao, l’adolescent n’a que 14 ans et boit quotidiennement son thé avec ses amis dans un garage, en attendant qu’une opportunité économique se présente. « Ils m’ont proposé de les rejoindre. Chaque jour, ils donnaient de l’essence et de l’argent aux jeunes de Gao pour les convaincre. Moi, j’ai refusé. Je me suis dit qu’il fallait que je parte chercher de l’argent par mes propres moyens », explique l’adolescent, sur le toit du centre Kanuya.

« Ils ont égorgé le convoyeur devant mes yeux »

Pour fuir le chômage et la guerre, il décide alors de quitter sa famille et d’embarquer avec un convoyeur de camion en tant qu’apprenti. Comme Salamata, Mohamed se retrouvera prisonnier. Cette fois-ci au centre du Mali, enlevé par les hommes du terroriste Amadou Koufa, chef de la katiba Macina, associée au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM).

« Je faisais un convoyage entre Nouakchott [la capitale de la Mauritanie] et Léré [au nord du Mali]. Notre véhicule est tombé en panne et des hommes armés nous ont attaqués. Ils ont égorgé le convoyeur devant mes yeux. Moi, ils m’ont pris avec eux, pour faire de la mécanique. Ils m’ont mis une bâche noire sur la tête et je suis resté six ou sept mois avec les hommes de Koufa, prisonnier dans une forêt », précise Mohamed.

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Comme Salamata, Mohamed a réussi à fuir, profitant de l’absence des terroristes partis combattre dans la zone. Après trois jours de marche et de transports en commun, il rejoint Gao, où il retrouve sa mère, qui le pensait mort. A la radio, ils entendent parler du centre Kanuya. Mohamed y passera six mois avant de retourner habiter chez son oncle. « Je suis tellement content aujourd’hui… Parce que je suis en vie », sourit l’adolescent, qui se félicite d’avoir pu passer son permis de conduire, grâce à l’appui du centre d’accueil.

Bernadette Soucko, directrice du centre Kanuya de Bamako, en août 2019. Morgane Le Cam

Habituée à recevoir les enfants soldats et les victimes de guerre depuis les premiers arrivés à Kanuya, issus des guerres civiles libériennes et sierra-léonaises dans les années 1990, Bernadette Soucko, sa directrice, n’en demeure pas moins inquiète pour l’avenir des enfants résidant aujourd’hui au centre du Mali, une zone où l’insécurité ne cesse de se propager.

« Nous n’avons jamais connu une telle situation dans notre pays. Les groupes armés se multiplient et, en général, ce sont les enfants et les jeunes qu’ils recrutent. Actuellement, presque tous les enfants victimes de guerre que nous avons viennent du centre du Mali », explique-t-elle, avant d’aller vérifier en cuisine la préparation des repas de ses 74 petits pensionnaires.

« Tout ça, c’est à cause du chômage »

A l’étage du centre, Kassim Satara, le psychologue, sort d’une armoire les dessins croqués par les enfants. Sur certains d’entre eux, des kalachnikovs et autres armes de guerre, du sang, des bras coupés et des véhicules militaires remplissent les pages blanches. « Le dessin est l’outil qui nous permet de comprendre et d’aider les enfants. Ce qu’ils n’arrivent pas à nous dire, ils le mettent sur la feuille. On appelle cela de la projection », détaille-t-il en feuilletant les dessins. Car lorsqu’ils arrivent au centre Kanuya, les enfants cachent leur traumatisme derrière le silence et le repli sur soi.

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Certains ne resteront au centre que quelques mois, d’autres plus de dix ans. Le temps nécessaire pour se reconstruire et tenter de reprendre leur enfance et l’école, loin des armes et des morts. Salamata, qui dit regretter son départ en « aventure », contrariée par cette guerre malienne dont elle ne connaissait rien, a déposé ses papiers auprès de l’ambassade ivoirienne du Mali et espère rentrer bientôt chez elle pour reprendre l’école et retrouver sa mère. Mohamed, lui, est toujours à la recherche d’un travail. Cela fait aussi plus de six ans qu’il est sans nouvelles de son cousin, enrôlé par un ancien groupe rebelle du nord du Mali au moment où, lui, avait refusé de le rejoindre.

« Aujourd’hui, je ne sais toujours pas s’il est mort ou vivant », désespère l’adolescent, avant de revenir sur ce qu’il considère être la cause principale de son enrôlement, comme de celui des autres enfants et adolescents au Mali : « Tout ça, c’est à cause du chômage. Il n’y a pas de boulot, c’est pour cela que les jeunes rentrent dans ces groupes armés. C’est l’argent qu’on leur propose qui les trompe. »

*Les prénoms ont été changés.

Source: https://www.lemonde.fr

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