L’assassinat de Mouammar El Kadhafi constitue un crime de guerre, une violation du droit international et un signal à tous ceux qui refusent la domination et l’exploitation néocoloniales. Jamais le monde n’aura connu un tel lynchage médiatique contre un homme d’Etat, poursuivi, traqué, puis assassiné de manière odieuse au mépris de toutes les règles du Droit international.
Plusieurs versions soutiennent que le jeudi 20 octobre 2011, aux environs de 13H30 minutes GMT, un convoi de voitures tente de quitter Syrte assiégée et bloquée par les rebelles du CNT, appuyé par l’aviation de l’OTAN. Celle-ci, sans doute informée de la présence de Mouammar El Kadhafi, entreprend une série de raids à l’aide de missiles dont un l’atteindra, ainsi que plusieurs membres de sa suite dont son fils Khamis. Blessé, le Guide de la Révolution libyenne aurait ensuite été fait prisonnier par la Brigade Tigre de la tribu des Mistrata, avant d’être lynché froidement. Son corps a été acheminé dans la ville éponyme des Mistrata comme un trophée dans une scène macabre soigneusement retransmise pas les médias occidentaux. On voit le corps de l’ancien dirigeant exposé dans une chambre froide du marché de la ville et autour duquel se déroulent de longues scènes d’hystérie collective de combattants et de civils criant à la victoire.
Cet assassinat odieux, qui n’est pas le premier dans l’histoire moderne, marque inéluctablement l’avènement d’un nouvel ordre mondial fondé sur la barbarie et le règne de la loi de la jungle. La Résolution 1973 qui a servi de base pour légitimer l’action de l’OTAN en Libye, en constitue la parfaite illustration. Présentée par la France avec l’appui de la Grande-Bretagne, Cette Résolution appelait «la Communauté internationale à interdire tout vol dans l’espace aérien libyen et à tout mettre en œuvre pour protéger la population civile et faire cesser les hostilités». Un texte vague et imprécis qui a donné carte blanche aux forces de la Coalition pour mettre en œuvre la destruction programmée de la Libye et le pillage organisé de ses immenses ressources financières et pétrolières. Non seulement la Résolution 1973 est un obstacle à la gouvernance pacifique, démocratique et plurielle du monde, mais aussi elle constitue une violation flagrante des principes sacro-saints de la souveraineté des Etats et de la non-ingérence dans leurs affaires intérieures. En outre, cette Résolution normalise un peu plus encore la politique de deux poids et deux mesures qui caractérise, de plus en plus ouvertement, l’action de l’ONU dans le règlement des conflits qui surgissent dans le monde et inaugure un dangereux précédent. Basée sur le postulat rhétorique que «le régime de Mouammar El Kadhafi exercerait une répression criminelle contre le peuple libyen et les populations civiles éprises de paix», la Résolution 1973 était biaisée et marquait un glissement subtil du Droit international vers un «interventionnisme humanitaire» qui cachait mal les intentions réelles de ses commanditaires.
Le Gouvernement libyen, au moyen de l’armée régulière, ne visait en aucun cas à massacrer des civiles, mais à réprimer une rébellion armée qui tente de renverser par la force l’ordre établi dans un contexte d’affrontement entre tributs minoritaires du Nord-est du pays (Benghazi) et tributs majoritaires qui soutiennent Mouammar El Kadhafi. Il ne s’agissait pas d’un «dictateur massacrant son peuple désarmé», cette rengaine tapageusement utilisée pour jouer sur la fibre émotionnelle des opinions européennes remontées contre les atteintes aux droits de l’homme, mais du Guide qui combattait des troupes rebelles minoritaires qui semaient le trouble dans le pays et ce, en parfait accord avec le Droit international qui fonde la légitimité de tout Gouvernement à exercer souverainement l’autorité sur son territoire à l’intérieur de ses frontières.
Qui plus est, la légitimité d’un Gouvernement, selon le Droit international ne repose pas sur un critère démocratique. Une intervention militaire de l’OTAN à l’encontre de l’armée régulière libyenne revenait à soutenir ouvertement une rébellion armée qui tente de renverser un Gouvernement légalement établi. C’est pour cette raison que plusieurs pays, dès l’ouverture des débats au sein du Conseil de Sécurité, se sont abstenus ou ont refusé d’avaliser la Résolution. Le développement de la situation sur le terrain leur a donné raison : la Résolution a été dévoyée par les pays de l’OTAN dont la France, qui ont parachuté des armes aux rebelles, infiltré et armé des tribus afin de se soulever contre le régime de Mouammar Kadhafi, et planifié l’assassinat ciblé du Guide. Ce qui n’a suscité aucune indignation particulière chez les bonnes âmes démocratiques de l’Occident connues pour leur extrême hypocrisie et leur double morale.
Curieusement, au moment où se déroulaient les évènements en Libye et la bataille diplomatique qui s’en est suivi au Conseil de Sécurité, des évènements semblables, connus sous le nom du «printemps arabe» ont eu lieu au Bahreïn. On s’interrogeait sur l’attitude des puissances signataires de la Ligue arabe notamment l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Emirats Arabes-unis qui ont soutenu vigoureusement la Résolution 1973 et proposé une intervention armée en Libye, alors que, dans le même temps, au Bahreïn, pays frontalier direct du Qatar et des Emirats Arabes Unis, des manifestants civils non armés sont massacrés, avec l’appui de l’armée saoudienne envoyée à la rescousse ! Comment la France qui a été si prompte à la tête du front anti-kadhafiste et qui a cherché à se racheter de sa passivité dans les évènements en Tunisie et en Egypte pouvait-elle ignorée cette répression sanglante ? Pourquoi les Etats-Unis qui disposent d’importantes bases militaires dans cette région du Golfe n’ont-ils pas protégé les populations civiles bahreïnies qui aspirent à la démocratie comme les Libyens pour lesquels ils ont manifesté tant d’effusions humanistes et actionné la Cour pénale ? Pourquoi se sont-ils montrés impuissants sur la Syrie dont le régime a été accablé pour des atrocités qui restent à établir ? D’ailleurs, il est établi qu’en Syrie, ce sont des rebelles armés qui attaquent le pouvoir dans le but de déstabiliser les institutions et provoquer un chaos généralisé au lieu de rechercher un règlement pacifique basé sur un dialogue inclusif tel que souhaité par le pouvoir en place. Voilà la politique de deux poids deux mesures qui a occasionné tant de destructions en Libye, tant de morts et qui a consacré la mainmise complète et totale des multinationales pétrolières, bancaires occidentales sur les immenses richesses de ce pays.
Une page d’incertitude s’ouvre en Libye et dans toute l’Afrique
Le scenario post-Kadhafi est déjà en route. Cependant, il pourrait être une erreur de casting : son élimination physique en tant que Chef d’Etat en exercice, poursuivi obstinément par l’OTAN, contrairement aux règles du Droit international, pourrait déboucher à terme sur un éclatement des alliances tribales et claniques comme en Somalie. La Libye est un conglomérat de plus de 150 tribus divisées en sous-tribus et en clans. Ces ensembles ont des alliances traditionnelles et mouvantes au sein des trois régions qui composent le pays : la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Fezzan. Dès sa prise de pouvoir en 1969, Mouammar El Kadhafi a mené une politique subtile de bascule entre les différentes composantes tribales pour maintenir un équilibre dans la gestion du pouvoir et renforcer le rôle de l’Etat, facteur de stabilité interne et de maintien de l’unité nationale. Cette politique, soutenue par une juste redistribution de la richesse nationale tirée des rentes pétrolières, s’est heurtée souvent à des velléités sécessionnistes de certaines tribus auxquelles l’armée donnait des réponses souvent très musclées.
C’est en 1993 qu’est intervenu le délitement tribal du système Kadhafi dans lequel dominaient deux principales tribus, à savoir, les Warfallah de la Cyrénaïque et les Meghara de la Tripolitaine. En effet, un Coup d’Etat militaire fomenté par les Warfallah fut durement réprimé par le régime qui procéda à une purge au sein de la hiérarchie de l’armée et de l’Etat et qui a abouti à la disgrâce de l’ancien numéro 2 du régime, le Colonel Abdel Salam Jalloud appartenant à la tribu des Khadîdja. Dès lors, le pays entrera dans une longue instabilité alimentée par une montée de l’islamisme radicale et une ingérence des puissances occidentales qui organiseront plusieurs coups d’Etat et complots pour renverser le régime. Kadhafi tentera de les enrayer par des mesures politiques et institutionnelles inspirées de la démocratie directe, mais aussi par de larges concessions aux puissances capitalistes qui l’avaient mis sous embargo pendant de nombreuses années. Cette politique connaîtra des fissures et certains proches du Guide ont profité de l’état de faiblesse du système pour préparer son renversement avec la bénédiction pleine et entière des pays occidentaux.
Le danger, c’est de voir apparaître des divergences au sein des factions de la rébellion avec des risques majeurs de guerres tribales et claniques qui occasionneront un éclatement du pays en plusieurs régions ouvrant la voie aux combattants d’AQMI qui vont profiter du chaos pour étendre leur sphère d’influence dans toute la région sahélo-saharienne. S’y ajoutent la dissidence Toubou au Tchad, les initiatives des Touaregs installés en Libye auxquelles s’adosserait l’irrédentisme touareg du Niger et du Mali.
L’assassinat du Colonel Mouammar El Kadhafi par les forces de l’OTAN ouvre une page d’incertitude en Libye, mais aussi dans toute l’Afrique au sud du Sahara. Dans un contexte mondial où les Nations-Unies, institution pourtant censée apporter la paix et la stabilité dans le monde, sont instrumentalisées par les puissances occidentales, il faut craindre la multiplication d’autres exemples de la Libye. Une éventualité plus que probable, malheureusement.
Nouhoum KEÏTA du parti Sadi