La fermeture de l’Huicoma, jugée “douloureuse” par les anciens de l’usine, a contraint beaucoup de ses travailleurs à se reconvertir en exploitants de sables et graviers, ce malgré eux-mêmes.
A Koulikoro, le mur extérieur détruit de l’Huicoma et invisible, caché par des tôles et quelques bâtons en bois. Cependant, ce dispositif de sécurité ne met pas à l’abri la fabrique des nombreux regards sérieux. Les passants peuvent voir, de l’extérieur, l’état de dégradation de certaines installations.
Rien d’anormal pour ces deux chèvres. Elles sont couchées à l’ombre de l’une des mini citernes de l’usine abandonnée à quelques mètres de l’infrastructure. Ces animaux y ont pris refuge en attendant le coucher du soleil.
Plus de douze ans après sa privation en 2005, les milliers de travailleurs de l’huilerie cotonnière du Mali essayent tant bien que mal de se trouver un moyen de survie. La fermeture a été moins douloureuse pour quelques cadres partant à la retraite.
Au Plateau I, l’un des quartiers de la ville, Moussa Mory Traoré vit ses années de retraite. L’ancien chef de division entretien général de l’Huicoma a passé 31 ans dans cette usine avant de faire valoir ses droits à la retraite en 2003. “Après mon départ, j’ai même fait des travaux d’entretien des moteurs au compte de l’Huicoma. A la fermeture de l’usine, j’ai aussi eu d’autres marchés à Bamako”, raconte le septuagénaire.
Comme lui, Bakary Traoré n’a pas aussi été affecté par la fermeture de l’usine. Il est également parti à la retraite un an avant l’arrêt. Pour autant, il n’a jamais rompu le lien avec ses amis compressés. Chaque matin, ils se retrouvent entre eux.
“Ceux qui sont venus après nous, ont été pratiquement obligés de partir à la retraite. L’Huicoma représentait tous pour nous”, s’indigne-il. L’ancien chef de division raffinerie se souvient de ses 33 années de travail dans la fabrique. Son unité employait au moins plus de cent ouvriers.
“On appelait Koulikoro, la ville ouvrière. Il y avait beaucoup de travailleurs, on ne sentait pas vraiment la différence entre la population et les ouvriers. Tout était dépensé à l’intérieur de la ville. On ne peut pas dire que c’était la prospérité totale, mais tout le monde était à l’aise parce qu’il y avait de l’argent. Les femmes aussi partaient chercher les résidus de cotons. C’est dommage qu’on soit arrivé à ça aujourd’hui”, raconte, d’un ton mélancolique, le vieillard. Par contre, Bina Sidibé, compressé, n’a pas eu la même la chance que ses ainés.
Survivre à tout prix
C’est sur les berges de fleuve Niger, à Souban, que Bina Sidibé a trouvé son nouveau métier loin de l’unité de savonnerie, le service dans lequel il a travaillé durant quatorze ans. Une reconversion difficile, reconnait le travailleur. “Il n’est pas facile de retrouver un ouvrier dans le fleuve. Mais, on est obligé puisqu’il faut subvenir aux besoins de la famille. Dieu merci on y parvient”, dit-il, souriant. L’exploitant profite de quelques heures libres pour rentrer déjeuner à la maison. Sous un soleil de plomb, la journée continue sur les berges du fleuve, à Souban. Hommes, femmes et jeunes tous sont occupés tantôt à remonter le sable, à le décharger et à charger les camions.
Le secret : beaucoup misent sur le travail d’équipe. Le tout se passe sous la supervision des membres du syndicat de coordination.
Sur chaque site d’extraction du sable et graviers, le syndicat assure le respect des règles établies. La première : l’exploitant (qui veut évoluer sur son propre fonds) paie un droit d’adhésion pour avoir accès à un espace de déversement. Selon Ba Famanta, vice-président de la Coordination des exploitants du sable et graviers de la berge d’élevage de Koulikoro, le montant est fixé à 40 000 F CFA, payable une fois. Il précise que cette règle ne s’applique pas aux ouvriers qui travaillent dans un groupe pour le compte d’un particulier.
Aux dires de M. Famanta, sur chaque vente, l’exploitant paie une taxe. Elle est repartie entre la mairie (750 F CFA), les syndicats (1 000 F CFA) et les gardiens de nuit (500 F CFA). Cette garde se fait par système de rotation.
Gestion concertée
Avant la mairie urbaine de Koulikoro avait des agents sur place pour récupérer directement ses taxes sur les sables, mais la nouvelle mandature a signé un contrat de partenariat avec la Coordination des exploitants, explique Kader N’Diaye, agent de recouvrement des taxes sur les sables et graviers de la mairie.
Est-ce que la ville et les populations bénéficient des retombés ? Oui, répond-t-il. “Les gens vivent de l’extraction du sable maintenant à Koulikoro. Aussi, la ville a changé de visage et se développe grâce aux différentes taxes perçues par la mairie”, déclare-t-il. Pour lui, avec l’actuel système, aucun camion n’échappe au contrôle. A chaque sortie, le camion paie 1 000 F CFA à la mairie.
Les revenus journaliers des exploitants varient de 1 000 à 10 000 F CFA, selon Ba Famanta. Et d’insister sur l’apport de l’effort physique et la maîtrise de l’eau pour pouvoir exercer ce métier.
Comme Bina Sidibé, beaucoup d’anciens travailleurs se sont retrouvés sur les berges du fleuve Niger après leur licenciement. Au début, Bina était avec une vingtaine de ses collègues, mais après plus de douze ans d’efforts physiques, certains ont fini par abandonner. Ils se sont orientés dans la maçonnerie, le commerce, l’élevage…D’autres, dit-il, “sont morts, dans le désespoir”.
Sur ces berges d’extraction de sable et de graviers, les anciens de l’Huicoma gardent encore l’espoir sur le versement intégral des indemnités de leur licenciement. Le montant s’élèverait, selon le Collectif des compressés, à “des milliards de F CFA”.
Kadiatou Mouyi Doumbia
(Envoyée spéciale)