Analyse de l’interview du président à l’ORTM : IBK ne doit pas se tromper de cible

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Le mardi 8 août courant, le président de la République Ibrahim Boubacar Keïta a accordé à l’ORTM une interview en langue nationale en bamanankan traduite en français par notre confrère «InfoMatin» dans sa parution N°6062 du jeudi 10 août 2017. Visitons ce passage du président. Il avait dit: «Dans la chaleur aujourd’hui des passions, j’attends également des bruits qui sont assez inquiétants. Des bruits assez inquiétants qui tendent à remettre en cause des pays amis, des pays alliés, notamment ceux-là qui furent à nos côtés quand le pays était en danger, quand la survie du pays était en cause ; qu’aujourd’hui on en avienne à manifester bruyamment contre ses pays dans des termes inamicaux, n’est pas conforme à la tradition malienne d’accueil,  d’hospitalité et surtout de gratitude. Ce n’est pas conforme à nos valeurs de civilisation. Je voudrais mettre en garde contre cela. Nous ne tolérerons pas ce genre de comportement là… La France est un pays ami qui doit être traité comme tel, et nous y veillerons.»

Monsieur le président de la République ne doit pas oublier un seul instant que ce sont ces hommes, ces femmes et ces enfants du Mali qui sont ses frères, sœurs, enfants, voisins et électeurs et qu’il se doit d’y prêter une oreille attentive. Dans l’histoire des relations franco-africaines,  il ne fait plus l’ombre d’aucun doute que la France, hier comme aujourd’hui, a vécu et vit toujours de l’oppression et de l’exploitation inhumaine des peuples d’Afrique.

Hier, le ministre français de la Colonisation Jules Ferry avait dit: «Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde pour une grande nation comme la France, c’est abdiquer.» La suite on la connaît :

– Après l’horrible et sanglante traite négrière qui a dépeuplé notre continent de ses bras valides (400 millions d’hommes), voilà que la même France imbue de son idéologie de supériorité raciale est venue chez nous endeuiller nos familles et piller nos économies. Les travaux forcés en disent longs. La colonisation fut un crime horrible contre le peuple malien et donc contre les peuples travailleurs d’Afrique.

– Pendant la Seconde Guerre mondiale, nos grands parents et parents ont été utilisés par la France coloniale comme des chairs à canon pour se libérer des serres de l’armée allemande. Aujourd’hui, nous ignorons combien d’Africains et donc de Maliens ont laissé leur vie sur les champs de bataille sur le sol français.

– Sur le plan économique (s’agissant toujours de la colonisation), notre continent (et donc avant tout le Mali) a été extraverti : d’une économie autonome et autocentrée, le colonisateur blanc a transformé cette économie en économie en économie extravertie et indépendante. Les cultures vivrières ont été phagocytées au profit des cultures de rente. Cela, on ne le fait pas à un pays «ami» !

– L’on ne peut raconter les crimes commis au Mali  par la France sans verser des larmes. Rappelons en passant que selon toutes nos informations, la France avait projeté de construire sa forteresse militaire à Tessalit au Mali pour surveiller tout le Sahel et se «mêler» des affaires du Sahel.

– Le régime Modibo Keïta qui faisait la fierté  de tout notre peuple a été renversé par des soldats maliens avec la bénédiction de la France. Pendant vingt-trois longues années de règne sans partage de Moussa Traoré, notre peuple a souffert dans sa chair et dans sa conscience les affres d’un régime qui faisait l’affaire de la conscience française. C’est depuis ce coup d’Etat apatride contre la première République nationaliste que le Mali est tombé.

– La France est présente du début à nos jours dans la problématique de la rébellion dans notre pays. Point n’est besoin d’entrer dans ces détails connus de tous les fils du Mali. L’ingérence de la France dans nos affaires n’a jamais bien servi notre peuple.

L’opération Serval et aujourd’hui Barkhane au Mali, loin de faire en sorte que Kidal revienne dans le concert malien, cette région est de fait détachée de notre pays. Aller savoir d’où viennent les armes utilisées par les djihadistes contre nos soldats. Cette attitude pour le moins peu recommandable n’est nullement une marque d’amitié de la France envers notre peuple.

– France Liberté de Danielle Mitterrand avait pour but de  faire de notre pays l’arrière cour de la «démocratie» française qui nous humilie aujourd’hui.

La France a été «aux côtés du Mali» à la demande du président illégitime de la transition de 2012 en la personne de Dioncounda Traoré: aujourd’hui, nous ne savons pas ce qu’elle fait avec la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) à Kidal. En tout cas, le président IBK constate aujourd’hui avec amertume que Kidal est devenue une zone interdite de fait aux Maliens et pourtant l’armée française et la MINUSMA y sont ! Est-ce que ces deux (02) forces sont venues nous aider vraiment ?

Cela, il faut le dire, n’est pas un bon signe de respect dû à notre peuple, encore moins un signe d’amitié. Le président IBK peut-il empêcher notre peuple de le dire haut et fort ? Cela n’ira pas de l’intérêt du Mali !

– Une autre «immigration choisie» après l’ère Charles Pasqua est bien celle en cours de préparation par Emmanuel Macron qui entend mettre en place au Niger un bureau français de sélection des candidatures au départ pour l’Europe et en particulier pour la France. Le motif jeté à la face des Africains c’est qu’il y a beaucoup de morts en chemin. Comme si l’épervier pouvait faire le deuil des poussins de la basse cour !

– L’ancien président français Nicolas Sarkozy a engagé la guerre contre le peuple travailleur de Libye en voulant assassiner son Guide Mouammar Kadhafi. La suite, on la connaît : les quarante tonnes d’armement parachutées dans le désert libyen se sont dissimulées dans le sable.

Emmanuel Macron ne peut dire au peuple malien que ces armes n’ont pas été utilisées contre notre pays pendant les moments chauds de l’agression du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) contre le Mali. Ce n’est pas là non plus un signe d’amitié de la France en direction de notre pays.

En tout cas, malgré la présence de l’armée française sur notre sol, nos hommes, nos femmes et nos enfants continuent à payer le prix fort de la guerre provoquée chez nous. C’est en cela qu’il faut dire et répéter que la France fait belle et bien partie du problème de la rébellion sur notre sol. En conséquence, elle ne peut en aucun cas faire partie de la solution.

– Il convient de rappeler à l’attention de notre président que François Hollande a baigné ici dans une foule innombrable lors de sa visite dans notre capitale. C’était en février 2013.  Ce bain de foule, il a dit qu’il en était ravi. Mieux, a-t-il reconnu que c’était pour payer une dette du Mali.

Aujourd’hui, le temps a servi d’éclairage au même peuple. C’est pourquoi le Mouvement des sans voix (MSV) s’indigne de la présence ambivalente de la France dans nos affaires. A travers ce mouvement, c’est tout un peuple qui s’offusque aujourd’hui de cette présence française sur notre sol.

En définitive, ce sont les Maliens qui meurent au front ; ce sont des Maliens qui souffrent dans leur chair et dans leur conscience les affres d’une présence française sur la terre libre du Mali.

– Le président IBK doit comprendre que ce sont les Maliens qui l’aiment malgré les différences qui puissent exister entre lui et ceux-ci.

– Ce sont les Maliens qui l’ont élu pour leur bien être socioéconomique, politique et culturel.

En cas de brouille entre le président et ses frères, c’est la même France qui se frottera les mains comme elle a coutume de le faire ici au Mali et sur le reste du continent africain : le génocide au Rwanda, la guerre fratricide en République centrafricaine, les troubles interminables RD Congo, en Libye, en Côte d’Ivoire, la rébellion et le djihad au Mali,  tous ces troubles portent la marque de la France.

La Côte d’Ivoire a vécu des moments de guerre entre le président Gbagbo et les rebelles de Guillaume Soro. Là aussi, les morts se comptent par milliers.

On ne peut citer vraiment aucune action de la France en Afrique et donc au Mali sans se rendre à l’évidence de cette déclaration historique du général De Gaulle à la face du monde entier: «La France n’a pas d’ami ; elle a des intérêts.» C’est dire que la paix au Mali et donc en Afrique ne saurait faire l’affaire de la France.

Mais Frantz Fanon a dit: «Chaque génération, dans une relative opacité, doit découvrir sa mission et la remplir ou la trahir.» Il faut s’en convaincre, la jeunesse africaine et donc malienne ne trahira pas sa mission.

Fodé KEITA

 

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