Pour exprimer son élan de solidarité envers les agents de Tombouctou, Gao, Kidal et certains agents des collectivités de la région de Mopti touchés par la crise au Nord, le gouvernement malien a, depuis le 6 août 2012, fait prendre un arrêté interministériel par les ministère de l’Economie, des Finances et du Budget et celui de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation . Ledit arrêté donne mandat à l’Agence Nationale d’Investissement des Collectivités Territoriales (ANICT) d’effectuer leur paiement. Plus qu’un travail méticuleux, c’est un véritable sacrifice que le Mali vient de faire à nos compatriotes des régions occupées.
Dans le même document, il est mentionné que «la liste nominative des bénéficiaires et les renseignements indispensables au traitement de leurs salaires (l’indice, la situation matrimoniale, le N° Matricule, celui de l’INPS) sont fournis à l’ANICT par la Direction Générale des Collectivités Territoriales».
C’est ce qui a permis à 847 travailleurs des zones touchées par la crise à bénéficier de leurs salaires, mais surtout à voir tous leurs arriérés régularisés (des mois de mars à septembre pour Gao et Kidal et d’avril à septembre pour Tombouctou et Mopti). L’objectif de l’ANICT étant de pouvoir assurer le paiement des salaires jusqu’en décembre 2102. Même si le nombre exact des salariés n’est pas disponible.
Issouf Ongoïba et Bengaly Kourouma sont deux agents des collectivités de Douentza. Ils font partie du personnel des finances. Hier, dans la matinée, quand nous les avons croisés, dans l’un des couloirs de l’ANICT, ils étaient tout sourire, avec leurs chèques en main. «Je suis âgé de 30 ans et c’est la première fois que je viens à Bamako. Je suis très heureux de recevoir mon salaire dans les conditions les plus modernes. Je n’en reviens pas encore…», nous a confié Issouf Ongoïba.
A l’étage, c’est Mahamane Maïga, agent de santé au CSCOM de Issabéré qui attendait encore, avant de recevoir son chèque. Il avait une année d’arriéré de salaire. Aujourd’hui, soutien-t-il, «je suis l’homme le plus heureux de la terre. Même si la libération de ma zone est une priorité pour moi, je crois qu’avec l’acte que vient de poser le gouvernement est salutaire. Pour moi, c’est plus qu’un soulagement».
Un peu plus loin, en entrant dans un bureau, nous croisons Fadimata Touré. Elle a quitté le CSCOM de Banikan Narhawa (environ 70 kilomètres de Niafunké) pour venir retirer le salaire qu’elle n’a plus perçu depuis 5 mois. La matrone est timide. «Je n’avais pas mon salaire régulièrement. Je n’étais, non plus, immatriculé à l’INPS. Aujourd’hui, je suis une travailleuse avec tous ses droits», glisse-t-elle, le foulard sur la bouche. Avant de s’éclipser avec un de ses collègues, elle tient à nous faire savoir ceci : «Le salaire que je viens de percevoir m’aidera surtout à acheter un beau mouton pour la fête. Mon mari n’en a pas les moyens et c’est moi qui dois l’aider, car chez nous, on dit que ce sont les deux mains qui se lavent».
Au-delà de ces sourires et de l’espoir qu’on note chez ces personnes que nous avons rencontrées, hier mercredi 17 octobre, il faut reconnaître que les cadres de l’ANICT ont travaillé d’arrache pied. Souvent à des heures tardives.
Et pour cause, selon les nombreux témoignages, la presque totalité des agents des collectivités présents à Bamako, pour leur salaire, n’avait jamais eu, entre les mains, un bulletin de salaire. Partant, les rubriques qui y figurent telles que le salaire brut, la cotisation salariale ou encore les abréviations comme «CFE» ou «TFP»…leur étaient inconnues. Il fallait donc, en plus des multiples explications, un travail de sensibilisation pour leur faire accepter le chèque qu’il devait recevoir. Le paiement des salaires en espèce n’étant pas une pratique de l’Agence.
Ce n’est pas tout. Les quelques 847 agents, pour la plupart, n’avaient pas de numéro de sécurité sociale. Là aussi, il a fallu se plier en quatre pour résoudre ce problème. Ajoutez à cela les ressortissants qui n’avaient aucune pièce d’identité et pour lesquels les circonscriptions devaient attester leur emploi, le travail de l’ANICT n’a pas du tout été une sinécure.
Des chiffres qui parlent
Malgré ces nombreuses imperfections en amont, le travail se poursuit actuellement à l’ANICT. Selon les chiffres qui nous ont été communiqués par la Direction de l’Agence, à la date du 15 octobre 2012, à 14 heures, c’est une masse salariale de 352 895 170 FCFA qui a été versée aux différents agents présents à Bamako. Des agents qui vont du personnel administratif (185) à celui des finances (185) en passant par celui de la voirie (32). Le personnel d’appui (161), de la santé (108) et de l’éducation (38) n’a pas été oublié dans ce difficile calcul. Les salaires et les rappels vont, pour certains, jusqu’à 7 mois. En décortiquant certains chiffres que nous avons reçus, il apparaît que la somme la plus grande versée par l’ANICT revient à la Commune urbaine de Gao : 27 227 691 FCFA.
En quittant les locaux de l’ANICT, hier en fin de matinée, certain salariés, même partant à la retraite avec qui nous nous sommes entretenus, nous ont affirmé qu’après plusieurs années de travail au sein des Collectivités, ils avaient l’impression d’avoir «réellement commencé à travailler aujourd’hui. Avec un véritable bulletin de salaire et toutes les rubriques qui l’accompagnent».
Au fait, ces travailleurs ne se sont pas trompés, car, selon nos informations, depuis que le Mali a débuté le processus de décentralisation, il y a douze ans, le nombre de salariés au compte des collectivités dans les régions n’a jamais été établi. La masse salariale encore moins. Il a fallu donc que la crise éclate pour que le travail soit fait par l’ANICT. Tout au moins pour les zones occupées.
Notons, enfin, que le travail qui consiste au contrôle physique, à la transposition dans la grille des salaires des Collectivités territoriales, le paiement des salaires et le reversement des cotisations sociales n’incombe pas à l’ANICT. Ce n’est qu’une mission ponctuelle et exceptionnelle. Il appartiendra au nouveau ministre chargé de la Décentralisation, Me Demba Traoré, de veiller à sa pérennisation.
Paul Mben