Afrique du Sud : Mandela serait-il mort pour «vivre» ?

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La question peut paraître provocatrice et même insultante à bien d’égards, mais elle n’est pas du tout saugrenue au vu du comportement de ce qui paraît être l’élite qui nous gouverne ou qui aspire à le faire. Depuis mars 2012, la classe politique malienne s’est illustrée par ses multiples contradictions et oppositions stériles à toute proposition de sortie de crise.

L’ancien dirigeant sud-africain, Nelson Mandela, le 17 juin 2010 à Johannesburg © AFP/Pool/Archives Siphiwe Sibeko

On a l’impression qu’il ne s’agit pas du même pays. Mais, qu’est-ce qui motive ces contradictions et oppositions ? Les intérêts partisans bien sûr, «le manque d’idéal vrai pour le Mali», rétorque un observateur étranger qui suggère une mise à l’écart de certains hommes politiques. Sinon, estime-t-il, le Mali ne connaîtra jamais la stabilité recherchée tant que «ces gens gardent leur capacité de nuisance contre le pays».

Dix ans de consensus auraient dû permettre à la classe politique de s’accorder sur l’essentiel, mais on se rend compte que le consensus était forcé sur le partage des maigres ressources du pays. «Je te tiens, tu me tiens. On bouffe et tout le monde se tait». Tel semblait être la devise ou le mot de passe.

Sinon, les règles de base semblaient claires au départ, une alliance pour la mise en commun des efforts afin de permettre au Mali de se développer. L’idéal «non partisan» était une motivation supplémentaire faisant de l’élu de 2002, une sorte de «main de Dieu» pour le Mali. Mais, la trahison a été trop grande et Dieu lui-même a dû se poser des questions sur la tournure de la gouvernance et la rapacité des hommes qui en étaient chargés. La bonne gouvernance n’a rien à voir avec les capacités et la technicité livresques. Il s’agit beaucoup plus de la capacité de transformer un idéal en conditions de vie pour des populations. Ceci passe par une vision et un cadre d’actions bien balisé et suivi.

Quelle vision pour le Mali ?

Les évènements prouvent que, pour le moment, nous n’avons jamais su depuis les indépendances bâtir et ancrer une vision pour le Mali. Tout ce que nous avons eu jusque-là, ce sont des visions d’homme qui disparaissent avec les tenants, mais ne constituent nullement une vision pour le Mali. Il est bon de rappeler que les projets ne sont pas des visions pour un pays surtout pas des projets financés de l’extérieur. La vision pour un pays repose sur la construction de l’humain, de ses capacités intrinsèques à être un citoyen modèle, à prouver son patriotisme dans toutes les conditions et circonstances et qui ressent de la fierté à l’évocation de son pays pour lequel aucun sacrifice n’est trop grand à ses yeux. Toutes les grandes Nations ont su bâtir d’abord une vision pour le pays, dans laquelle tous ceux qui se réclament, se reconnaissent, s’en identifient et s’investissent pour sa réalisation. C’est un rêve que les dirigeants font naître en chacun et tous les moyens sont mis en place pour le rendre réel au niveau individuel et collectif. Ceci ne vient pas de l’extérieur, mais doit être construit sur des valeurs nationales que l’on élève au niveau de culte basé sur des principes universels comme le travail bien fait, la discipline, le civisme, le respect, le combat contre l’oisiveté, la pauvreté, le vol et tous ses corollaires, etc.

Nécessité de repartir sur de bons repartir

La remise en cause de la marche normale de l’Etat, de janvier et mars 2012, a montré que l’idéal de gouvernance vers lequel on nous faisait tendre, était encore une illusion. Dans la mesure où nous sommes condamnés à sortir de la mauvaise passe actuelle, l’occasion est plus qu’idéale pour partir sur de bonnes bases avec de vrais leaders. Et comme le dit un internaute, «un leader ce n’est pas une personne. C’est une vision faite de lucidité, un état d’esprit, un style de vie. Et cette révolution se fera avec le temps, avec des hommes intègres et non avec des gens qui tuent le peuple, qui laissent leur jeunesse dans l’ignorance, la faim, le chômage, la violence, la maladie, etc.»

Un préalable à tout cela serait un audit de la gouvernance au Mali depuis 1960. Ce travail peut et doit être fait par le gouvernement actuel, si tant est que ce gouvernement a de l’ambition pour le Mali. «Rien ne doit plus être comme avant». Et «rien ne sera plus comme avant», comme aime à le répéter un grand-frère depuis le déclenchement des attaques de janvier. L’audit permettra de déterminer les capacités du pays à se sortir de crise (pas la crise actuelle) en termes de prospective ; de dégager les forces et les faiblesses des différents modes de gouvernance appliqués au Mali en tenant compte des disponibilités des ressources humaines, financières et autres à chaque période afin de dégager les besoins du pays en termes de formation, d’orientation de l’action ; de proposer les axes d’orientation du système de gouvernance à même de sortir rapidement le Mali de son état et relancer le développement intégral ; de donner des orientations pour la prise en compte des préoccupations populaires afin de mieux faire le lien entre les centres de décisions et les administrés… On a parlé pour le premier gouvernement de la transition de technocrates et pour cela ce gouvernement devrait montrer sa technicité en présentant, je ne ferai pas l’insulte de croire ou même de dire qu’il n’y a pas de feuille de route, une direction à atteindre avec les chemins probables qui peuvent nous y conduire. Une chose essentielle qui devrait aider un régime «normal» d’après élection à bien conduire le pays.

Une prise de conscience s’impose

Peut-on valablement prétendre encore au Mali qu’il faut que les gens prennent conscience de la dérive de la gouvernance du pays ? C’est le scepticisme qui nous anime en ce moment. Si la masse populaire vocifère à longueur de journée, chacun avec ses solutions idylliques, il est très inquiétant de constater que les têtes pensantes du système sont encore à penser à leurs ventres, à l’influence «sociale» qu’ils peuvent avoir et tout le bénéfice matériel à tirer d’une bonne présence dans l’appareil décisionnel du pays à la dérive. Le souci de mettre le pays sur pied ne leur vient que lorsque certains intérêts à eux sont bloqués justement à cause de la situation de crise. Que peut-on attendre de tels personnages ? C’est pourtant le cas de beaucoup de nos leaders politiques qui ne pensent qu’en termes de positionnement. Quitte à marcher sur le cadavre doublement «assassiné» de compatriotes, déjà à terre. C’est ça le manque de vision pour un pays !

Nelson Mandela, un exemple à suivre pour nos dirigeants

Comme à sa libération de la tristement célèbre prison de Robben Island, Nelson Mandela tient la vedette dans la presse. Mais, en l’espèce, à la place des sourires et de l’accueil triomphal qui lui ont été réservés à sa libération, les larmes perlent sur les joues, au coin des yeux. Tous ou presque sont sous le choc. Mandela, héros de la lutte anti-apartheid, a fini par déposer les armes au pied de l’inévitable : la mort. Pour mémoire, Nelson Mandela, avocat, membre du Congrès National Africain (ANC), avait dit «adieu à la liberté» le 5 août 1962, jour où, trahi, il a été arrêté près de Horwick. C’est en juin 1952 que ses démêlées avec la justice démarrent.

Il avait alors organisé une campagne de désobéissance civile et contrevenu aux lois qui interdisaient aux Noirs d’être en zone blanche le soir. Des lois qui reposaient sur la ségrégation, destinées à denier au peuple noir tout droit à la liberté politique et individuelle. Des lois qui offensaient le peuple noir dans sa dignité, dans son honnêteté. Des lois qui vantaient la suprématie blanche : les Afrikaners. A l’époque, l’Afrique du Sud était donc un pays compartimenté, morcelé, où les disparités sociales sont énormes. Voilà, entre autres, les raisons qui ont poussé Mandela et ses camarades sur le chemin de la lutte…armée.

C’est cette volonté de Mandela de voir «une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie et avec des chances égales» qui a triomphé après qu’il eut passé 27 ans en prison. Aussi, est-il difficile de parler de Mandela sans toucher à ses compagnons de lutte, car le retour du pouvoir entre les mains du peuple noir en Afrique du Sud est le fruit d’un combat collectif dans lequel beaucoup ont péri, exilé, fait la prison. Je pense notamment à Walter Sisulu, Secrétaire général de l’ANC au moment de leur arrestation ; à Ahmed Kathrada, ce fils d’immigrés asiatiques, entré en contact avec Sisulu et Mandela en 1948, avec lesquels il plongea dans la clandestinité après l’interdiction de l’ANC en 1963. Il y aussi Govan MBeki, Raymond Mhlaba, Dennis Golgberg, Jeff Masemola, Wilton Mkwayi. Mais, il y a un autre nom qui fera frémir d’indignation les «nost-apartheid» (les nostalgiques de l’apartheid) : Desmond Tutu, Archevêque couronné par le prix Nobel de la paix en 1984. Tutu est connu pour ses messages de paix et de non-violence, ses flèches contre l’apartheid et les noirs animés de sentiments vengeresses. C’était un partisan à tout crin du combat pacifiste contre l’apartheid, qui a notamment dirigé la Commission vérité et réconciliation créée par Mandela. Tout cela pour dire que le succès du combat de Mandela vient aussi des sacrifices héroïques consentis par des hommes et femmes.

Aujourd’hui, partout on pleure comme une Madeleine, Mandela. Sur le continent africain, les présidents dans leur hommage y vont d’un éloge à faire pleurer. Mais, la question qui se pose est de savoir ce qu’ils ont fait, eux, de l’héritage que Mandela leur a légué. Zéro! Dans leurs discours, ils parlent de paix, de réconciliation nationale, de démocratie, tout en les massacrant dans leurs comportements de chaque jour. Et l’éditorialiste Adam Thiam dit tout : « …Mandela est mort, presque centenaire. Comme s’il ne pouvait ou ne voulait plus subir la nième humiliation que lui infligeait le continent pour lequel il se battit tant à Bangui. L’Afrique tirant sur l’Afrique, débusquant ses charniers, s’étripant pour l’élection, d’accord sans honte d’être la lanterne rouge au marathon des continents. Ce Madiba-là a raison de s’en aller». Une chose est sûre : c’est que Mandela est mort pour «vivre». Il est parti pour «rester». Un exemple donc à suivre !

Boubacar SANGARE

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