La légalisation du mariage religieux, le gros point de discorde entre les autorités et les musulmans regroupés au sein du Haut Conseil islamique par rapport à l’adoption du nouveau code des personnes et de la famille, est en phase de devenir une réalité après de longues années de bras de fer entre les deux parties. C’est en tout cas ce qui se dessine après les deux dernières émissions intitulées «Questions d’actualité », une émission qui passe tous les dimanches soir sur les antennes de l’ORTM. Aussi, compte tenue de toutes les difficultés que faisaient l’objet les femmes dont le mariage civil n’est pas célébré, nous pouvons affirmer que légaliser le mariage religieux ne peut être qu’une bonne chose.
Faut-il le souligner, la pratique de la double célébration du mariage devant l’officier d’état civil français et le ministre du culte a survécu aux vicissitudes du temps et existe encore de nos jours sous les vocables : mariage civil, mariage coutumier ou religieux. Le mariage religieux est-il une réalité actuelle et dans l’affirmative a-t-il une valeur juridique ?
Conformément aux us et aux coutumes du Mali l’on se marie soit devant l’officier d’état civil soit devant le ministre du culte.
Une telle procédure est-elle conforme aux dispositions du code du mariage ?
Il faudrait naturellement répondre par la négative parce qu’il n’existe pas au Mali comme par le passé colonial deux catégories de citoyens régies respectivement par un statut de droit traditionnel et un statut de droit moderne. Le peuple malien ne formant plus, depuis le 22 septembre 1960 qu’un tout indivisible ayant désormais la même nationalité, évoluant sous la même devise, Un Peuple-Un But-Une Foi et donc désormais régi par la même législation : la loi n° 62-17 AN-RM du 3 février 1962.
Ainsi, les dispositions de cette loi ont été conquises de haute lutte durant la première République. Elles tendent à protéger surtout les femmes contre toutes répudiations et exactions anarchiques en même temps qu’elles assurent une protection maximale de leurs droits.
Le mariage civil comporte ainsi de nombreuses contraintes lesquelles constituent un facteur d’équilibre et d’ordre social. Ces exigences législatives qui ont trait aux conditions relatives à la monogamie ou à la dislocation du mariage…sont des garde-fous permettant de mieux assurer la protection de la gent féminine contre tout élan déviationniste des instincts masculins.
Face à de telles dispositions de la loi, il va sans dire que l’on chercha un subterfuge permettant de les contourner ; l’on eut recours à la notion de « mariage religieux ».
Le mariage religieux, un subterfuge
Contrairement au mariage civil, le mariage religieux ignore des sanctions dissuasives.
Une telle déviation permet assurément à un homme peu scrupuleux qui convoite les bonnes grâces d’une femme, d’en abuser dans le cadre d’un pseudo-mariage religieux sous l’œil à la fois innocent et complice des parents. Cette union du point de vue juridique ne saurait être autre qu’un concubinage pur et simple ; le couple dans la plupart des cas ne se présentant jamais devant l’officier d’état civil et lorsque l’envie lui prend de changer de compagne, l’homme n’hésite pas à provoquer la dislocation du prétendu ménage en brandissant haut le motif suivant : « D’ailleurs nous ne sommes pas mariés. Nous n’avons pas été à la Mairie ; donc, je ne crains aucune sanction.»
Il existe également une pratique courante pour nombre de marabouts qui consiste à prendre une femme sous le voile de la religion musulmane à chaque étape de leur pérégrination.
En effet, au cours d’un séjour prolongé dans telles localités, ils n’hésitent pas à contracter des « mariages religieux », à la fin de leur séjour ils divorcent. A la seconde étape le même scenario se répète ainsi de suite.
Dans la même lancée, il est fréquent de constater que telle veuve, afin de préserver ses droits de disposer de la pension de son mari défunt au niveau de l’INPS ou ailleurs, contourne la loi en vigueur en recourant à la technique du « mariage religieux » etc.
Le concept de mariage religieux ou coutumier qui se justifiait sous la colonisation française du fait de la coexistence de deux communautés s’explique de nos jours, à quelques exceptions près, non pas par une quelconque coexistence de deux communautés, ni par le degré d’intensité de la foi religieuse qui animerait les futurs époux, que par un esprit purement spéculatif ou tout au moins une volonté délibérée de donner libre cours aux instincts bestiaux d’une des parties, le mari en l’occurrence.
De l’examen des exemples suscités, se dégagent tour à tour un sentiment de frustration de la femme ; une attitude de l’homme qui frise l’escroquerie ; une volonté spéculative de la veuve qui viole délibérément les lois en vigueur, un comportement de luxure de l’homme du culte.
Les dispositions du Coran et de la Bible autorisent-elles ces genres de comportements qui sapent de plein fouet la dignité de la femme ? Assurément non
Les préceptes qui ressortent du livre saint respectent la femme, consacrent sa valeur humaine, assurent sa protection et fustigent toute tendance à l’avilir.
A côté de ces cas spécifiques ci-dessus visés, fortement critiquables, nous constatons malheureusement que la pratique sociale de nombreux maliens n’est guère conforme aux textes. Ce comportement anarchique est courant aussi bien dans le milieu rural que dans le milieu urbain.
Cette tendance au déphasage des textes, au trouble de l’ordre social s’est généralisée actuellement au niveau de toutes les couches de la société, du simple citoyen au haut cadre de l’Etat, du législateur lui-même au magistrat le plus gradé.
La nécessité de légaliser le mariage religieux
Au regard de ce constat malheureux entre le droit et la pratique courante, quelle solution, faut-il envisager ?
S’il est vrai que la loi est l’expression de la volonté du peuple, qu’elle est faite par les hommes et pour les hommes, dès lors que l’on constate une inadéquation quelconque entre les textes de loi et la volonté populaire, il importe de modifier la loi dans le sens de la volonté du peuple. C’est le cas actuel au Mali en ce qui concerne l’adoption du nouveau code des personnes et de la famille surtout l’aspect jusque là controversé concernant la légalisation du mariage religieux.
Ainsi, on peut retenir des débats lors de l’émission intitulée « Questions d’actualité » le dimanche dernier sur les antennes de l’ORTM les points suivants : le mariage n’est plus défini comme un acte laïc mais un acte public par lequel un homme et une femme consentent d’établir entre eux une union légale dont les conditions de formation, les effets et la dissolution sont régis par les dispositions contenues dans le texte.
L’innovation majeure concerne le fait que dorénavant, le mariage est célébré par le ministre du culte ou par l’officier de l’Etat civil. Les nouvelles propositions qui viennent de recueillir l’adhésion de toutes les deux parties (les députés et les organisations religieuses, sont relatives à la célébration du mariage devant le ministre du culte. Ainsi, le document souligne que, Sous réserve du respect des conditions de fond du mariage et des prohibitions édictées dans le présent titre, tout ministre de culte peut célébrer publiquement un mariage. Publication doit être faite de la célébration du mariage, quinze jours avant, au lieu de culte de la célébration. L’affiche de publication énonce les noms, prénoms, professions, âge, domicile et résidence des futurs époux, ainsi que la date prévue pour la célébration du mariage. Elle est datée et signée du ministre du culte. Le mariage ainsi célébré sera constaté par un imprimé-type devant comporter : les sceaux de l’Etat ; les signes du ministre du culte ; les énonciations prévues à l’article 301 du nouveau code des personnes et de la famille. Le ministre du culte établit trois originaux de l’imprimé type et devra : remettre aux époux le premier original dûment rempli et signé ; transmettre à l’officier de l’état civil du lieu de célébration du mariage le deuxième original dans un délai de deux mois ; conserver le troisième original dans les archives du lieu de culte…
Appréciation critique
A notre avis, la légalisation du mariage religieux ne peut être qu’une bonne chose. Elle s’inscrit dans la droite ligne de la volonté d’un grand nombre de croyants musulmans en particulier exprimée au cours de multiples manifestations. Le caractère officiel est consacré par l’implication directe de l’autorité du ministre de culte (imams, prêtres ou autres) dans la réalisation du mariage et dans lequel mariage les droits de la femme seront protégés. Cette légalisation du mariage religieux permettra d’une part de résoudre l’épineux problème des déplacements dus à l’éloignement des centres d’Etat civil par rapport aux domiciles respectifs des futurs époux, et d’autre part d’empêcher les futurs époux de contourner par un quelconque subterfuge la loi et cela grâce à la collaboration étroite entre le ministre du culte et les autorités judiciaires à travers l’officier d’ état civil. Certains esprits critiques avancent que ‘’reconnaître un mariage religieux ou le considérer comme tel revient à violer le principe de la laïcité de l’Etat’’ ; qu’en effet il résulte de la constitution du 25 février 1992 que ‘’le Mali est une République laïque et sociale’’(article 25) que ‘’toute discrimination fondée sur l’origine sociale, la religion,…est prohibée’’ (article 4) ; que ’’ce principe constitutionnel signifie que l’Etat respecte les croyances mais refuse de les connaître et qu’ordonner un effet juridique à un mariage religieux est une reconnaissance déguisée d’une religion ; que ‘’le principe de la laïcité qui ne peut pas aux termes de la constitution(article 118 alinéa 4) faire l’objet de révision et suppose de la part de l’Etat la neutralité la plus rigoureuse et l’absence de toute discrimination. Celui-ci ne doit être ni négative (exécution de la part de l’Etat en raison de la croyance, du culte ou de la foi religieuse) ni positive (participation en raison de la croyance, du culte ou de la foi religieuse’’.
Ces arguments ne résistent pas à l’analyse critique ; en effet affirmer que reconnaître un mariage religieux revient à violer le principe de la laïcité de l’Etat n’est pas à notre avis exact, car autant l’Etat doit respecter les croyances autant il ne peut les ignorer, c’est-à dire refuser de les connaître.
Conformément au principe constitutionnel, la religion fait partie intégrante de notre personnalité. Il est impossible pour un Etat de reconnaître tel individu et de rejeter en même temps ce que cette personne a de plus cher en elle c’est-à-dire sa religion.
La laïcité suppose que l’Etat ne peut s’attribuer une religion et qu’il doit se caractériser par une neutralité la plus rigoureuse et une absence de toute discrimination. Par exemple l’Etat ne peut exclure quelqu’un en raison de sa religion (discrimination négative), de même il ne doit admettre tel individu en raison de sa foi religieuse (discrimination positive). L’Etat laïc ne doit favoriser aucune religion par rapport aux autres. Lorsqu’il décrète la création de tribunaux islamiques, il viole assurément le principe de sa neutralité. Par contre, cette neutralité ne souffre nullement lorsqu’en matière successorale par exemple l’Etat admet que la transmission héréditaire soi faite suivant la coutume du « cujus » en l’espèce conformément aux règles coraniques.
Nous voyons ici que l’Etat reconnaît bel et bien les règles coraniques et leur application dans le domaine de la dévolution de son système successoral comme il reconnaît la Bible et la réalité de la religion chrétienne. Autant d’exemples qui démontrent qu’autant l’Etat respecte les croyances religieuses, autant il ne peut refuser de les reconnaître.
Moussa Touré