Bien qu’ayant déclarées prioritaires dans les structures de santé et autres lieux publics, les personnes âgées doivent encore faire le rang dans certains hôpitaux malgré la présentation de leurs cartes. En bien des endroits, leurs droits sont systématiquement violés par les agents de santé du fait de la corruption galopante. Pis, les frais de consultations et de prise en charge restent malheureusement des équations non résolues de la question. Notre enquête.
Lundi 13 août 2012, sous un soleil de plomb le vieux Traoré sortait de l’Hôpital de Kati. A 64 ans, accompagné d’un de ses petits fils, il venait de prendre les résultats de ses analyses suite à un malaise qui l’avait terrassé deux mois plutôt. La nouvelle n’est pas bonne, nous confie son accompagnateur. Car le vieux est atteint d’un cancer de la prostate. Les médecins sont formels : « il doit être opéré ». L’équation est difficile à résoudre pour cette famille de revenus modestes, car les frais seront entièrement à la charge du patient.
Le vieux Dembélé, résidant dans un village environnant de Sikasso, en sait quelque chose. Il y a quatre mois, il venait de subir une opération chirurgicale consécutive à la même maladie. Si ses consultations ont été gratuites à l’Hôpital régional, les services ne sont pas encore spécialisés pour ces genres d’opérations. Son fils était donc obligé de l’hospitaliser dans une clinique. Le coût total de l’opération aura nécessité près de 700.000 francs CFA.
Dans les structures de santé publiques, la prise en charge sanitaire des personnes au troisième âge reste un grand défi dans notre pays. Si l’accompagnateur du vieux Traoré nous explique que les consultations ont été gratuites grâce à la présentation de la carte des aînés, les frais de médicaments et la somme nécessaire à l’opération restent entièrement à leur charge. Cependant, dans certaines structures sanitaires publiques, la réduction peut être faite jusqu’à 50%. Qu’est-ce qui explique donc cette différence dans les structures de santé ? Les agents de santé sont formels : « chaque structure est autonome dans sa gestion, et autant les frais de consultations diffèrent selon les endroits, autant les conditions de prise en charge ne sont pas les mêmes ».
Victimes de traitements discriminatoires
Par ailleurs, il n’est pas rare de voir dans certains hôpitaux ce droit d’accès à la consultation gratuite violé. C’est le cas par exemple à l’Hôpital régional Alfousseyni Dao de Kayes. Ici, la priorité accordée en matière d’accès des personnes âgées aux soins de santé, n’existe que dans la théorie. Du fait de la corruption et de la discrimination entre les patients, nombreuses sont les personnes âgées à se mettre dans les longs files d’attente malgré la présentation de leur carte. Cet homme de la soixantaine nous l’atteste. Souffrant d’une hypertension, il s’est rendu en juin dernier dans cet hôpital de Kayes. Sa carte en main, il se met au rang comme tous les usagers ordinaires. « Quand j’ai demandé aux agents à quoi sert notre carte des aînés, il m’a tout simplement répondu de me patienter. En réalité j’ai compris qu’il y a traitement préférentiel dans cet hôpital selon le pouvoir d’achat du patient », nous témoigne le vieux Kamissoko, rencontré à Kayes au cours de nos missions. En clair, pour notre interlocuteur, l’Hôpital Alfousseyni Dao de Kayes a encore du chemin à parcourir dans l’atteinte des objectifs de la facilité d’accès aux soins de santé par les personnes du troisième âge.
Au Mali, le principe de paiement des soins est considéré comme la meilleure garantie de la qualité des prestations, mais également comme source d’inégalités dans l’accès aux soins. D’où l’avis des responsables du Programme « Abolition du Paiement » que l a gratuité ciblée sur des catégories particulièrement vulnérables peut représenter une solution à cette situation. Néanmoins, précisent-ils, les conditions d’émergence et de mise en œuvre des politiques d’exemption de paiement des soins inquiètent les usagers comme les professionnels de santé, et confortent le scepticisme de départ quant aux capacités de l’État à pérenniser de telles politiques.
Le Mali peut se réjouir cependant de réussir la gratuite d’une maladie très répandue chez les personnes âgées : c’est l’opération de la cataracte. Chaque année, le gouvernement du Mali et ses partenaires lancent des consultations gratuites et l’opération de la cataracte dans des localités ciblées sur l’tendue territoire. Cette initiative, soutenue par la Fondation Orange-Mali, a touché des centaines de personnes âgées menacées de cécité. Au Conseil national des personnes âgées, ces opérations constituent de réels motifs de satisfaction. Car, explique-t-on, la cataracte révèle un problème de santé publique dans les pays les moins avancés. Elle touche globalement 20% de la population âgée de plus de 65 ans et 60% de plus de 85 ans. Dans les pays aux conditions de vie plus difficiles (comme le nôtre), la cataracte est d’apparition plus précoce, dès l’âge de 40 ans (facteurs favorisants environnementaux). En clair, pour le Conseil national des personnes âgées, cette opération spontanée doit être un acquis à préserver.
En somme, si dans les textes la volonté politique semble relativement affichée de soutenir les personnes âgées en matière d’accès aux soins de santé, la pratique donne une toute autre dimension. La non application des textes et « les faibles moyens de l’Etat » font que les personnes âgées doivent assurer leur prise charge médicale.
Issa Fakaba Sissoko