A Bamako, tout le monde ou presque est devenu soit diabétique et hypertendu, sinon malade des pathologies parfois inconnues de nos spécialistes de santé. La direction de l’Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments (ANSSA) conduit en ce moment une étude destinée à établir un lien de causalité entre les pathologies et les aliments en vue d’éclairer la lanterne des décideurs sur la nécessité d’anticiper ou de prendre des décisions opportunes pour arrêter le cycle de propagation de certaines maladies qui coupent le sommeil à beaucoup de nos compatriotes. Selon le secrétaire permanent de la commission nationale des autorisations de mise sur le marché des denrées alimentaires, Fana Coulibaly, des praticiens de la santé ont établi des relations de causalité entre certains types de pathologies et notre alimentation, en pleine mutation actuellement.
De plus en plus les pouvoirs publics éprouvent de réelles difficultés à appliquer la réglementation dans toute sa rigueur, surtout dans un domaine aussi sensible que la filière alimentation. « Nous sommes malades des aliments que nous mangeons » affirment des médecins rencontrés. Mais, de tous les produits alimentaires à risque, la viande (rouge et blanche) et le lait représentent plus de danger que les autres. Parce qu’elles sont les plus consommées. A Bamako, il n’est pas rare de croiser dans n’importe quel coin de rue des bouchers, tout rouge du sang des bêtes abattues, circulés souvent sur des motos avec de la viande entre les cuisses. Le phénomène s’est si banalisé qu’il n’inquiète plus, personne. Les services vétérinaires en manque du minimum pour travailler éprouvent de réelles difficultés à arrêter le mal. Si avant les bouchers, de peur de la rigueur de la loi, se cachaient pour abattre clandestinement les animaux, actuellement ils le pratiquent sous le nez et la barbe de la population médusée. Le hic qui fait tilt ici, c’est qu’il n’est pas exclu que des viandes de bœufs morts se retrouvent sur les étales des marchés de la capitale. D’aucuns disent que sur certains marchés de volaille, les cadavres sont récupérés pour être vendu à des clients spéciaux. Est-ce le cas dans la filière viande rouge ?
Une boucherie maladive
Difficile de répondre à cette question, mais la meilleure garantie de protection du consommateur est la soumission des acteurs de la filière à des contrôles rigoureux pour booter hors du secteur les mauvais pratiquants ou les bouchers malades. Car, les services techniques de la santé sont très regardants sur la santé du boucher. Il y a des pathologies, comme la tuberculose par exemple, dont les porteurs sont d’emblée exclus du commerce de la viande.Car, c’est une maladie fortement contagieuse. C’est pourquoi dans les pièces à fournir pour avoir l’autorisation d’exercice du métier de boucher, figure en bonne place le certificat de visite médicale délivré par la Direction régionale de la santé. Mais, en dépit de la batterie des mesures pour protéger le consommateur, les services techniques éprouvent toutes les difficultés à faire entendre raison à certains bouchers, qui sont parfois adossés à plus forts.
Selon le chef division santé publique à la direction régionale des services vétérinaires, Bamba Kéïta, dans la nuit du jeudi au vendredi dernier, un drame a été évité de justesse à Kalaban Koro. Il s’agissait d’une opération de saisie de viande à la suite d’abattage clandestin dans le domicile d’un particulier par une équipe de vétérinaires, accompagnée de deux gendarmes pour assurer leur sécurité.
A ses dires, les agents avaient été informés des abattages clandestins qui s’y opéraient, ils se sont transportés sur les lieux pour procéder à la saisie des viandes frauduleuses. Ce jour-là, c’était au total 7 bœufs qui avaient été abattus sans en informés le chef secteur des services vétérinaires local, qui aurait refusé naturellement au motif que ce n’est ni le lieu encore moins des personnes indiquées pour faire le travail. Lorsque les agents se sont présentés, les bouchers fraudeurs n’ont opposé aucune résistance mais se sont abstenus à aider les deux vétérinaires et leurs accompagnateurs de mettre les carcasses de bœufs abattus dans leur véhicule. Or chaque carcasse pèse plus de 250 kg. Les deux parties sont restées en discussion de 4 heures du matin à l’aube. Finalement le chef secteur a été obligé de se référer à la direction régionale de Bamako, dont elle relève pour gérer le malentendu. La formule proposée aux bouchers fraudeurs pour trouver un terrain d’entente a été le paiement de la taxe d’abattage pour mettre fin à la dispute. Le conciliabule était devenu tendu, au point qu’un attroupement dangereux commençait à se former autour des deux vétérinaires et les deux gendarmes, qui n’étaient pas armés non plus. Le Commissariat de Police du 4ème arrondissement s’est abstenu d’intervenir au motif que Kalaban Koro ne relève pas de ses compétences territoriales. Faire venir des policiers de Koulikoro, d’où relève Kalaban Koro, n’était pas aisé non plus. C’est pour cette raison pratique que les protagonistes trouvaient cet arrangement salutaire pour toutes les parties.
Des contrôleurs jetés dans une insécurité ambiante !
Pouvait-il en être autrement ? Surement pas. Pour la simple raison qu’au Mali, les faits sont têtus. Et le laisser-aller patent. A cause de l’environnement social et politique, caractérisé par un laxisme trop permissible, toute chose qui contribue beaucoup à amplifier l’incurie. La complicité pour ne pas dire la compromission entre le politique le monde des affaires s’est poussée jusqu’à l’hérésie au point que les opérateurs n’ont plus peur de la Puissance publique.
Difficile donc de se faire du chemin dans ce labyrinthe miné par la corruption et la collision entre les deux univers. Mais, en dépit des difficultés, l’Etat veut reprendre l’initiative en organisant le secteur du transport de la viande, qui est à l’origine de l’aggravation de l’abattage clandestin. Selon Bamba Kéïta, le secteur de la viande souffre d’une inorganisation sans pareil. Une petite enquête menée pour établir une base de donnée provisoire, a permis d’identifier environ 700 bouchers travaillant dans les divers marchés de la capitale. Le hic qui fait tilt, c’est que la plupart d’entre eux exercent le métier en l’absence de toute pièce officielle à cet effet, en particulier la patente des fiscalistés, qui est le préalable à l’exercice de toute activité économique dans un pays. Tandis que n’est pas boucher, qui le veut. Il faut être habilité pour le faire. C’est donc dans le but de séparer les vrais des faux bouchers que la Direction régionale des services vétérinaires en relation avec plusieurs autres services de l’Etat, des Collectivités et des acteurs de la filière (le syndicat des bouchers) a initié une vaste opération d’identification et de recensement des bouchers dans le District de Bamako.
L’opération a commencé en juillet 2014 et se poursuit encore jusqu’en décembre de cette année. Elle consiste à enregistrer tous les bouchers afin de leur attribuer un numéro d’identification nationale et leur doter d’une carte professionnelle digne de ce nom. Elle permettra de résoudre à terme la problématique du transport de la viande de l’abattoir aux étales des marchés. L’organisation du secteur de la distribution de la filière viande est d’une acuité extrême. Car, elle permet la connaissance du nombre exact des bouchers. Après donc la phase de recensement, commencera celle des fichages à travers l’attribution des cartes professionnelles. Pour cela, il sera procédé à la catégorisation des bouchers. Celle-ci consiste à distinguer les bouchers abattants (grossistes) des apprentis-bouchers et des bouchers abattants rôtisseurs. Une fois ce travail achevé, des véhicules de transports de viande seront mis en circulation entre les abattoirs (Sans fil et Sabalibougou) et les principaux marchés. Il s’agit des camions et des véhicules légers. Le premier relie les abattoirs aux grands marchés et les véhicules légers relient les marchés secondaires et les petits marchés des quartiers.Les petits ruminants seront transportés à bord des tricycles adaptés. Dès que le nouveau système sera opérationnel, il n’y aura plus de viande sur les motos entre les jambes des bouchers, a promis Bamba Kéïta. Mais, à ce jour, le débat sur la gestion de ces engins n’est pas tranché. D’aucuns souhaitent que la gestion soit confiée aux Mairies des communes, d’autres estiment qu’il faille la confier au syndicat des bouchers, enfin d’autres proposent la création des GIE pour assurer ce corps de métiers, qui est créateur d’emplois et de richesses.
A suivre
Mohamed A. Diakité