A la rencontre de la tradition : Les mythes de la chasse en pays dogon (suite et fin)

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Le pacte entre le sorcier et le chasseur

Le sorcier, à la différence du chasseur de gibiers, est un chasseur d’hommes. Il opère surtout en brousse. Dans le cadre de leurs activités, chasseur et sorcier se côtoient le plus souvent en brousse.

Pour ne pas nuire aux intérêts des uns et des autres, les deux opérateurs de chasse ont institué un pacte de non agression et de non dénonciation.

Dès lors le chasseur et le sorcier sont devenus des «  Magumu » (des cousins à plaisanterie). Ce cousinage particulier se pratique soit au cours d’une rencontre accidentelle dans la brousse soit au cours du « Jemu » (cérémonie au cours de laquelle on conduit les âmes des défunts à l’ombre).

Le chasseur ne souhaite pas à rencontrer le sorcier au cours de la chasse et s’il le rencontrait il le salue tout bonnement et retourne à la maison. Le chasseur connaît le secret du sorcier de telle sorte qu’en cas d’indiscipline de celui-ci vis-à-vis du chasseur, ce dernier le ramène à l’ordre.

 L’alliance entre le chasseur et les êtres mythiques

         Le pacte entre le djinn et le chasseur

Le chasseur et le djinn sont des « magumu » (cousin).

Le pacte entre le chasseur et le djinn est plus mythique et plus intéressant. Le djinn, tout comme le chasseur, pratique la chasse.

Sa chasse consiste à « coloniser » les hommes, les animaux, les monts, les eaux etc…

Au cours de la chasse, il arrive le plus souvent que le chasseur tue les animaux déjà possédés par les djinns. Cela conduit à des conflits permanents, mais, toujours le chasseur s’en sort victorieux. Finalement, il y a eu une entente entre les deux qui a institué un pacte d’amitié, de solidarité et de respect mutuel. Le pacte entre le djinn et le chasseur a été très profitable pour la société. Aujourd’hui, les hommes et les femmes possédés par les djinns sont sauvés par le chasseur.

Le pacte entre les andumbulum et le chasseur

Le chasseur et les andumbulum entretiennent de très bonnes relations. Il détient les secrets des andumbulum.

Les andumbulum, sachant que le chasseur détient leurs secrets, ont approché celui-ci pour signer un pacte dont les clauses sont les suivantes : la non agression, l’assistance mutuelle, l’autorisation de chasser certains animaux appartenant aux andumbulum.

De nos jours, le chasseur exploite ce pacte pour guérir certaines maladies causées par les andumbulum en quinze jours

Le pacte entre les mɛlɛgɛm (Anges) et le chasseur

Le chasseur entretient d’excellentes relations avec les mèlègèm.

Ils détiennent d’après les dogon, tous les secrets et biens de l’univers. Ils sont reconnus pour leur bienfaisance envers les hommes. Dans le temps, les mèlègèm offraient leurs secrets et leurs biens aux chasseurs et à certains hommes purs d’esprit et de corps. C’est pour cela, qu’aujourd’hui, il n’est pas rare de trouver dans beaucoup de familles de maîtres chasseurs, des objets sacrés offerts par les mɛlɛgɛm. Ces objets fétiches portent le plus souvent le nom de leurs donateurs « les Mèlègèm ».

Le rapport entre le feu et le chasseur

« Tout le monde craint le feu sauf le chasseur » dit un dicton dogon. Ce dicton illustre bien le rapport entre le feu et le chasseur. D’après la cosmogonie dogon, le feu est envoyé à l’homme par le Dieu « Ama » à travers la foudre. Le chasseur est le premier à le découvrir et à le dompter. Il détient le secret du feu, il l’utilise non seulement pour cuire ou griller sa viande et autres aliments mais aussi pour sa distraction. En cas de brûlure par le feu, il intervient pour soigner en l’absence du forgeron. Il faut signaler également que le forgeron détient aussi le secret du feu.

D’après une certaine légende le forgeron aurait volé le feu du chasseur pour s’en approprier et fonder son activité.

Les mythes autour des espèces chassées

Chaque espèce chassée possède un nom caractéristique. Ce chant initiatique de la société secrète des chasseurs nous fait découvrir les identités de certains animaux :

Ajamana  parande, Malukura  serede

  • Kau (le bufle) Tigè : gongon gôri yorobuge (l’accent est mis sur sa force et sa capacité d’agir) Nige (l’éléphant) tigè : gnimi-gnami (l’accent est mis sur sa démarche lente et son poids).
  • Ambara (la taupe) tigɛ : Gurulum bande (l’accent est mis sur sa profession : creuseur de galeries, chasseur d’insectes et de vers.)
  • Alua (le porc) tigè : Lôgô binde (tréfonds de la saleté)
  • Jèru (la biche)   tigè : Sangalamasanhi (l’accent est mis sur sa démarche rapide et cadencée et sur sa maigreur)

Certains de ces animaux dégagent une certaine énergie ou force appelée « Yama ».Tout chasseur, non averti, qui les tue aura des problèmes. Pour déjouer cette puissance c’est-à-dire le « Yama », le chasseur se sert de certains objets sacrés comme le « dam » (fétiche),

« Le mondo » (bracelet sacré des chasseurs) ou des versets sacrés.

La guitare sacrée du chasseur ou le « kômou »

La guitare sacrée est un don des mèlègèm au chasseur. En offrant la guitare au chasseur, les mèlègèm lui ont offert les secrets de la chasse et les secrets pour dominer non seulement les sorciers mais aussi les autres êtres invisibles tels que les djinns, les andumbulum. Le chasseur, pour casser le mariage entre Homme et djinns, pour guérir les maladies causées par les andumbulum ou pour rendre hommage aux chasseurs lors des funérailles, fait intervenir la guitare sacrée.

La guitare sacrée est détenue par les familles animatrices des mythes de la chasse en pays dogon

La danse sacrée des chasseurs

 

Les chasseurs ne dansent pas à toutes occasions. Traditionnellement la danse des chasseurs intervient lors des jemu (cérémonie rituelle au cours de laquelle les âmes des défunts sont conduites à l’ombre). Leur cérémonie de danse est appelée « andolupèlu ou danagô ».

Lors d’andolupèlu, les chasseurs dansent en sautillant, en chantant et en croquant le feu. Les pas de danse des chasseurs sont très parlants et très significatifs. Ils indiquent la joie du chasseur et en même temps la situation critique des gibiers atteints par les balles.

Le Taala (la battue ou la chasse collective)

Le tala a lieu chaque année entre les mois de Mars et

Avril. Traditionnellement, il est pratiqué sur toute l’étendue du pays dogon. Il occasionne la bonne récolte. Le tala est en fait pratiqué chaque année non seulement pour réduire l’effectif des animaux prédateurs à l’approche de l’hivernage mais aussi, commémorer l’anniversaire de la fondation des villages. Aujourd’hui, la pratique de la chasse collective a beaucoup diminué au pays dogon à cause de l’Islam et du Christianisme.

La rareté de la faune et de la flore ainsi que l’arrivée des deux religions révélées (l’islam et le christianisme) ont beaucoup joué sur la pratique de la chasse. Aujourd’hui, beaucoup de familles reconnues comme animatrices des mythes de la chasse en pays dogon, ont été islamisées et n’acceptent guère de pratiquer les rites et les croyances liées à la chasse. Si l’on n’y prend garde, dans les années à venir, la pratique des mythes de la chasse en pays dogon ne serait qu’un souvenir.

Hamadoun OUOLOGUEM

Chercheur à l’Académie Malienne des Langues (AMALAN)

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