Par complaisance ou complicité, le Conseil malien des chargeurs sombre dans une situation administrative épineuse et paradoxale qui ravive les craintes d’un scrutin joué d’avance, et auquel le président sortant est candidat à sa propre succession.
La fonction première d’une élection est de permettre aux délégués dûment mandatés de choisir leurs représentants, qui parleront et agiront en leur nom. Ainsi l’élection est une délégation de pouvoir. Elle constitue une soupape de sécurité. En effet, la possibilité pour les professionnels de pouvoir régulièrement sanctionné par le vote, d’exprimer des avis sur des questions cruciales ou, au contraire, donner un nouveau mandat au bureau sortant, évite que les désaccords majeurs trouvent un autre terrain d’expression (la rue), voire d’autres modalités (la violence)
Enfin, l’élection peut revêtir un aspect tactique : on peut y recourir au moment où on a acquis la certitude de l’emporter. Mais faute de toiletter les textes conformément aux souhaits exprimés par l’écrasante majorité des membres consulaires réunis, loisible de subodorer des fraudes à grande échelle de nature à entacher la régularité du scrutin.
La controverse
Quatre candidats sont en lice ; Boureima Moukoro, Bakissima Sylla, Souleymane Baba Touré en plus du président sortant Ousmane Babalaye Daou en poste depuis 13 ans. Une longévité autant imputable à sa popularité qu’au présumé dépassement de mandat. Sur ce dernier point, le ministre des transports et des Infrastructures, Makan Fily Dabo a émis un son de cloche différent. Les membres de l’actuel bureau ont été élus le 25 avril 2015 pour un mandat de 5 ans. Cette durée est fixée par l’article 5 du décret n° 99-426/P-RM du 29 septembre 1999 fixant l’organisation du bureau du Conseil malien des chargeurs. A l’écoute de cette seule disposition, se dégage l’impression que le bureau est en dépassement de mandat. Une lecture plutôt intelligente intègre les contestations nées de ces élections déférées devant la justice. La section administrative de la Cour suprême, tranchant en dernier ressort, avait rendu un arrêt favorable au bureau contesté d’Ousmane Babalaye Daou. Le décompte du mandat de cinq ans se fait sur la base de l’entrée en fonction le 15 mai 2015 du bureau élu. En clair, le mandat de l’assemblée consulaire court jusqu’en mai de l’année en cours. Le hic, le voilà, selon les textes, le scrutin a lieu trois mois avant la fin du mandat- ce délai imparti est bel et bien dépassé.
En principe, la reconnaissance ou la jouissance d’un mandat électif referme la condition que son exercice intervienne avant l’échéance d’un délai qu’elle fixe. Le fait de ne pas faire valoir ce droit dans ce délai entraîne la déchéance de l’exercice de ce droit. D’où les dénonciations récurrentes « d’illégitimité » et « d’illégalité » qui frappent son mandat.
Sourde oreille ?
Emergent de nombreuses questions et conséquences. En effet, la fin de mandat suppose que toutes les résolutions et décisions prises durant par ce bureau au nom et pour le compte de l’institution consulaire, sont susceptibles d’être taxées d’irrégulières et donc manifestement frappées de nullité. Cela étant, et malgré les interpellations régulières depuis quelques temps qui parlaient des dysfonctionnements administratifs bien plus que les adversaires électoraux.
Les autorités tendent à faire la sourde oreille ? Comment y mettre un terme ? Les adversaires de l’équipe actuelle croient avoir trouvé la bonne formule : à l’instar de la Chambre de commerce et d’industrie du Mali (CCIM), un collège transitoire aurait le mérite de recréer un climat de confiance indispensable au toilettage des textes jugés désuets et à l’organisation sereine d’élections libres, transparentes et crédibles. En guise de précisions, la Chambre de commerce et d’industrie du Mali s’est servie de ce puissant levier de collège électoral pour réélire notamment le décret n° 2014-0641/P-RM du 21 août fixant l’organisation et les modalités de son fonctionnement. Une astuce qui a annihilé la fraude massive par le truchement de fichier électoral fiable et limité le vote par procuration, objet de toutes les controverses.
Sourde oreille ou pas, profil bas ou pas, à un doigt des élections, il serait difficile de coucher sur papier des réformes en profondeur qui puissent emporter l’adhésion du plus grand nombre, puisqu’en la matière il serait prétentieux de faire l’unanimité. Toutefois, les listes électorales consensuelles excluent certaines irrégularités de nature à impacter la validité des élections et conduire à des contestations postélectorales.
Phobie de la transparence
Le décor est déjà planté. D’autant plus que d’aucuns croient avoir découvert la supercherie qui consiste à gonfler les listes d’électeurs d’individus issus de corps de métiers aux antipodes des chargeurs. Sans citer de noms, les langues se délient : « boulangers, pharmaciens et bien d’autres professions y pullulent. On ne peut faire obstruction aux commerçants détaillants inscrits à la Chambre de commerce et d’industrie du Mali et accueillir en catimini des pharmaciens et des boulangers. Ces derniers, à ce que l’on sache, appartiennent à la branche industrie, donc n’ont pas leur place ici ».
La relecture des textes offre une fenêtre d’opportunité de définir de façon plus précise la notion de chargeur. Comme dirait l’autre, « ceux qui ont le pantalon troué ne peuvent pas monter sur l’arbre de la transparence ». Incontestablement les réticences sont dures à cuire.
En outre, la relecture devra harmoniser l’interprétation faite du décret n0 99-426/P-RM du 29 décembre 1999 fixant l’organisation et les modalités de fonctionnement du Conseil malien des chargeurs, en son article 19 stipule que « les élections ont lieu au scrutin uninominal à un tour ». Dans la pratique, cette disposition est allégrement violée, piétinée avec le scrutin de liste. Faisant rougir de colère le père-fondateur de l’institution Abdoulaye Samaké , ex-directeur de la Somea et ancien président de l’Organisation des importateurs d’intrants agricoles du Mali (ORIAM). Malgré son âge avancé – 85 ans – il tient au CMC comme à la prunelle de ses yeux, donc suit au quotidien son évolution. Il ne peut en être autrement. A moins de s’installer à la table du diable, le géniteur ne peut se détourner de son bébé. Bien sûr le bébé a grandi, ses dents ont poussé et elles sont carnassières. Gageons qu’elles ne mordent pas la main qui l’a nourri !
Un manitou
Abdoulaye Samaké a gravé son nom dans le marbre de l’histoire du Conseil malien des chargeurs. On ne peut dissocier les premiers pas accomplis de cette institution consulaire de l’album de l’histoire de la Société africaine de transport et d’opérations maritimes (Satomar) portée sur les fonts baptismaux. Ibra Guissé, réprésentant du Port de Dakar au Mali charmé par l’idée s’en est ouvert à Abdoulaye Samaké qu’il a chargé de constituer un noyau d’opérateurs économiques intéressés. Ses efforts lui ont valu d’être mandaté par le président d’alors du Groupement des commerçants, Tidiane Tambadou d’honorer de sa présence l’assemblée constitutive de la Satomar convoquée le 31 octobre 2000 à Dakar. Mieux, Tambadou lui a donné pleins pouvoirs de coordination des actions de sensibilisations devant conduire à la naissance du Conseil malien des chargeurs. En somme, il est en terrain connu et ses propos ont tout leur poids, tout leur sens.
Ibrahim Yattara