36 ans après : Le Mali pleure toujours le président Modibo Kéita

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36 ans après sa disparition, le premier président du Mali indépendant, Modibo Kéita, reste la fierté de nombreux Maliens, à cause de ses valeurs d’intégrité et de patriotisme. Sa mort, par empoisonnement, fut un grand gâchis. Retour sur le parcours d’un grand homme d’Etat.

 

Modibo Keita, le 1er président du Mali
Modibo Keita, le 1er président du Mali

“Un jour, le soldat qui lui apportait ses repas est venu précipitamment me voir pour dire que Modibo était tombé au pied de son lit. J’ai couru pour aller dans sa cellule. Il bavait. Je l’ai pris, j’ai dit au soldat : aide-moi. Nous l’avons couché dans son lit. J’ai pris une serviette pour essuyer la bave. Je lui ai posé la question : qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce que tu as ? Il voulait parler, mais le son ne sortait pas. J’ai fait appeler l’infirmier-major et je lui ai posé la question : Modibo a-t-il été soigné ce matin ?”

 

 

Ces en ces termes que l’ancien geôlier du président Modibo Kéita, le capitaine Sounkalo Samaké (en son temps commandant du Camp para de Djicoroni) témoigne dans son livre “Ma Vie de soldat”, paru en 2007.

 

 

En effet, c’est un 16 mai 1977 que le premier président du Mali indépendant est décédé en détention dans des conditions jamais élucidées. De quoi est-il réellement mort ? 36 ans après, la question reste posée. Ni son médecin traitant, le Dr. Faran Samaké, encore moins son geôlier, n’a rien dit de ce que l’histoire peut retenir comme circonstances de sa disparition. La famille du défunt président et une bonne partie de l’opinion nationale croient dur comme fer en la thèse de l’assassinat par empoisonnement sur ordre, sans doute, de la soldatesque dirigée en son temps par Moussa Traoré.

 

Devoir de mémoire

Alors qu’il pouvait fuir, Modibo Kéita s’est laissé prendre dignement le 19 novembre 1968 par la junte dirigée par le lieutenant Moussa Traoré, entre Koulikoro et Bamako de retour d’une tournée à Mopti à bord d’un bateau. Neuf ans plus tard, il est donc mort tout aussi stoïquement dans les geôles du Comité militaire de libération nationale (CMLN).

Si les dirigeants successifs ont été incapables de faire la lumière autour de sa mort, les livres d’histoire nous apprennent que le régime de la soldatesque l’avait maintenu après le coup d’Etat dans des conditions de détention dignes des prisons de Guantanamo et d’Abu Ghraïb.

Bravant ainsi les menaces de représailles, une foule indescriptible l’a accompagné le lendemain de sa mort en sa dernière demeure au cimetière d’Hamdallaye où il repose pour l’Eternité.

Ceux qui l’ont côtoyé, retiennent de Modibo Kéita l’image d’un homme intègre, plein d’humanisme et de patriotisme. En ces moments difficiles de l’histoire de notre pays, de nombreux Maliens regrettent sa mort. Aujourd’hui, il faut le dire, la commémoration du 16 mai 1977 doit sortir du seul cadre du dépôt d’une gerbe de fleurs. Son parcours, sa philosophie et ses convictions pour le Mali doivent être davantage enseignés dans nos écoles.

 

Militant pour l’Afrique

Grand de taille, cet instituteur modèle, sorti major de sa promotion à l’Ecole normale William Ponty, en imposait tant dans le discours que dans les faits.

Né le 4 juin 1915 à Bamako, Modibo Kéita entre en 1931 au lycée Terrasson de Fougères de Bamako (actuel lycée Askia Mohamed). En 1934, il entre à l’Ecole normale supérieure William Ponty, d’où il sort diplômé en 1936. Tout en enseignant, il milite aux côtés de Mamadou Konaté pour l’indépendance du Soudan français en particulier et la libération de tous les peuples sous le joug de la colonisation.

Pour mieux affirmer son opposition à la politique coloniale de la France, il fonde en 1943 la revue “L’Œil du Kénédougou”, qui invite le peuple à s’émanciper. Avant, en 1937, il est co-fondateur avec Ouezzin Coulibaly du Syndicat des enseignants d’Afrique occidentale française. Il est détenu en 1946 à la prison de la santé à Paris pour “sentiments anti-français”.

Au plan politique, Modibo Kéita est l’un des pères fondateurs du Rassemblement démocratique africain (RDA) en 1946. Il est élu député à l’Assemblée nationale française en 1956 sous les couleurs de l’Union soudanaise RDA. Membre de plusieurs gouvernements français, il est élu maire de Bamako en 1956. Il sera le président de l’éphémère Fédération du Mali (Soudan français et Sénégal).

 

Fierté nationale et source d’inspiration

Après l’éclatement de la Fédération du Mali, il est proclamé président de la République du Mali le 22 septembre 1960. Ayant le cœur à gauche, il opte pour une économie de type socialiste. Il développe une coopération hardie avec les pays du bloc de l’Est, ce qui lui permet de fonder une économie basée sur l’effort national.

Sous sa conduite, sont créées plusieurs sociétés et entreprises d’Etat. On peut citer, entre autres, Air Mali (transport aérien), la Compagnie malienne de navigation (transport fluvial), la Compagnie malienne de transports routiers (CMTR), la Socoma, la Comatex, la Sepom (actuelle Huicoma), la Sonatam, Mali-Lait, l’Opam, la Régie des chemins de fer du Mali, etc. Bref des dizaines de sociétés qui jettent les bases de l’industrialisation et offrent de l’emploi aux Maliens de toutes les couches sociales. Il est surtout le bâtisseur de la monnaie nationale en juillet 1962.

C’est sur cette lancée qu’intervient l’ignoble coup d’Etat du 19 novembre 1968. La libération nationale prônée par le lieutenant Moussa Traoré s’avère un leurre. Elle se transforme très vite en liquidation nationale avec la disparition en une décennie de tout ce qui faisait la fierté des Maliens en termes d’acquis socio-économiques. Pis, “les exactions” reprochées au régime socialiste de Modibo Kéita s’exacerbent sous le règne du CMLN et sa version civile, l’Union démocratique du peuple malien (UDPM).

Puisse le patriotisme de Modibo Kéita inspirer nos autorités en ces heures graves pour le Mali, divisé territorialement, socialement. Dors en paix président !

Issa Fakaba Sissoko

 

 

Modibo Kéita, 1er président du Mali indépendant, son parcours, son idéologie, sa vision pour le Mali doivent être enseignés dans nos écoles pour l’éveil des consciences de la nouvelle génération

 

 

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18 COMMENTAIRES

  1. IL FAUT PAS OUBLIER LES VICTIMES DE LA MILICE SOUS SON POUVOIR QUI ONT FAIT PLEURER BEAUCOUP DE MALIENS.
    CEUX QUI ONT EU LONGUE VIE EN SAVENT.

    CHAQUE REGIME SANS CONTROLE A SA PAGE NOIRE. 😥

  2. Que l’âme de feu le Président Modibo Keita repose en paix.
    Il était un véritable leader : intègre, rassembleur avec un sens de l’éthique très élevé. Quelques illustrations de la réalité malienne sous Modibo Keita: 1°) école gratuite pour tous : les cahiers, les livres étaient distribués gratuitement; 2°) généralisation de l’internat qui permettait aux Maliens de toutes les régions de mieux se connaitre; 3°) la fraude était absolument absente de l’école; 4°) les fonctionnaires n’avaient aucun droit de jouer aux hommes d’affaires. Tout n’était pas parfait: le mauvais rôle des magasins d’Etat dans la distribution des denrées alimentaires; les abus des milices et brigadiers de vigilance.
    L’origine du mal malien provient du fait que les successeurs de Modibo Keita n’ont pas su s’inspirer des meilleures idées du premier Président du Mali dont la richesse immobilière se limitait à quelques chambres construites dans son champ (situé entre Sotuba et Koulicoro).

  3. Né dans les années 90,aujourd’hui universitaire, je ne peux rien dire du premier Président du Mali indépendant, tout ce qu’on nous a dit à l’école s’arrête au basique cours sur l’indépendance du Mali et rien sur ce qu’était réellement l’homme Modibo comme cela se fait chez les Gaulois(Français) chez qui nous prenons exemple! Je trouve cela révoltant et c’est dommage!D’après Adam Ba konaré” Le passé ne vaut que dans la mesure où il sert le présent” in “”Le Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’égard du Président Sarkozy””.

  4. Modibo Keïta, le grand, au propre mais pas au figuré; est et restera le modele dont tout président malien doit s’inspirer. Il a fait des erreurs voire quelques fautes, comme tout Homme, mais le sacrifice de cet homme pour le Mali est incommensurable. Il savait que le coup d’état des sbires du capitalisme français l’attendait à Bamako mais il n’a pas voulu verser le sang de maliens, quand d’autres voulaient ont voulu nous mettre l’enfer sur la tête à cause de notre pouvoir

  5. Chaque epoque a ses realites et parfois meme ses verites. Et celles d’hier ne sont pas forcement celles d’aujourd’hui ou meme celles de demain. Par contre si on compare les hommes, leurs statures, leur integrite, surtout leur fierte d’etre ce qu’ils sont, alors il n’y a vraiment pas photo entre les gens de cette epoque et ceux d’aujourd’hui en general et entre Modibo Keita et les plaisantins qui sautillent en ce moment et piaffent d’impatience d’etre calife a la place du calife.
    Tous tant qu’ils sont. Aucun charisme, aucune ideologie ou vision politique (mises a part quelques generalites deblaterees par-ci, par-la.
    Peut etre qu’en integrite et en force de caractere qui pourra inspirer respect, Zou est le moins distant.
    Qu’Allah puisse nous inspirer, car Lui seul est Capable.
    Mais est-ce que les Maliens se souviennent de Lui? J’en doute. Y compris ces fameux religieux qui ne refusent pas la gloire.
    Salam

  6. Merci Monsieur le journaliste pour cet article qui rappelle une fierté d’être malien. Aujourd’hui, entre malien est une honte où l’honnêteté est un crime. Merci mille fois monsieur de nous rappeler de cet grand homme.

  7. Je souviens comme si c’était hier du jour des obsèques du président Modibo Keita : la foule immense transportant son cercueil jusqu’au cimétière d’Hamdalaye, les manifestations devant le CMLN, les troupes aux ordres de Tiecoro Bagayoko et Kissima Dounkara postées dans les rues parallèles au boulevard de l’Indépendance et du boulevard Cheick Zayed (à l’époque boulevard de la Paix). Je me souviens aussi des explications vaseuses de Moussa Traoré à Radio-Mali, qui expliquait en gros que Modibo était mort de sa belle mort, malgré tous les soins qui lui avaient été prodigués. On arrêta dans les jours suivants nombre de militants qui furent bastonnés au Camp Para et contraints ensuite de faire leur autocritique à la radio… Triste époque. Ironie de l’histoire : un an plus tard, Tiecoro et Kissima étaient arrêtés, et retrogradés au rang de soldats de deuxième classe.

    • …Je me souviens moi aussi du suicide d’un certain Dr Faran SAMAKE au lendemain de l’arrestation des Kissima-Tièkro et Karim.Je me souviens que Moussa TRAORE avait demandé au frère du président un certain Mallé KEITA de designer un medecin de son choix pour pratiquer l’autopsie sur le corps de l’ex-président!Je me souviens du “Ca je ne ferai jamais à mon frère” de Mallé Keita en guise de réponse selon GMT.Je me souviens aussi de la phrase de Modibo (selon les archives):”Au fait à quand vous allez finir avec ces détenus?” (parlant de Fily Dabo-Dicko et Kassoum Touré)lancée à un de ses proches collaborateurs!Je me souviens que quelques jours après, les fily ont été passés par les armes dans le desert non loin de Kidal….Je me souviens…. 😉

  8. VOUS REMERCIE A VOUS QUI, EN TANT QUE VRAIS CONCITOYENS ET DIGNES DE L’ÊTRE. CAR, SEUL L’HOMME DIGNE RECONNAIT AISÉMENT LA DIGNITÉ. VOUS REMARQUEREZ BIEN VOUS N’ÊTES NOMBREUX A POSTER DES COMMENTAIRES, EN CE SENS QU’ILS PRÉFÈRENT SOUTENIR MOUSSA TRAORE QUI A MONTRE LA VIOLENCE ET TOURES LES MAUVAISES MOEURS A NOTRE CHER MALIBÂ; NOTAMMENT LES VIES HUMAINES QUI N’AVAIENT AUCUNE VALEUR A SES YEUX ET LA CORRUPTION QUI A SERA PLUS FLAGRANTE LORS DES RÉGIMES D’APRES LUI ET QU’ILS ONT HÉRITÉ. DE PLUS, MALGRÉ CET INSTANT TERRIBLE QUE LE MALI VIT, MOUSSA MONTRE PUBLIQUEMENT QU’IL N’ATTENDAIT QUE CELA. DEVONS-NOUS ENTENDRE PAR LA QU’IL AURAIT FALLU QUE LE MALIBÂ TOMBE POUR QUE LUI MOUSSA TRAORE PUISSE ASSOUVIR SA HAINE QU’IL NOURRISSAIT ENVERS TOUS LES MALIENS ET MALIENNES. JE CROIS QUE JUSQU’À CET INSTANT NOUS MÉCONNAISSONS MOUSSA. HÉLAS! INCHALLAH ANKAMALI NE TOMBERA JAMAIS, CAR ALLAH SEUL VEILLE SUR LE MALI ET LES CIRCONSTANCES ACTUELLES EN TÉMOIGNENT.ALLAH BENISSE MODIBO KEITA! AMMEN

    • Le silence de nombreux maliens ne veut pas dire qu’ils ont oublie Modibo. En tout cas je trouve cela plus noble ques les actes et les paroles d’un Alpha qui a rehabilite Modibo avec un memoriale en sa memoire mais qui juste avant de quitter le pouvoir a rehabilite Moussa Traore en lui restituant des milliards. Je ne suis pas seulement perplexe, je suis ecoeure par tant d’indignite de Alpha. Que dire d’un Django qui pense encore nous tromper en deposant lui une gerbe de fleur sur la tombe de Modibo? Que dire d’un Dioncounda qui pretend avoir lutte contre la dictature de Moussa et qui est retourne cherche son plus proche conseille pour lui confie le gouvernement du Mali en ces heures obscures de notre histoire?
      Le Mali n’a pas encore pris le chemin de l’honneur. Que nos dirigeants soient pour la plupart des hypocrites cela on le sait mais voila qu’en plus ils n’ont aucune dignite. Je suis desole mais Il nous faut faire le chemin inverse et relever tout ce qui est tombe.

  9. L’histoire à donné raison à Modibo KEITA .Voilà le vrai Chef d’Etat Patriote que le MALI n’ait jamais connu, qui ,en huit ans de règne a posé les jalons d’un Développement par la création des usines et sociétés coopératives…Mais hélas! Moussa Traoré, porte drapeau de la jalousie capitaliste et impérialiste, ramena l’économie malienne au désastre.La catastrophe s’y est installé:
    -caisses du trésor public, en dividendes, vidés,
    -détournements des deniers publics,
    -pillage et liquidation des usines,
    -faillite et liquidation des coopératives…
    Dors en paix Modibo KEITA ! Que ton âme repose en paix !

  10. Dans l’histoire du Mali indépendant, Modibo Keita restera à jamais un Patriote, un Politique et un Stratège ; le seul homme politique africain que la France de Charles de Gaulle écoutait et “regardait droit dans les yeux”. Ses discours politiques d’entre 1956 (député à l’assemblée nationale française) et 1964 resteront pour tous ceux qui sont soucieux du développement sociopolitique et économique du Mali et du continent africain des références où il convient d’extraire des éléments d’analyse du contexte désastreux de notre pays au cours des quarante dernières années. Certes, des erreurs d’appréciation ont été commises dans différents programmes qui ne visaient somme toute que la mise en place d’un « état moderne », un Etat africain au sens propre du terme. Comme toute œuvre humaine, celles-ci n’ont malheureusement pu être corrigées à temps, voire rectifiées ou réorientées. L’héritage de Modibo (éducation, culture, agriculture) est incontestablement à la hauteur des ambitions qu’il nourrissait pour faire de la vallée du Niger-Sénégal l’un des poumons économiques et politiques du continent africain. Par ses engagements syndicalistes, politiques et panafricanistes, Modibo Keita a marqué son siècle. Le Mali et l’Afrique lui doivent beaucoup. Dors en paix Simbon.

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