Le mois de mars symbolise depuis plus de trente années les sacrifices et victoires héroïques du peuple malien contre les 23 années d’un régime qualifié de sanguinaire et dictatoriale par ses tombeurs. Une perception toujours nuancée par l’héritier politique autoproclamée du Général Moussa Traoré, Choguel Maiga, qui est même monté de quelques crans dans sa posture, en passant graduellement de la contestation au révisionnisme jusqu’au négationnisme. L’actuel Premier ministre de Transition saura-t-il pousser la cohérence au point de se soustraire à l’obligation qu’ont les hautes autorités d’honorer annuellement des martyrs qu’il n’a de cesse de désacraliser ?
Le Premier ministre Choguel Maiga se singularise en effet comme la voix dissidente la plus courageuse contre la description des événements du 26 mars et leur teneur historique. Il se sera illustré à ce titre par une constance à toute épreuve lors des débats ou confrontations d’idées sur les motivations et vertus du mouvement démocratique ainsi que sur les acquis engrangés par l’avènement de la démocratie au Mali, depuis la chute de Moussa Traoré. Le défi de réhabilitation ou de dédiabolisation du défunt régime de l’UDPM, son parti d’origine, est sans doute passé par-là et le chef du Gouvernement s’en est visiblement donné à cœur-joie dans sa position plus stratégique et plus confortable de Premier ministre de Transition. Il ne se passait certes d’aucune occasion de prendre en défaut les acteurs du mouvement démocratique sur les atteintes ou violations occasionnelles des droits, mais son accession à la Primature lui aura servi comme d’une opportunité inespérée de faire aboutir un dessein de démystification de la démocratie malienne ainsi que des acquis et sacrifices ayant sous-tendu son avènement. Quoiqu’il n’en eut l’opportunité que par un combat communément mené avec des figures emblématiques de ce même mouvement démocratique, le Premier ministre n’a chiche de s’acharner contre ses compagnons du M5-RFP par des allusions et insinuations sur la culpabilité des démocrates dans le péril existentiel qui guette le Mali. De la destruction de l’outil défensif du pays jusqu’au système éducatif en passant par-là mal-gouvernance, tous les problèmes contemporains du Mali sont exclusivement imputés à la période des trente dernières années, a-t-il coutume de rabâcher. Au point d’en agacer des compagnons de lutte peu disposés à abjurer l’engagement et les convictions de toute une vie pour certains au nom d’un simple épisode. Quoiqu’admettant leur aspiration commune au changement et l’adhésion au parachèvement du combat commun pour cette cause, ils se sont par conséquent vigoureusement démarqués des tendances révisionnistes du chef du Gouvernement et non moins ancien porte-parole du M5-RFP. La protestation de la frange anti-négationniste de ce mouvement fait suite à celle d’autres acteurs de mars 1991 tout aussi heurtés et excédés par ce qu’ils ont souvent ressenti comme une tentative de réécriture de l’histoire sur fond de contestation des événements dramatiques ayant emporté le mentor politique de Choguel MaÏga, il y a une trentaine d’années. C’était la portée, en tout cas, des affirmations du Premier ministre selon lesquelles les martyrs de 1991 se comptent parmi les fous et les mendiants de la capitale ainsi que de ces dénonciations de fausses preuves et faux témoignages ayant prévalu à la condamnation du Général Moussa Traoré.
Les sonnettes d’alarme et levées de boucliers ont finalement étouffé les vagues provocatrices du PM, mais la polémique est censée refaire surface et rebondir de plus belle à la faveur des communions, commémorations et hommages que la nation consacre annuellement aux martyrs. Le rituel consiste chaque année à mobiliser les officiels pour un dépôt de gerbe au monument symbolisant les sacrifices contestés par le Premier ministre. Alors question : Choguel Maiga va-t-il sacrifier à la tradition en acceptant la corvée à contre-cœur ou choisira-t-il de s’en dérober ? La première option apparaîtrait aux yeux du monde comme une abjuration de ses convictions profondes, tandis que la seconde serait assimilable à un renoncement de prérogatives voire une démission tout court de ses responsabilités.
En définitive, un instant de vérité qui approche à pas de géant pour celui qui porte dans l’histoire du Mali démocratique la première Déclaration de politique publique sans la moindre allusion au 26 Mars.
A KEÏTA