10 Novembre 2020-10 Novembre 2022 : Quand ATT parlait d’ATT (3ème partie)

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Le 10 novembre 2022 marque le deuxième anniversaire  de la disparition de Amadou Toumani Touré, affectueusement appelé ATT ou encore le Soldat de la démocratie. Qui était l’homme ? Quel a été son parcours de son Mopti natal à Koulouba ? ATT s’était prêté à un exercice inédit de parler de lui-même, dans une interview accordée au journal le Contrat (son organe de campagne lors de la présidentielle de 2007)… Bref, ATT avait tout dit d’ATT. Pour la postérité L’Aube revient sur cette interview inédite.

 

… Le fait d’avoir été témoin de tant d’évènements et d’avoir été à la croisée des chemins

explique-t-il votre grande humilité ?

Mon passage à l’Ecole de Guerre a renforcé ma conviction qu’en toute chose, il faut rester humble. Là, nous avons visité les bases atomiques, les avions porteurs de bombes atomiques. Nous simulions les plus grandes guerres du monde avec comme protagonistes les puissances du Pacte de Varsovie et celles de l’OTAN. Dans cette ambiance surréaliste, le directeur de cette institution, un Amiral, nous a donné quelques conseils. «Travaillez très sérieusement, nous a-t-il dit, vous êtes préparés à faire la guerre. Mais je vous prie d’être attentif à ce que je vais vous dire. Ne vous prenez jamais au sérieux !».

Je pense que dans mon comportement de tous les jours, je suis un faux naïf. La considération et le respect que je porte à l’autre sont très souvent mal interprétés ; ils ne sont jamais feints. Quel que soit l’acte posé par l’autre, je m’interdis un certain type de discours à son endroit. En outrepassant cette réserve, moi-même ainsi que ceux qui me connaissent bien ne me reconnaîtront plus.

Quand on a eu le privilège de présider aux destinées d’un pays comme le nôtre, il faut avoir une bonne dose d’humilité et de bon sens. Chaque jour, vous devez dire que vous n’êtes pas forcément le meilleur qui serait arrivé aux affaires par voie de concours académique. C’est la voie du destin, certes, mais vous restez quand même un homme avec ses qualités et ses défauts.

 

Est-ce là l’explication de votre grande capacité d’écoute ?

C’est curieux, tout le monde dit que j’écoute beaucoup. Honnêtement, moi je crois plutôt que je parle beaucoup. Je ne sais pas trop à quoi cette impression tient. Mais au-delà, il faut dire que, un jour, un pays et un homme se sont rencontrés.

En 2002, je me présente aux élections en me disant que je pourrai apporter une petite pierre à l’édification de notre pays. Je suis élu.

Je m’entoure d’une équipe avec pour mot d’ordre de réaliser ce pour quoi nous sommes là. Au bout de cinq ans, on a relevé le défi. Je me dis encore que nous pouvons faire plus car les conditions ne sont pas plus défavorables qu’en 2002. Il y a des choses à finir. Je me suis à nouveau présenté devant les électeurs qui m’ont renouvelé leur confiance.

Etre Chef d’Etat une fois et Président de la République deux fois, ce n’est pas donné à tout le monde. Lorsqu’on vous témoigne tant de confiance, il faut savoir être modeste et laisser l’humilité vous habiter. Car sur les dix millions de maliens, au moins un million pourrait prétendre à votre place. Si c’est vous qui êtes choisi, il faut rendre grâce à Dieu.

C’est pour cela que je me dis : « au fond, je resterai toujours redevable au Mali et aux Maliens. Et même le moment de la retraite venu, dans ma chaise longue, je me demanderais encore comment je vais pouvoir payer toute la dette morale que je dois à ce pays ». Aux enfants et aux femmes de ce pays, je resterai éternellement redevable.

 

Monsieur le Président, en bon fils de Mopti, il paraît que vous aimez la sauce au poisson séché, le fameux « Tièkouroulé ». Pouvez-vous nous parler de vos préférences culinaires ?

Ce n’est pas spécialement le tiékouroulé. Nous, à Mopti, nous le préparons pour l’envoyer aux

Coulibaly à Bla et bien au-delà. Pourtant, je me suis fait une promesse, c’est de laisser les Coulibaly respirer un peu au cours de ce second mandat. Mais jusqu’au 8 juin, j’ai encore un peu de temps pour les chahuter. Et après, on verra !

Pour tout vous dire, j’aime les plats maliens, qu’il s’agisse du bassi ou du bassi niougou (variantes de couscous), du to, du tiordi (met à base de riz, de poisson et d’huile) de Mopti, du fakohoye ou du haricot.

 

Au fond, les Coulibaly n’ont pas si tort que ça ?

Non ! Si je suis invité quelque part, le meilleur service que vous pouvez me rendre, c’est d’amener le grand plat commun avec la tête de poisson, on se lave les mains et on mange. Si vous m’amenez des mets compliqués comme le steak, les frites…, vous risquez de m’affamer.

Laissez-moi vous dire que depuis que je suis chef d’Etat, je passe une partie de mes vacances à Mopti. Lors de ces séjours, ma mère se donne un mal fou pour me faire à manger. Elle va chercher des cuisinières et on me propose frites, steak, poulets, rien que des plats servis dans les hôtels. Un jour, je lui dis « Maman, si tu ne veux pas que je reviennes ou si tu veux m’affamer, il faut continuer ce que tu fais ». Elle est très étonnée. Je luis dis : « D’abord, c’est mal fait. Puis, ça ne m’intéresse pas. Et les plats que tu cuisinais dans mon enfance ? La tête de poisson le matin avec les galettes de mil, le bassi niougou dans lequel on versait du lait à un moment, le tionmantion (met à base de riz, de poisson et de beurre de karité chauffé à haute température), le poisson mopticien grillé, le Fana (espèce de carpe à la peau épaisse)… ? C’est ça que je veux manger et c’est pour cela que je reviens à Mopti.

Avec mon épouse, c’est la même chose. Elle me reproche d’être très avare en compliments à propos de sa cuisine. Je lui rétorque : « Pourtant je n’ai jamais dit que ce que tu prépares n’est pas bon. J’avoue cependant que ma cousine Lobbo est un vrai cordon bleu ».

Au fond, je mange tout ce qu’on me propose. Mais mes préférences sont largement les plats maliens.

 

Monsieur le Président, lors de la grande sécheresse de 1972, vous auriez participé, aux côtés de militaires de l’US Air Force, à un pont aérien en vue de ravitailler les populations du Nord. Cette expérience a-t-elle été déterminante dans votre engagement dans l’humanitaire ?

On aura un jour l’occasion de parler de la Fondation Pour l’Enfance qui a été reprise par mon épouse. Elle et son équipe ont fait du bon travail. Je me demande si elles n’ont pas fait mieux que moi. Je voudrais dire tout de suite que j’ai été toujours solidaire ; je partage ce que j’ai avec les autres. Certains Coulibaly disent que je suis avare. Je leur rétorque que je ne peux pas leur donner ce que je n’ai pas. Ce que je vous donne, c’est ce qui m’appartient. En toute franchise, je partage. Je suis très attentif à ce qui arrive aux autres s’ils me le disent. Parfois je ne le sais. Chaque fois que je suis au courant d’évènements heureux ou moins heureux survenus autour de moi, j’apporte ma modeste contribution.

Chez moi, l’humanitaire est un trait de caractère. J’aime la vie en société, je n’aime pas rester seul, je voudrais toujours causer avec quelqu’un, je voudrais prendre mon temps pour écouter ou pour parler.

Pour revenir à la première mission humanitaire à laquelle j’ai participé, c’était lors de la grande sécheresse de 1972. C’était une mission militaire.

Les régions du Sahel et le grand Nord ont été particulièrement touchés. Nous y avons enregistré beaucoup de pertes en vies humaines, le bétail a été décimé ainsi que le pâturage. La communauté internationale a volé au secours du Mali.

Pendant trois à quatre mois, nous avons organisé un pont aérien. On chargeait des vivres à Bamako pour rallier des points de desserte tels Gao, Goundam, Nara, Tombouctou.

Dès fois, en un jour, on pouvait faire deux rotations sur Gao et

Tombouctou. C’est à l’issue de cette mission que les américains m’ont décerné ma première médaille, la médaille de sauvetage des Etats-Unis.

Un jour, on était dans un C-130 US avec vingt tonnes de semoule à décharger à Sévaré. Au moment où nous nous apprêtions à amorcer l’atterrissage à Sévaré, j’ai observé une anomalie sur une pièce essentielle de l’avion. Une grosse boite contenant un liquide rouge avait éclaté. Par la suite, on m’a dit que c’est le dépôt hydraulique, une pièce qui commande les freins et tout ce qui est mouvement dans l’avion. A ce moment précis, j’étais seul dans l’avion, les membres de l’équipage étant préoccupés à chercher l’axe de Sévaré pour atterrir. Je me suis précipité dans le cockpit pour signaler cette défaillance.

Comme mon anglais était approximatif, j’ai dû tirer le navigateur par le bras pour qu’il vienne voir. On était pratiquement au niveau de la piste d’atterrissage. Dès que le navigateur a réalisé ce qui venait d’arriver à l’avion et qu’il l’a rapporté au pilote, celui-ci a automatiquement mis les gaz et a lancé : « Aéroport de Bamako ». Nous avons pris de l’altitude et nous sommes revenus à Bamako. Sans y être, vous pouvez imaginer la frayeur que cela a provoquée à l’aéroport de Sévaré. Le lendemain de cette mésaventure, les Américains me disent qu’on va demain matin à 6h à Goundam. Je leur demande comment ? Dans le même avion, me répondent-ils. Les Américains m’expliquent qu’ils ont un planning qu’ils  doivent respecter scrupuleusement au motif que l’avion qui doit remplacer celui actuellement en service ne sera pas à Bamako avant deux à trois jours. Ils se proposent donc de réparer le C-130 et de voyager le train d’atterrissage dehors. Très bien, dis-je. Je vais au Camp Para, je cherche le gardien du magasin des parachutes et je prépare mon parachute et un autre de secours.

Le lendemain, j’arrive et les Américains me voient débarquer avec mon sac. Je monte à bord, je dépose mon sac que j’ouvre. Ils me demandent ce qui se passe. Je leur explique : « Si ça se passe bien, tant mieux ! Dans le cas échéant, ouvrez moi la porte pour que je saute. A l’aller comme au retour, tout s’est très bien passé et je n’ai pas eu à utiliser mon parachute.

Je crois que cet épisode a dû laisser le meilleur souvenir à l’équipage américain qui en a ri aux larmes chaque fois que l’incident était évoqué.

 

Monsieur le Président, vous avez passé toute votre carrière professionnelle au Camp Para. Vous avez commandé et formé des milliers de soldats. Mais il se dit que vous n’avez jamais eu à sanctionner un de vos éléments. Alors, quel chef militaire avez-vous été ?

Je suis arrivé à la Compagnie Para Sous-lieutenant ; j’y suis resté Commandant, Lieutenant-colonel jusqu’à atteindre le grade de Général de brigade. Le Camp Para, c’est toute ma vie. C’est là que mes filles sont nées. Chaque fois qu’une de mes filles se mariait, l’office religieux s’y est déroulé. Nous y avons une petite mosquée à laquelle nous sommes très attachés. Dans les Paras, il y a des habitudes.

D’ailleurs, à ce propos, les autres corps de l’armée nous chahutent. Ils disent que les autres ont un cerveau, les Paras ont deux jambes. Veulent-ils dire que nous ne sommes pas très intelligents ? Ce dont nous sommes sûrs, c’est que les Paras sont courageux.

J’ai eu un type de commandement qui ressemblait à ma personne. J’avais un contact direct avec mes hommes. Dans les unités paras, tu vis la vie des hommes. Si vous rentrez dans l’avion, vous prenez le même risque. Si vous sautez en parachute, ce sont les mêmes risques. S’il y a manipulation d’explosifs ou exercices commando, vous prenez les mêmes risques.

Chez les paras, on ne dit pas « allez-y ! On dit « suivez-moi ». Vos hommes vous regardent directement droit dans les yeux. Ils savent ce que vous éprouvez. Vous partagez leur peur, leurs peines, leur fatigue durant les exercices de marche de nuit. Vous êtes très collés à vos hommes. Ce qui fut mon cas. Dans le feu de l’action, il faut peut-être voir mes galons pour savoir que je suis Capitaine,

Commandant ou Lieutenant-colonel. Mais surtout, j’étais à l’écoute de mes hommes. Pour moi, rien n’était futile. Je considérais mes hommes non pas comme des subordonnés, mais comme des collaborateurs. Le reste, ça été facile.

Dans ma vie d’officier, je ne me rappelle pas avoir puni quelqu’un, et

Dieu seul sait que certains le méritaient.

J’avais un contact direct avec mes hommes, ce qui me permettait de leur parler, d’être au

Diarra Diakité à Bruxelles
Diarra Diakité

courant de leurs soucis, de savoir s’ils ont des écarts avec la discipline, etc. J’ai vécu une vie de soldat. Au-delà des unités parachutistes que j’ai commandées, j’ai beaucoup d’élèves qui sont capitaine, commandant et même colonel. J’ai été très souvent sollicité comme instructeur militaire notamment pour le compte de l’Armée de l’air. A défaut d’être un instituteur, je suis devenu un instructeur.

Propos recueillis

par Diarra Diakité

(Le Contrat No 20 du jeudi 07 juin 2007)

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