Pourquoi les travailleurs et retraités maliens ne croient pas au régime de l’AMO (Assurance maladie obligatoire). La révolte contre le projet est symptomatique du bris de la relation de confiance entre les citoyens et les gouvernants.
Il faut dire qu’au départ, l’idée d’une assurance maladie pour tous les travailleurs, retraités, pensionnés du Mali et leur famille est une excellente idée. Elle est non seulement séduisante mais pouvait constituer une bouée de sauvetage dans un pays où l’espérance de vie est à 53 ans, les maladies endémiques prolifèrent, les coûts de santé astronomiques et le système de santé gangrené par la corruption et la malhonnêteté. Mai il fallait lancer l’initiative tout d’abord en usant d’une appellation moins polémique, moins effrayante. Au lieu du terme « obligatoire », les panélistes qui ont pondu le concept auraient pu choisir « Assurance maladie universelle ». Comme ce fut le cas en Côte d’Ivoire pour le projet mort-né de Laurent Gbagbo, comme c’est le cas en France, au Maroc ou au Canada.
Cependant, au-delà même de l’approche sémantique, l’AMO portait en elle les tares qui conduiront fatalement à sa mort. Au conseil des ministres du 20 avril, il a été dit que l’adhésion sera désormais volontaire. Il est évident aujourd’hui qu’après la fronde des enseignants, des policiers et des retraités, l’AMO ne restera qu’une coquille vide. Pourquoi : parce que les Maliens n’ont tout simplement pas confiance. Le contrat tacite entre gouvernants et gouvernants, le pacte moral entre un Etat et ses administrés est basé sur la confiance. Le peuple obéit aux lois et règlements, se soumet aux décisions quand il a confiance à ceux qui sont placés au sommet de la pyramide. Or, ce n’est tout simplement pas le cas dans notre. Avant de revenir aux ratés de cette AMO, passons en revue les précédents.
Depuis des années, les usagers de la route sont soumis à un racket quotidien et permanent au niveau des postes de péage et pesage. Cette manne dont on ignore le montant est supposée servir à l’entretien permanent des routes. Or, de l’aveu même du ministre de l’Equipement et des transports, les routes du Mali (Diéma-Kayes, Sévaré-Gao, Bamako-Kita, entre autres) sont dans un état de dégradation avancée. Ou file le magot ? Seuls ceux qui le gèrent savent.
Il y a quelques années, le président Amadou Toumani Touré a annoncé, à grand renfort de publicité, la gratuité de la césarienne. Les hôpitaux, CSCOM et cliniques privées reçoivent 50 000 francs CFA par opération. Or, ces structures et une partie du personnel, la frange véreuse, s’est arrangée pour inventer des frais qui totalisent exactement les 50 000 francs d’antan. Le Jackpot !
Puis, le programme de lutte contre le palu, la tuberculose et le Sida. Toutes les femmes enceintes du Mali et les enfants de moins de cinq ans doivent recevoir des moustiquaires imprégnées et des antipaludéens gratuitement. Or, ce n’est pas le cas. Aucun n’habitant de Bougouni, par exemple, ne reçoit ces faveurs. Zéro. Et l’opinion se souvient, avec douleur, des détournements par milliards opérés dans ce généreux programme offert par les donateurs extérieurs.
Autre nom dans une liste non-exhaustive, les contributions volontaires des Maliennes et Maliens dans l’organisation ou la participation des Aigles aux coupes d’Afrique des nations. Jamais n’avons-nous entendu un compte rendu détaillé des montants récoltés et de leur utilisation.
Certes, il s’agit là de sujets sans lien avec l’AMO. Mais, ces antécédents, ajoutés les uns aux autres, ont fini de convaincre le citoyen lambda que jamais rien ne se fera dans la transparence et la clarté au Mali. Les travailleurs n’ont pas confiance. Ils sont convaincus, avec l’expérience passée, que l’AMO sera vite détournée de son objectif, les montants engloutis, les cotisations volées et les prestations inexistantes. Les travailleurs sont convaincus que les structures de santé continueront à agir, comme à l’ancienne, sans intérêt pour la loi. Ils continueront à exiger des paiements, des dessous de table et des faveurs indues. Bref, ils sont convaincus que l’AMO, à l’instar d’autres initiatives, sombrera vite dans les mauvaises habitudes. En toute impunité et laxisme.
Au niveau gouvernemental, les faits et gestes confortent la méfiance. L’AMO a flanché quand l’affaire du serveur de l’ancien ministre Sékou Diakité (et ses « prestations intellectuelles ») a éclaté au grand jour. La structure n’avait pas vu le jour qu’un milliard et demi de francs CFA avaient été engloutis dans l’opacité la plus totale. L’entêtement de Siaka Diakité, patron de l’UNTM à cautionner un projet donne le sentiment qu’il cache des choses. Le 21 avril, après avoir annoncé des interviews en direct des ministres Sidiki Konaté et Harouna Cissé sur le sujet, l’ORTM a annulé la prestation avec un simple bandeau défilant en bas de page. Le lendemain, la communication du ministre Harouna Cissé était aussi convaincante qu’un curé expliquant les joies de la vie conjugale. Voix monocorde dénuée de conviction, regard endormi sous d’épaisses lunettes, gestuelle molle, on ne pouvait trouver meilleur professeur pour enterrer le projet.
Il est regrettable qu’au moment où les Maliens n’ont jamais eu autant besoin de couverture sociale, que cette saga AMO se termine par l’odyssée d’un cul-de-jatte tentant d’escalader le mont Hombori. Une idée généreuse, lumineuse, de portée humanitaire mourra de sa belle mort parce que le contrat de confiance entre gouvernants et gouvernés est rompu.
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