Manque de confiance, méfiance, ignorance sont, entre autres, les mots qui reviennent, ici et là, dans les propos des différentes personnes rencontrées au cours de cette enquête sur l’AMO, que nous avons menée à Ségou et à Bamako.
Alors que la contestation perdure dans l’adhésion à l’Assurance Maladie Obligatoire, chez la grande majorité des Maliens, et non des moindres, nous nous sommes tout d’abord rendus à Cinzana, à 35 km de Ségou, pour décortiquer le mode de fonctionnement de la MUSAC, une mutuelle-pilote. Tout au long des quelques heures passées auprès des ruraux, nous avons vite compris l’importance de ce type de démarche, qui a débuté dans les années 2000.
Entre 2000 et 2002, un travail de fond, incluant la sensibilisation, l’information, l’étude de faisabilité socioéconomique (état des lieux de l’offre de services de santé dans la commune) a été fait. Selon les explications du Dr. Barry, de la Coordination régionale de la Fondation Novartis pour un Développement Durable, de 1979 à 1999, les agriculteurs avaient acquis plusieurs techniques qui leur permettaient d’avoir des rendements meilleurs. Il fallait donc voir dans quelle mesure leur permettre «d’accéder de plus en plus à des soins de santé».
C’est dans ce cadre qu’un appel à candidatures a été lancé pour une thèse sur la nutrition et la malnutrition vues du village. Au même moment, la mairie de la Commune rurale de Cinzana demandait une couverture sanitaire plus accrue. La Fondation a alors commandité une autre étude, sur la mise en place d’une mutuelle de santé. Et, le 10 août 2002, la première Assemblée générale de la Mutuelle de Santé de Cinzana (MUSAC) s’est tenue. Deux ans plus tard, ses membres procédaient au recrutement des adhérents. Des adhérents qui bénéficieront, dès le 4 janvier 2004, de certains avantages: prise en charge des maladies ambulatoires à hauteur de 60% et des accouchements compliqués à 75%, entre autres. Pour ce faire, la MUSAC a signé des conventions de prestations de services avec l’ASACO de Cinzana. Avant, qu’en 2003 le centre de santé actuel ne voie le jour.
Comme nous l’a confié le président de la MUSAC, Mamadou Coulibaly, tout n’était pas acquis à l’avance. «Il fallait sensibiliser, rencontrer et expliquer aux producteurs les avantages de la MUSAC. Certains étaient réfractaires, d’autres compréhensifs mais hésitants. Nous avons travaillé nuit et jour pour atteindre les résultats que tout le monde connaît». Et ces résultats sont édifiants. Ce sont, en effet, environ 72 villages, composant les quatre aires de santé (aussi bien celles qui fonctionnent que celles qui ne fonctionnent pas) qui ont adhéré à la MUSAC.
Les choses ne font d’ailleurs que s’améliorer. Désormais, pour les malades ambulatoires, le taux de prise en charge est passé à 75%. Les femmes enceintes qui effectuent toutes leurs consultations prénatales au Centre de santé, sont prises en charge, à l’accouchement, à 100%. Dans toute la région de Ségou, la méthode a séduit. Si bien que les pourparlers ont abouti à une démarche salutaire: les mutualistes déboursent 4 020 FCFA. 2 000 F sont destinés à la MUSAC et le reliquat va dans une caisse regroupant toutes les mutuelles de la 4ème région.
Évoquant le sujet qui préoccupe tous le Maliens actuellement, à savoir l’AMO, Mamadou Coulibaly regrette «un manque d’informations pointues». Soulignant, au passage, que «si les personnes qui manifestent contre cette assurance connaissaient ses avantages, elles ne sortiraient pas une seconde pour protester». Car, conclura-t-il, «quand on sait qu’on est malade ou qu’un proche l’est, et qu’il y a un recours possible, comme la mutuelle ou l’AMO, il faut y adhérer. C’est une forme de solidarité entre personnes bien portantes et malades. C’est là où l’AMO et toutes les mutuelles de notre pays se rejoignent».
Solidarité. Le mot est lâché. Si l’on décortique bien la nouvelle assurance maladie, rendue moins «obligatoire» par les politiques, on se rend compte de similitudes avec sa «cousine» ou plutôt sa «sœur aînée» de Cinzana. Selon les concepteurs de l’AMO, son principe fondateur est de cotiser selon ses ressources, pour se faire soigner selon ses besoins. En d’autres termes, la solidarité s’exerce entre personnes aux revenus élevés et personnes aux revenus modestes; personnes en bonne santé et personnes malades; fonctionnaires, salariés, pensionnaires et indigents… La MUSAC et l’AMO prennent en charge les adhérents et leurs ayant-droits. Le niveau de prise en charge à l’AMO est de 80% des frais pour l’hospitalisation, 70% pour les soins ambulatoire. Concrètement, pour un palu simple, dont le traitement coûte entre 4 000 et 7 500 FCFA, on déboursera entre 1 200 et 2 100 FCFA en tant qu’adhérent de l’AMO. Pour le traitement de l’adénome de la prostate, qui oscille entre 250 000 et 300 000 FCFA, il reviendra à 60 voire 50 000 FCFA, si l’on est bénéficiaire de l’AMO. Comme la MUSAC, l’AMO a signé, au moment où nous menions notre enquête, des conventions avec tous les établissements publics hospitaliers, les districts sanitaires (60 CSRéf) et près de 200 officines de pharmacie.
La cotisation à l’AMO se fait par une double contribution: 3,6% pour le fonctionnaire et 4,48% pour l’Etat. Le salarié verse 3,06% de son salaire et l’employeur du secteur privé 3,5%. Pour les pensionnés et les veuves, la cotisation est de 0,75%. Les assurés volontaires, pour leur part, cotisent à hauteur de 6,56%. Il faut aussi noter que dans les deux cas, une période dite de sûreté est observée par les nouveaux adhérents: 3 mois pour la MUSAC et 6 pour l’AMO.
Si les avantages de l’AMO sont incontestables, pourquoi a-t-elle alors du plomb dans l’aile? Certains évoquent le manque d’informations claires. C’est le cas de Seydou Koné, que nous avons rencontré au Centre de santé de Cinzana. Il venait accompagner sa mère malade. «Au départ, on ne nous a pas dit combien serait retenu sur nos salaires. La nouvelle et la ponction nous sont tombées sur la tête, alors que la MUSAC avait fait, à l’avance, un travail de fond. Il faut que les politiques retiennent qu’au Mali on ne peut plus imposer des choses, fussent-elles bonnes. Il faut un échange, un dialogue avec toutes les couches socioprofessionnelles. Il faut décortiquer les choses, afin que nous sachions ce qui va nous être servi. Dans le passé, nous avons été trop bernés par les politiques».
Même son de cloche chez ce cadre averti : «On nous a dit que le traitement du palu était gratuit chez les enfants de moins de cinq ans. Nous voyons aujourd’hui ce qu’il en est. On nous a dit que la césarienne était gratuite. De nos jours, nous payons le double d’avant. Il y a plusieurs années, on nous a demandé de cotiser pour les jeunes diplômés sans emploi, afin qu’ils bénéficient de soins de santé. Qu’est-il advenu de tout cet argent? Nous sommes habitués aux politiques des différents gouvernements, qui inventent des choses pour glaner de l’argent. Quand ils ont les poches pleines, ils laissent tomber l’idée. C’est ce qui nous rend plus que méfiants envers l’AMO. C’est une crise de confiance qui pousse les Maliens à la rébellion».
Le Directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie (CANAM), Nouhoum Sidibé assure que «l’AMO et les mutuelles sont complémentaires, car elles visent le même objectif». Il nous a confié avoir proposé à la Mutuelle une répartition des charges à 70% pour l’AMO et 30% pour les mutualistes. Ce qui signifie que les bénéficiaires seront assurés à 100%. Malgré les marches de protestation des différents syndicats, il ne compte pas s’arrêter. M. Sidibé compte, dans les prochains jours, réunir les différents acteurs, pour rediscuter des contours de l’AMO. Affirmant, à demi-mot, que «beaucoup de choses ont été précipitées». Le technicien réussira-t-il à faire accepter aux politiques sa démarche? Les jours à venir nous le diront. Même si les débats restent tendus et que le message ne passe pas encore, il faudra, à un moment ou à un autre, se rendre à l’évidence: le Mali doit mettre en place une place son assurance maladie, comme le stipulent la Convention N°102 de l’OIT et la Constitution de 1992.
Paul Mben