Cela fait maintenant plusieurs jours que, par presse interposée, l’on s’attache à tirer à boulets rouges sur le ministre de l’Economie Numérique, de l’Information et de la Communication, Dr Choguel Kokalla Maïga, au sujet de la libéralisation des fréquences de la télévision privée. Afin de voir clair dans cette affaire, nous avons mené une investigation auprès des différents protagonistes.
Selon le promoteur d’une des télévisions privées de la place, qui a témoigné sous anonymat, l’attitude du département relève d’une tentative de caporalisation et d’abus de pouvoir à l’encontre des citoyens maliens qui ont décidé d’investir leurs ressources dans les moyens techniques, humains et matériels pour faire vivre le secteur de la télé-privée au Mali. Un besoin, selon lui, exprimé par la grande majorité des Maliens, en manque de véritables chaines de télé-privées pour s’épanouir et s’informer localement. C’est pourquoi estime-t-il, l’Etat ne doit plus briser l’élan amorcé par de nombreux promoteurs qui diffusent déjà, à travers des textes de réglementation sans grande légitimité. « C’est ce que nous avons expliqué aux membres du cabinet du MENIC, lors de notre réunion du jeudi 08 octobre, tenue dans l’enceinte dudit ministère », soutient notre interlocuteur. Qui ajoute que l’ensemble des promoteurs des chaines privées ont exprimé leur désapprobation face aux nouvelles mesures. « Comment peut-on admettre que d’autres pays acceptent la diffusion sur leur territoire de nos chaines, et que chez nous, c’est l’Etat même qui nous empêche d’évoluer ? » s’interroge-t-il.
La version du ministère de tutelle
Contacté par nos soins, notre ancien collaborateur, aujourd’hui chargé de mission au ministère de l’Economie Numérique de l’Information et de la Communication, Moustapha Diawara, n’a pas voulu nous en dire plus. « Je ne maîtrise pas tous les contours de la question, la situation est au niveau des conseillers techniques du ministre. Au temps opportun, d’autres voix plus autorisées de l’Etat donneront d’amples informations » indique M. Diawara.
Est-ce à dire que le département a interdit la diffusion des télés privées au Mali ?
« Pas du tout », rétorque notre interlocuteur. Avant de hausser le ton en ces termes : « le gouvernement est plutôt dans une dynamique de réglementation du secteur, à travers la mise en œuvre de projets de textes vigoureux qui suivent leur processus normal au niveau du Secrétariat Général du Gouvernement. Et la réunion du jeudi 08 octobre n’est qu’une phase du processus, à savoir la consultation des partenaires, notamment les promoteurs du secteur ».
Sur notre question, relative à la tentative de caporalisation du secteur par le ministre Choguel Kokalla Maïga, la réponse du chargé de mission Moustapha Diawara, a été on ne peut plus claire: « d’ailleurs, le département, sous les directives du ministre Maïga veut se dessaisir de la question au profit de la nouvelle HAC (Haute Autorité de la Communication) qui attribuera les autorisations de diffusion de la télévision privée au Mali, sur la base des critères précis ».
La HAC, un serpent de mer pour les illégaux
Faut-il le rappeler, l’un des résultats salutaires de l’avènement de la démocratie au Mali, fut la libéralisation du secteur des médias. Car dans l’euphorie du succès des évènements de Mars 1991, les acteurs du mouvement démocratique étaient animés par la volonté de revaloriser la liberté d’expression à travers la multiplication des canaux de communication et la diversification des opinions de presse. Ainsi, l’on assista, dès les premières heures de la démocratie à la création de nombreux titres de journaux et des radios privées. Aujourd’hui, aucune statistique fiable ne peut être faite sur le domaine, l’on évoque souvent la présence de plus d’une centaine de journaux et le triple pour les radios privées à travers le pays. Aucun outil de contrôle ne régule le secteur, l’ancien Conseil Supérieur de la Communication n’avait d’autres missions que de donner des avis. Les différents chefs de département de la Communication qui se sont succédés ces dernières années (une dizaine) ont tenté autant qu’ils peuvent de normaliser le secteur, mais toujours sans succès.
A titre d’exemples, une loi fut mise en œuvre avec un décret d’application qui prévoyait la mise en place d’une commission pour l’attribution des fréquences télé. Mais selon des indiscrétions, cette commission n’a jamais pu voir le jour à cause des manœuvres obscures des lobbies du secteur.
Une loi, dont le processus d’élaboration a débuté depuis 2005, n’a été adoptée qu’en 2009 par le Gouvernement et déposée sur la table de l’Assemblée Nationale où elle se perdra dans les tiroirs de l’hémicycle durant trois (3) ans. Et ce n’est qu’en 20012 qu’elle sera votée pour être promulguée le 12 mars 2012 par le Président ATT qui sera déchu dix (10) jours après.
Du coup, le secteur de la Communication, celui de la diffusion radio-télé avec, est restée dans l’informel, à l’apanage de ceux qui ont les moyens d’y investir.
Un autre professionnel du secteur, nous dira que c’est ainsi que de nombreux néo-promoteurs se sont débrouillés à acquérir des fréquences au niveau de l’AMRTP, à titre privé et non pour diffusion à large surface. Ces fréquences seront utilisées par ceux-ci à d’autres fins (diffusion radios-télé).
Même scénario concernant le projet d’ordonnance instituant la HAC (Haute Autorité de la Communication). Ce projet signé par le président de la République et déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale depuis le 21 janvier 2014 ne sera voté qu’en juin 2015 à la suite d’un exercice périlleux du ministre de l’Economie Numérique, de l’Information et de la Communication, Dr Choguel Maïga devant les députés.
Ayant échoué dans leur tentative de blocage de la HAC contre espèces sonnantes, les promoteurs, dès la mise en œuvre du décret portant nomination des membres de la HAC, sont revenus à la charge, en précipitant la création des télés privées et la plateforme de diffusion par TNT, sans base légale.
L’appel à candidatures comme véritable goulot d’étranglement
« La Haute Autorité de la Communication a pour mission la régulation du secteur de la communication dans les domaines de la communication audiovisuelle, de la presse écrite, de la publicité par voie de presse audiovisuelle et écrite et de la presse en ligne. A cet effet, elle a pour attributions l’autorisation de création des services privés de radiodiffusion et de télévision, d’installation et d’exploitation des services privés de communication audiovisuelle. Elle a également des attributions de veille et d’alerte, de consultation, de recherche, de contrôle et de sanction » énonce l’article 5 de l’ordonnance portant création de la haute autorité de la communication au Mali. Cette disposition, aux dires d’un cadre du MENIC, coupe court à toute accusation de caporalisation formulée par une certaine presse contre le ministre Choguel Maïga. Qui poursuit qu’en clair, les commanditaires de ces articles de presse, assurément certains promoteurs, ne veulent aucunement se soumettre au pouvoir de la nouvelle autorité, au motif qu’ils sont en exercice avant l’avènement de cette institution. « D’autres se prévalent même de leur aura dans la sous-région pour vouloir se mettre au dessus d’un organe légitimement institué par les textes de la République » poursuit notre source.
Selon nos investigations, même si ces gérants de télé-privées reconnaissent la valeur et les missions de la HAC, leur refus se situerait au niveau des conditions édictées pour l’attribution des fréquences TV par la HAC.
En effet, l’article 6 de la loi portant création de la HAC dispose qu’ : « à l ‘initiative du ministre chargé de la communication, la HAC lance des appels à candidatures en vue de l’autorisation des services. Elle statue sur les dossiers d’autorisation ainsi que sur le retrait des autorisations des services privés de communication audiovisuelle. Elle autorise la création des services privés de radiodiffusion et de télévision, conformément à la réglementation en vigueur ». D’où le véritable goulot d’étranglement entre l’Etat et les promoteurs des chaines privées.
Cette disposition aux dires d’un technicien du domaine, (sous anonymat), cadre du MENIC se justifie par une seule cause : le manque de fréquences. « Les fréquences sont internationalement données et gérées à partir de Genève, selon les besoins (police, aviation, radio, télé …) Dans ce cas, ce serait une preuve de laxisme de la part de l’Etat de laisser des protagonistes en abuser sans respect des normes», tranche notre interlocuteur.
Au regard de tout ce qui précède, l’on voit clairement que le Mali gagnerait beaucoup plus en réglementant le secteur de la télévision privée.
Nous y reviendrons…
Lassina NIANGALY