Le secteur privé face au défi de la relance économique (suite et fin) : «Le régime légal et réglementaire des entreprises en difficulté n’est pas clairement défini»

0
Gouvernance au Mali
Dr Etienne- Fakaba-Sissoko

Dans cette deuxième partie de son analyse, le Dr. Etienne Fakaba Sissoko, président du Centre d’analyse politique, économique et sociale du Mali, commence par expliquer  l’impérieuse nécessité d’identifier les recettes fiscales en vue de les imposer avec à la clé des mesures d’accompagnement et d’incitations. Il trouve que les innovations introduites par deux pays de la sous-région, à savoir le Sénégal et le Benin, semblent édifiantes. Le Dr. Sissoko donne sa recette pour l’accompagnement des entreprises en difficultés avec la mise en place d’une unité d’appui et de suivi de ces entreprises. Il souligne aussi l’opacité dans l’attribution des exonérations fiscales qui selon lui manque de transparence. Il évoque enfin les apports du droit OHADA et du nouveau Code des investissements du Mali.

  • L’exemple sénégalais :

Le Sénégal a, pour atteindre cet objectif, d’abord mis l’accent sur les ressources humaines. Le Sénégal a ainsi instauré, en destination des informels, un programme de formation de mise en place des comptabilités.  Cet élément est important pour solliciter un concours bancaire. Toutefois, un opérateur qui veut bénéficier de ces formations, doit renouer avec l’Administration fiscale, en payer ses impôts. Il pourra donc prétendre aux marchés publics, accroître son chiffre d’affaires et par delà, la taille de son entreprise.

Ces mesures se sont révélées probantes car au Sénégal, l’Agence de Développement et d’encadrement des PME, contribue chaque année à la formalisation de 600 entreprises.

  • L’innovation béninoise :

Cette année, le Bénin a innové en instaurant le nouveau statut de l’Entreprenant en vue d’inciter les micro-entreprises à entrer dans l’économie formelle. Le régime mis en place combine des mesures d’incitations et des mesures de levée des obstacles à la formalisation.

Au titre de la levée des obstacles, notons : un enregistrement gratuit ; un guichet unique : le travailleur se rend à se guichet muni d’une pièce d’identité et d’une simple photo. L’Etat s’engage à délivrer sa carte d’entreprenant sous 8 heures ; une fiscalité allégée : l’impôt n’est que de 2% du chiffre d’affaires.

Quant aux incitations, elles se rapportent à ce qui suit : un centre de gestion agréé accueille le travailleur et lui fournit des services d’appui comme la mise en place d’une comptabilité ; un accès à la couverture sociale ; ouverture de comptes bancaires gratuits via un réseau de banques  et accès à de nombreux services financiers indispensables.

Le Mali pourrait donc utilement s’inspirer de ces deux solutions sénégalaise et béninoise en vue de la mise en place d’un système conjuguant mesures d’incitations, de levée des obstacles et d’accompagnement.

  • Accompagnement des entreprises en difficultés :

Le régime légal  et réglementaire des entreprises en difficulté n’est pas clairement défini au Mali. Par exemple, l’introduction des concepts d’amnistie fiscale et découvert fiscal  dans le dispositif fiscal  malien seraient salutaires. Tout comme la mise en place d’une banque publique d’investissement dans la relance de ce type d’entreprises par une recapitalisation surtout lorsqu’elles sont vitales pour l’économie malienne au regard de leur contribution au produit intérieur brut (PIB) et  du nombre d’emplois que les entreprises en difficulté utilisent régulièrement.

  • Mise en place d’une unité d’appui et de suivi des entreprises en difficultés.

Certes, la chambre consulaire a le mérite d’avoir piloté la mise en place d’un fonds de garantie du secteur privé dans l’accompagnement des entreprises dans les négociations bancaires d’une part et d’autre part l’organisation des foires commerciales (Febak). Cependant, La chambre de commerce et d’industrie ne dispose pas d’unité d’appui et de suivi des entreprises en difficulté.

Autre constat, c’est que la chambre n’organise pas régulièrement des sessions de formation en vue de renforcer les capacités des dirigeants d’entreprises. Cela suppose que la CCIM ait en son sein des cellules ou commissions thématiques par secteur d’activité et/ou par problématiques transversales ou spécifiques par secteur d’activité du secteur privé capables de fournir des propositions de textes en adéquation avec les réalités du secteur économique visé dans les différents domaines (fiscal, économique, financier, réglementaire…)

  • L’opacité dans l’attribution des exonérations fiscales :

Le manque de transparence dans l’allocation des exonérations fiscales crée une catégorisation  dans  la situation  fiscale des contribuables foulant le principe constitutionnel d’égalité de tous devant l’impôt. En effet, nous avons des contribuables partiellement ou totalement exonérés.

Ces mesures arbitraires finissent par créer une situation de concurrence déloyale. Les secteurs miniers et celui de l’import-export restent malheureusement affectées par de telles mesures. Pour pallier à cette situation, nous proposons  de mettre en place une commission d’attribution la plus transparente que possible.  Avant la mise en place de cette commission, il conviendra de procéder à la mise à plat de toutes les exonérations fiscales en date aujourd’hui.  

Les apports du droit OHADA : les reformes de la SARL

Créée par un traité signé le 17 octobre 1993 à Port-Louis (Ile Maurice) et regroupant aujourd’hui 16 Etats membres, l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a pour objectif de participer à l’intégration économique de l’Afrique par la réalisation d’un « droit unifié des affaires », visant à rationaliser et à améliorer l’environnement juridique des entreprises.

Dans le long terme, l’OHADA avait pour ambition de promouvoir l’unité africaine et de renforcer la sécurité juridique et judiciaire afin de générer la confiance des investisseurs dans les économies des Etats membres. Le moyen choisi par les rédacteurs était celui d’un droit des affaires uniforme. En toile de fond, l’OHADA devait permettre aux Etats membres de se doter d’appareils juridiques permettant le développement du crédit bancaire nécessaire au financement des entreprises en même temps que la formalisation de l’activité commerciale et la création de marchés nationaux intégrés.

Tout récemment, les instances de l’OHADA ont décidé de la révision de l’Acte Uniforme relatif au droit des Sociétés commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique (AUSGIE). Cette réforme a porté essentiellement sur la Société à Responsabilité Limitée (SARL) en permettant, notamment, d’avoir un capital minimum en deçà d’un million. Dans cette veine, certains Etats, comme le Sénégal et le Bénin, ont fixé ce seuil à cent mille francs CFA. L’objectif demeure le même, favoriser la création d’entreprises et surtout inciter les informels à venir dans la « légalité ».

Il faut le rappeler, si besoin en était encore, cette forme de sociétés est un merveilleux instrument créé par le capitalisme moderne pour collecter l’épargne en vue de la fondation et de l’exploitation des entreprises. Ladite reforme a pour but principal de faciliter la création d’entreprises dans ses pays membres.

Aussi, le principal défi à relever pour le Mali est de s’engager résolument  sur cette voie, étant donné qu’une frange non négligeable de son économie est constituée d’informels. Il s’agira de donner à ce type de société une existence concrète pour les populations. Cela demande plus que des communications sur le mode incantatoire informant les populations que l’OHADA représente pour eux une modernité incontournable. Cela nécessite aussi que les allègements opérés fassent l’objet de communication, de vulgarisation auprès des opérateurs économiques et surtout auprès du secteur informel. Il faut en outre que lesdits allègements soient servis par des appareils judiciaires inspirant confiance, ce qui est loin d’être le cas. C’est pourquoi l’action sur l’OHADA doit se recentrer sur les Etats, plutôt qu’à l’échelle supra-étatique.

  • Apports du nouveau Code des investissements

Il est connu, l’investissement est devenu le facteur par excellence de la croissance économique et du développement des pays en voie de développement. Aussi, afin d’attirer les investisseurs et encourager l’initiative privée, par la Loi N°2012-016 du 27 février 2012 et le Décret N°2012-475/P-RM du 20 août 2012 ont institué un nouveau Code des Investissements instaurant un régime fiscal privilégié en fonction du montant et de la zone d’investissement.

Le nouveau Code des Investissements du Mali s’applique aux entreprises justifiant un taux de valeur ajoutée directe minimum, laquelle est l’élément fondamental pour l’appréciation des projets.

Par ailleurs, le législateur a expressément exclu du champ d’application du nouveau Code, les activités de négoce définies comme des activités de revente en l’état des produits achetés à l’extérieur de l’entreprise. Il en est de même des activités bancaires et financiers et des activités de télécommunication.

Les entreprises qui entrent dans le champ d’application du nouveau Code sont classées suivant quatre régimes :

  • le Régime A : entreprises dont l’investissement est égal ou supérieur à Francs CFA 12.500.000 et inférieur ou égal à Francs CFA 250.000.000 HT et hors besoin en fonds de roulement ;
  • le Régime B : entreprises dont l’investissement est supérieur à Francs CFA 250.000.000 et inférieur à Francs CFA 1 Milliard HT et hors besoin en fonds de roulement ;
  • le Régime C : entreprises dont l’investissement est égal ou supérieur à Francs CFA 1 Milliard HT et hors besoin en fonds de roulement ;
  • le Régime D : entreprises dont l’investissement est strictement supérieur à Francs CFA 12.500.000 HT et hors besoin en fonds de roulement, la production destinée à l’exportation étant égale ou supérieure à 80%.

Les avantages accordés par le nouveau Code des Investissements incluent également des mesures incitatives en matière de développement de l’emploi, en faveur du développement de certaines régions du pays, en faveur de certains secteurs comme ceux valorisant les matières locales et ceux reposant sur l’utilisation d’invention ou d’innovations technologiques.

Le texte apporte des éléments nouveaux relatifs aux garanties des investissements au titre desquels l’on peut noter les dispositions relatives aux règlements des différends avec la phase préalable de règlement amiable et le recours à l’arbitrage (compromis, arbitrage CIRDI, arbitrage OHADA convention portant création de l’Agence Multilatérale de Garantie des Investissements).

Le nouveau Code établit également le principe de liberté de gestion et de libre circulation des capitaux pour les investisseurs étrangers, le respect de la propriété privée et la protection des investisseurs contre les mesures d’expropriation.

Ce nouveau Code devrait favoriser les investissements dans des domaines jugés prioritaires par le Gouvernement du Mali en vue de lui permettre d’atteindre ses objectifs en termes de développement.

Malgré ces avancées fort indéniables, des efforts supplémentaires peuvent être faits allant dans le sens de :

  • réduire le taux de pression fiscale et atteindre la norme communautaire soit 17 % du PIB, dont 10 % au titre des recettes intérieures et 7 % au titre de la fiscalité de porte ;
  • exonérer les droits de timbre dus sur les actes de création de personnes morales ;
  • instituer un formulaire unique de déclaration pour les impôts à périodicité mensuelle ;
  • reformer la gestion du contentieux fiscal: déconcentration administrative et manuel de procédures de gestion du contentieux fiscal dans le sens de donner plus d’équité, de transparence et de célérité dans le traitement des dossiers de recours.

 

Dr Etienne Fakaba Sissoko

Economiste, chargé de cours à l’Université de Bamako

Directeur du Centre de recherche et d’analyse politique, économique et sociale

Commentaires via Facebook :