En effet, en 2011, aux USA, l’Idh était de 0,910 ; en France de 0, 884 ; en RDC de 0, 286 ; en Guinée Conakry de 0,344 ; au Libéria de 0,329 ; en Sierra Leone de 0,336 et au Mali de 0,359. Pour que l’accès aux soins médicaux et services sociaux soit possible, il faut que l’Etat investisse chaque année dans les services publics. Il faut que l’Etat consacre une part importante du budget national à la création et à l’entretien d’hôpitaux et centres de santé publics, avec chambres, matériel, médicaments, personnels médicaux et personnels administratifs, en ville comme en milieu rural. Dans les pays industrialisés, le budget de l’Etat provient des cotisations mensuelles et des impôts, payés par les salariés et les entreprises.
L’accès aux soins n’est alors que le juste retour aux citoyens de ce qu’ils ont déjà payé. Lorsqu’ils tombent malades, ils consultent immédiatement un médecin de quartier ou se rendent spontanément à l’hôpital. Une très large partie des frais est alors prise en charge par le système national de santé.
Sur le continent, les contrats passés entre les Etats et les multinationales rapportent très peu au budget national. La moitié des Sub-sahariens vivent en dessous du seuil de pauvreté, malgré la fabuleuse richesse du sous-sol de leurs terres. Une grande partie des populations travaillent dans le secteur informel, hors système fiscal, et sans protection médico-sociale. Le budget de ces Etats est donc sous perfusion internationale. Presque toujours, les «partenaires» financiers assortissent leur «aide» de conditionnalités qui endettent le pays et lui imposent de fréquents Plans d’ajustement structurel qui diminuent drastiquement les dépenses publiques et favorisent le secteur privé. Peu importe le bien-être des populations les plus démunis ! Outre la responsabilité révoltante de ces «partenaires», nul n’ignore que la responsabilité incombe aussi à ceux qui, alors qu’ils sont aux commandes, se préoccupent plus de s’enrichir personnellement que de veiller à l’amélioration de l’indice de développement humain dans leur pays. Pour ces gens, peu importe que le taux d’alphabétisation soit bas, peu importe que dans les écoles publiques, les petits se serrent par dizaines dans une même salle de classe, ou sur des bancs à l’ombre d’un arbre, puisque leurs propres enfants étudient dans des écoles privées, puis en Europe ou en Amérique du Nord. Pour ces gens, peu importe que le taux d’espérance de vie et d’accès aux soins stagne, peu importe que leurs concitoyens attendent que la situation soit désespérée pour se traîner jusqu’à l’hôpital, honteux de ne pas avoir l’argent pour payer les sérums ou les radios, puisque dès qu’un membre de leur propre famille tombe malade, ils le font soigner dans une luxueuse clinique privée, ou l’envoient en Occident, même pour un simple bilan de santé. Pour ces gens, peu importe que dans les rues de terre battue, l’eau croupisse, puisqu’ils font goudronner la rue qui mène à leur luxueuse villa. Pour ces gens-là, peu importe tout ça. Ce qui leur importe, c’est d’amasser le plus d’argent possible en un minimum de temps !
Depuis le début de la dernière flambée d’Ebola en Afrique de l’Ouest, les images que les médias diffusent montrent des populations, principalement rurales, affolées et sujettes aux rumeurs. Chacun de ces êtres humains se demande comment échapper à cette fièvre hémorragique mortelle, sans eau courante à la maison, sans argent pour acheter le désinfectant recommandé par l’Oms (Organisation mondiale de la santé), et sans centre de santé à proximité. Comment se rendre à l’hôpital qui est si loin quand il n’y a aucune ambulance publique disponible ? Comment rejoindre un de ces centres de soins humanitaires quand il faut d’abord marcher jusqu’au goudron qui passe à plusieurs kilomètres ? Comment ne pas céder aux rumeurs quand on ne sait pas lire ? Comment faire confiance à ceux qu’on n’avait jamais vus auparavant, et qui prétendent aujourd’hui agir pour votre bien, alors qu’ils vous avaient abandonnés ?
La semaine dernière, le 18 septembre, le Conseil de sécurité de l’Onu a voté à l’unanimité une résolution, déclarant l’épidémie «menace pour la santé et la sécurité internationale». Quelques jours plus tôt, la Banque mondiale lançait une alerte car cette tragédie commence à impacter l’économie des pays touchés. Quand les premiers Occidentaux ont été contaminés, on a appris avec stupéfaction qu’il existait un sérum, alors que des centaines d’Africains avaient déjà succombé ! Pointer du doigt les décideurs locaux qui ont spolié leurs concitoyens de services publics dignes de ce nom et souligner les conséquences de l’endettement imposé aux pays du Sud par les pays du Nord, peut ne pas paraître constructif face à l’ampleur de l’épidémie d’Ebola, mais occulter la vérité ne l’est pas plus. Pour se remettre de cette période noire, les populations devront reprendre confiance. Confiance en elles-mêmes pour demander des comptes à leurs dirigeants successifs, puisqu’ils sont responsables de la piètre situation sanitaire antérieure. Confiance en leur capacité citoyenne à exiger de leurs dirigeants actuels qu’ils infléchissent les conditionnalités imposées par les partenaires financiers extérieurs. C’est de cette confiance en soi que naîtront les énergies nécessaires pour que villageois et citadins relancent ensemble la vie quotidienne après Ebola. C’est du bien-être que les dirigeants assureront à leurs populations que naîtront des Etats respectables.
Françoise WASSERVOGEL