Pr Kalilou Ouatara sur la politique de santé au Mali : « En plus de la césarienne, l’Etat doit prendre en charge la grossesse et l’accouchement… »

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Président de la Commission Santé à l’Assemblée Nationale, le député élu en CIII, Prof. Kalilou Ouatara au cours de cette interview qu’il nous a accordée, a mis le pied dans le plat. Pour dénoncer des manquements graves et subtilités dans le domaine de la santé au Mali, des CSCOM aux CHU. Des CSREF aux Hôpitaux régionaux. Sans occulter les conditions d’approvisionnement de nos hôpitaux en équipements et médicaments contrefaits. Lisez la première partie.

 

 

Le Tjikan : Quelle est votre appréciation par rapport à la DPG ?

Pr Kalilou Ouattara : Je pense que la Déclaration de politique générale du Premier ministre est un document bien fouillé qui contient de très bonnes initiatives. Mais, il va de soi que le Premier ministre, n’étant pas un spécialiste dans tous les domaines ne peut pas tout prévoir et sa déclaration de politique générale ne peut pas prendre en compte toutes les préoccupations des populations. C’est tout l’intérêt d’ailleurs que le document soit présenté aux députés et selon les spécialités, qu’on attire son attention sur certaines préoccupations.

 

En tant que président de la commission santé et faisant partie de la majorité, à part ce que le Premier ministre a dit, moi en tant que spécialiste de la santé  travaillant dans ce domaine depuis  plus de 30 ans, je pense être en mesure de lui signifier les points d’achoppement dans le domaine de la santé.

 

Ce ne sont pas des insuffisances mais des compléments  d’informations qu’il faut lui apporter. C’est ce qui a été préparé en travaux de groupe et mon intervention a été chronométrée à quatre minutes. Alors que quatre minutes sont très peu pour parler de la santé au Mali.

 

 

Quels sont les points que vous avez signalé lors de votre intervention ?

Pr Kalilou Ouattara : Lors de mon intervention, étant donné qu’on n’avait pas le temps pour rentrer dans les détails, j’ai attiré l’attention  sur l’accessibilité des populations aux structures de santé car il y’a de ces cercles, des districts  sanitaires tellement grands que cela pose un problème d’accessibilité des populations aux soins de santé.

Aussi, j’ai intervenu en ce qui concerne les hôpitaux en général. Tout le monde se plaint de l’accueil. Ce n’est pas facile de l’organiser pour la simple raison que l’hôpital est devenu un passoir car quand on y vient, c’est plein de voitures, de personnel, d’usagers, de malades tout cela dans un fourretout.

 

J’ai attiré l’attention du Premier ministre en lui disant que pour améliorer  l’accueil et la gestion des flux au niveau de nos hôpitaux, il faut créer le service porte qui est structure d’accueil. Ainsi, tous les problèmes seront gérés.

 

Donc, cela va mettre de l’ordre, permettre de mieux gérer  la situation sur tous les plans financiers, assainissement, commodité…

 

Il y a aussi la situation des services des urgences d’une manière générale. Prenons par exemple les services des urgences du Point G. Il  y a les urgences qui ont été transformées en service d’hospitalisation alors que pour les urgences, il doit y avoir un service de tri pour savoir si un malade vient, s’il s’agit d’un malade chirurgical pour qu’on l’envoie aux soins intensifs réservés en chirurgie. Si c’est un malade médical par exemple un malade en coma ou en insuffisance cardiaque, qu’on l’envoie en médecine dans la structure adaptée pour les soins intensifs. Sinon, avec la situation qui est au Point G, les malades viennent, tout le monde est mélangé, hospitalisé à la même place. Le plus souvent, si le malade n’est pas réorienté à l’intérieur de l’hôpital, il n’a plus accès aux spécialistes et professeurs qui sont là-bas.

 

 

 Une situation qu’il faut vite corriger.

Il faut aussi revaloriser les cadres  en impliquant les professeurs titulaires par rapport à leur domaine dans la politique de couverture sanitaire du pays, en plateau technique par rapport à leur domaine et en ressources humaines.

Ce n’est pas pour qu’ils aillent prendre la place d’un conseiller du ministre, mais je mets tout conseiller du ministre en demeure s’il connait plus les médecins du Mali, les chirurgiens du Mali qui sont capables de faire une adénectomie, l’opération  de la prostate ou qui sont capables de faire une chirurgie de la fistule. C’est moi en tant que spécialiste, chef de service qui maitrise ce domaine, je  dois jouer un rôle de conseiller du ministre dans ce domaine.  Je dois être mis en mission pour que j’aille dans tous les hôpitaux régionaux  pour aller savoir quelle est la  situation de l’urologie. Je peux passer de région en région. S’il n’ya pas d’urologue, je suis le formateur des urologues au Mali, je pourrai en former pour qu’il y ait des urologues partout au Mali.

 

Et au bout d’un certain temps, cette politique va aider à assurer une couverture sanitaire du pays en termes de structures et de ressources humaines.

 

Malheureusement, ce qu’on voit ici au Mali, c’est que les professeurs travaillent, ensuite ils vont à la retraite sans laisser quelque chose derrière eux. Donc, il faut revaloriser les cadres.

 

Aujourd’hui, on parle de décentralisation et régionalisation. Il est temps que  les hôpitaux régionaux soient transformés en Centre Hospitalier Universitaire (CHU) , pour que la formation soit aussi décentralisée.

Si on fait une décentralisation, cela va corriger des failles. Aujourd’hui, l’hôpital de Mopti est un joyau, au même titre que ceux de Ségou et Sikasso. Ils peuvent être érigés en CHU avec affectation  d’un professeur et toute la clique qui suit : maitre-assistant, maitre de conférence, etc… et qu’il soit créé une activité d’internat.

 

Une autre recommandation que j’ai faite, c’est par rapport au matériel médical car le matériel médical est très spécifique. Par exemple le cystoscope, il n’ya pas plus de vingt personnes au Mali qui savent l’utiliser. Cet appareil sert à regarder et diagnostiquer les pathologies de la vessie.

 

Ce matériel est tellement spécifique que ce sont les professionnels qui connaissent son histoire, l’évolution technologique dans sa fabrication, la vente de ce matériel. Ce n’est pas l’urologie seulement, mais toutes les autres spécialistes qui sont concernées. Donc, l’acquisition du matériel médical à travers les mêmes rouages de marchés publics fait que le plus souvent, on donne le marché à des gens qui ne connaissent pas la spécificité de ces équipements, qui vont acheter du matériel contrefait  à des milliards. Ce matériel arrive à l’hôpital et parfois dès le départ, on ne peut pas s’en servir, ou pour une durée limitée.

 

Imaginez un scanner qu’on achète très cher sans consulter les techniciens qui sont là pour qu’ils expliquent l’évolution de ces scanners, sur le plan technologique. Déterminer, s’il s’agit de celui de la troisième génération ou de la deuxième génération….Dans ce cas, on doit acheter un scanner de troisième génération car les européens étant déjà à la troisième génération, ne fabriquent plus les pièces  des autres générations. Quelqu’un qui achète une autre génération, c’est à usage unique car en cas de panne, il n’ya pas de pièces de rechange.

 

C’est pourquoi, lors de l’achat des équipements, nous spécialistes devons être consultés.

Ces équipements sophistiqués ne doivent pas être achetés comme si c’est du riz ou de l’huile qu’on faisait venir au Mali. Leur achat doit être encadré.

En plus de cela, au Mali, il y a un gros problème de maintenance. Quand le scanner du Point G a des problèmes, c’est un ivoirien qu’on va chercher à des millions, cela coute très cher car tout ce que le scanner a fait rentrer comme argent est emporté en une seule réparation.

 

Pourtant, nous avons des biomédicaux qui se disent ingénieur et aucun d’eux ne peut dépanner un scanner. Même une petite machine de laboratoire qui a des problèmes, ils ne sont pas capables de faire le dépannage. C’est pourquoi, j’ai recommandé à ce qu’on prenne le problème de maintenance en compte. Aussi, nos matériels ne sont pas protégés.

 

Le scanner du Point G a brulé et jusqu’ici n’est pas fonctionnel.  Comment on peut aller acheter des équipements aussi chers et venir les brancher sur EDM sans système de protection par ces temps de délestages intempestifs ? Les délestages sont l’ennemi premier de ces équipements. Un scanner qui a un choc de ce genre à cause du manque de protection, c’est une perte énorme.

 

Un autre domaine, ce sont les médicaments. L’importation illicite des médicaments contrefaits derrière lesquels il y a même des lobbies, des personnes très influentes au Mali ici qui font ce trafic-là à travers la douane en toute impunité. Pour s’en convaincre, il suffit de se rendre au marché Dibida. Il y a des magasins de stock de médicaments contrefaits. Si jamais  on essaye de savoir l’origine de ces médicaments, on risque de se faire menacer ou agresser tellement le problème est profond. Il faut lutter contre cela en plus des médicaments par terre.

 

J’ai aussi attiré l’attention du Premier ministre sur la problématique de l’Assurance Maladie Universelle. Pour la santé aujourd’hui au Mali, l’usager doit payer de sa poche, et quand on doit payer de sa poche et que la famille est grande, si deux ou trois enfants tombent malades en même temps, le parent n’aura pas les moyens. Donc il faut un système d’Assurance Maladie. Il y a l’AMO, mais c’est pour une minorité d’individus. Il faut développer un système d’assurance pour tous au Mali.

 

J’ai voulu attirer  aussi l’attention du Premier ministre sur la santé communautaire à travers les CSCOM,  les CSRF, les hôpitaux régionaux et les hôpitaux de troisième niveau.

 

Ce sont les CSCOM et les CSRF qui sont en contact direct avec la population, donc c’est là-bas qu’il faut agir pour que l’accessibilité des populations aux soins soit effective. Si déjà à ce niveau, ça ne va pas, on ne peut pas améliorer les indicateurs de la santé.

La référence-évacuation doit être organisée entre le village et le CSCOM or il se trouve que  la santé communautaire n’est pas réglementée par une loi. Il y a juste quelques arrêtés, décrets qui règlementent des aspects. Mais il n’ya pas de loi générale, et cela est quelque chose qu’il faut vite corriger.

 

Il y a aussi la  médicalisation des CSCOM. Aussi, il ne faut pas  limiter à un certain niveau les activités du CSCOM. Par exemple, un CSCOM n’a pas le droit d’opérer un malade alors qu’on sait qu’au Mali, il y a des CSCOM, surtout dans la région de Kayes  réalisés par les Maliens de l’extérieur qui sont bien équipés en termes de plateau technique.

 

Il faut mettre en place un mécanisme pour aller évaluer chaque structure et qu’il y ait des normes. Si dans une structure hospitalière, il y a un plateau technique adéquat, une salle d’opération, une salle de réanimation, d’hospitalisation, le personnel nécessaire les infirmiers, les chirurgiens, l’anesthésiste, qu’on donne une licence d’exploitation cas par cas.

En plus de cela, une recommandation que j’ai faite, c’est qu’en plus de la gratuité de la césarienne, il faut la gratuite de la prise en charge de la grossesse et de l’accouchement. Il faut une loi pour cela, pour rendre gratuites toutes les consultations prénatales. Cela va réduire la mortalité maternelle, néonatale et infanto-juvénile, la morbidité, les fistules obstétricales  vont tous diminuer.

 

Ce sont ces subtilités là que je voulais faire savoir au Premier ministre lors du débat sur sa Déclaration de Politique Générale  car lui, il n’est pas un spécialiste de la santé. Nous connaissons, en tant que spécialistes et praticiens, où se trouvent les goulots d’étranglement.  Ce n’est pas pour rejeter sa DPG car nous étant de la majorité, nous nous disons d’abord que c’est notre DPG, et notre réaction est de la positiver davantage.

Propos recueillis par Georges Diarra

 

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