Tandis que la grippe aviaire sévit dans le monde, la viande fraîche de volaille importée frauduleusement, échappe au contrôle vétérinaire et se vend sur nos marchés. Danger !
L’épidémie de grippe aviaire défraye la chronique vétérinaire internationale. La menace plane sur la filière avicole mondiale. Le 11 janvier dernier, le site web du ministère français de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt faisait état de « 67 foyers d’influenza aviaire hautement pathogène pour les volailles dans 7 départements du Sud-Ouest de la France ».
Plus près de nous, des foyers épidémiques de grippe aviaire ont été décelés notamment au Burkina Faso en novembre dernier. Les services vétérinaires ont assuré à plusieurs reprises que l’épidémie n’a pas encore franchi les frontières de notre pays et que des mesures ont été prises dans les zones frontalières pour contrôler le négoce des gallinacés dans les marchés ruraux.
Si des mesures sont effectivement prises pour empêcher que la terrible maladie aviaire nous arrive de notre voisin de l’Est, l’importation frauduleuse de viande de volaille pourrait introduire la pathologie dans notre pays. Dans un contexte où la grippe aviaire est très répandue dans le monde, les services vétérinaires ignorent en effet l’origine de ces viandes qui arrivent dans nos assiettes.
La lutte contre l’introduction de la grippe aviaire, très contagieuse pour toutes les espèces d’oiseaux domestiques ou sauvages, est menée par la Direction nationale des services vétérinaires qui disposent pour cela d’instruments législatifs. Dès l’annonce de l’épidémie de grippe aviaire au Burkina Faso, le gouvernement a pris des arrêtés interministériels (n° 09/16-52 et 09/16-51) interdisant respectivement l’importation de viande fraîche de volaille et l’importation et le transit des oiseaux et produits avicoles. Ces textes sont destinés à protéger notre potentiel avicole de l’épidémie.
Mais les mesures réglementaires ne semblent pas en mesure d’arrêter l’importation de viande fraîche de volaille. Celle-ci pénètre sur notre territoire en grandes quantités. Et semble appréciée par les consommateurs car moins chère que le poulet local. Nombre de nos compatriotes la consomment sans se douter du danger pour leur santé.
La viande de poulet importée, représente bel et bien des risques, assure le Dr vétérinaire Bamba Keita, chef de division santé publique vétérinaire à la Direction régionale des services vétérinaires de Bamako. « Cette viande importée peut provenir d’une zone contaminée. Or la manipulation de tout objet entré en contact avec cette viande peut favoriser la propagation du virus. En fait même en manipulant un simple carton ayant contenu de la chair de poulet contaminée, on peut favoriser la contagion», souligne le spécialiste.
Le Dr Bamba Keita explique que les mesures de sécurité prises par les services vétérinaires à Bamako permettent des saisies régulières. « Nous avons 5 postes vétérinaires fixes de contrôle : ceux de Samé, Sébénicoro, Sénou, Niamana, et aussi l’aéroport. Tous ces postes sont avertis que la grippe du poulet est à nos portes. En ce qui concerne Bamako intra muros, il y a 6 secteurs vétérinaires au niveau des communes avec un poste par mairie. Ces secteurs possèdent des équipes mobiles qui effectuent des contrôles réguliers dans leurs circonscriptions. Ce sont en fait ces équipes très mobiles qui inspectent les boutiques, les différents marchés, les hôtels, les bars aussi », détaille notre interlocuteur.
STOCKS DESTINES A LA DESTRUCTION. Si Bamako est la destination finale de la majeure partie de ces produits prohibés, il n’y a aucune raison qu’ils ne soient pas détectés plus tôt et saisis par les postes vétérinaires des zones frontalières du Mali.
La directrice nationale des services vétérinaires, le Dr Alymatou Koné, assure que le contrôle est strict aux postes frontaliers et à travers la capitale et confirme que la viande de volaille est importée frauduleusement. Elle insiste à ce propos sur les difficultés que rencontrent les agents des services vétérinaires dans le cadre de la lutte contre ces importations frauduleuses. « Il y a des importateurs qui dissimulent de la viande fraîche de volaille parmi des poissons. Quand vous vous trouvez face à des centaines de cartons contenant de la viande de volaille que l’on vous présente comme du poisson, vous voyez combien il est difficile de contrôler. Car ce sont des produits périssables qu’on ne peut pas sortir du camion frigorifique pour les besoins du contrôle », développe-t-elle.
Selon la patronne des services vétérinaires, notre pays n’a pas l’habitude d’importer de la viande fraîche de volaille du Burkina Faso et de Côte d’Ivoire qui ont connu la grippe aviaire. « En ce qui concerne les acteurs de ces importations frauduleuses, nous ne leur délivrons aucune autorisation d’importation. Notre collaboration régulière avec l’Organisation mondiale de la santé animale nous permet d’avoir les informations sur l’évolution du virus et de prendre les mesures adéquates », assure le Dr Alymatou Koné.
S’il n’existe pour l’instant pas de statistiques sur l’ampleur du business clandestin de la viande volaille dans les services vétérinaires, le problème inquiète les professionnels du secteur avicole de notre pays. Ceux-ci ont tiré la sonnette d’alarme, en décembre dernier, sur l’ampleur de l’importation frauduleuse de viande de volaille. La présidente de la Fédération des intervenants de la filière avicole du Mali (FIFAM), Mme Sanogo Diarata Traoré, avait ainsi expliqué que la viande de poulet importé provenait de stocks destinés à la destruction en Europe. En appui à ses affirmations, elle souligne que le kilogramme de poulet de chair avoisine 3 euros (environ 2000 Fcfa) en France. « On ne peut pas acheter la viande à ce prix là, la transporter, payer les frais de douane et vendre le kilogramme ici à 1500 Fcfa », s’étonne Mme Sanogo Diarata Traoré.
Cette viande de poulet de chair, constate-t-elle, envahit le marché et provoque la mévente des poulets locaux. Cette situation, prévient-elle, est de nature à mettre en danger la filière avicole qui s’est beaucoup développée dans notre pays grâce aux investissements réalisés par de nombreux concitoyens, surtout dans les zones périurbaines.
K . DIAKITE