Les systèmes politiques africains ne se sont jamais effondrés. Ce sont les décisionnaires politiques qui les ont abandonnés : problème de compétitivité économique, manque d’inventivité dans la gouvernance, déficit des infrastructures, problème de création d’emplois… Les politiques africaines sont au fil de l’eau ; elles sont caractérisées par l’inattendu.
Par inattendu, il y a cette chose “à laquelle on ne s’attendait pas et qui surprend”. Aussi bien l’imprévu que l’incertain relève du registre de l’inattendu. L’inattendu surgit là où nait un problème complexe, une situation conflictuelle et imprévisible. Par exemple la pandémie de Covid-19 illustre cette notion d’inattendu.
Au Sahel, et particulièrement au Mali, l’enlèvement de Soumaïla Cissé dans le cercle de Niafunké depuis plus de deux mois et sans aucune revendication officielle ou la trêve de la dette malienne par le Club de Paris le 19 mai, illustrent aussi l’importance de l’inattendu. L’inattendu, une des tendances lourdes de nos sociétés, doit être pris en compte dans la construction des politiques publiques, qu’il s’agisse des questions de santé, d’éducation, de justice ou de contreterrorisme. On vit dans une société à risques qui nécessite l’anticipation de l’imprévisible.
Les réponses politiques aux problèmes africains tels que le narcoterrorisme ou le Coronavirus ne sont vertueuses ni pour les administrations ni pour l’ensemble de la société. Par exemple, face à l’épreuve commune du Coronavirus, l’Union africaine (UA) s’est montrée absente aux côtés de Madagascar, qui se bat envers et contre tous dans la course à la reconnaissance et à l’homologation de son traitement, appelé Covid Organics.
Certes, quelques pays, le Niger ou la Tanzanie, ont commandé de lots de Covid-Organics, ce qui est salutaire ; mais aucune solidarité de l’UA vis-à-vis de Madagascar, le pays de Philibert Tsiranana père de l’Indépendance. C’est une des nombreuses erreurs stratégiques qui empêchent l’Afrique de relever le défi de l’unité tant espérée depuis les années 1960. L’Union Africaine est à l’épreuve de la Pandémie de Covid-19. Il y a un manque de stratégies réalistes et réalisables pour répondre à l’imprévu tout comme au prévu. Les programmes ne suffisent plus, il faut envisager de nouvelles solutions.
Prenons un autre exemple. Le 19 mai dernier, le Mali obtient une suspension de sa dette par le Club de Paris, groupe informel de créanciers publics, né en 1956, “dont le rôle est de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiement de pays endettés”, Communiqué de Presse du Club de Paris du 15 mai 2020. L’ISSD, Initiative pour la Suspension du Service de la Dette, fixe la durée de la suspension du 1er mai au 31 décembre 2020. Le Mali “s’est engagé à consacrer les ressources libérées par cette initiative à l’augmentation des dépenses dédiées à atténuer l’impact sanitaire, économique et social de la crise Covid-19” (Communiqué de Presse du Club de Paris). Il ne s’agit pas de disserter sur la suspension de la dette, ce n’est pas le sujet ; mais de s’interroger sur l’utilisation de cette économie, estimée à 23 milliards de F CFA. Ce qui pose question : quelles stratégies pour l’utilisation de cette manne financière inattendue ? Quels secteurs et territoires prioritaires ?
L’exécutif, le législateur, le judiciaire, le journaliste, le citoyen, etc., doivent oser franchir le Rubicon, c’est-à-dire ouvrir le débat pour trouver un équilibre entre cette opportunité et les actions utiles vers lesquelles il faudra l’orienter. Dans un état d’esprit positif, débattre, c’est trouver les bons leviers pour agir, reconstruire les liens sociaux entre les Maliens grâce à un dialogue constructif.
C’est aussi l’occasion de soutenir les entreprises fiables et non dépendantes des subventions de l’Etat pour la création d’usines de transformations des matières premières, utiles pour l’emploi des jeunes. Il reste à espérer que nous soyons capables de montrer au reste du monde que nous pouvons nous mobiliser et anticiper face aux crises, donc aux inattendus.
Concrètement l’Unité Africaine pourrait se réaliser par la création de véritables réseaux de coopération scientifique (laboratoires communs, programme d’échanges d’étudiants et d’enseignants institutionnalisés entre les universités) pour travailler ensemble sur les maladies du futur.
Pourquoi ne devrions-nous pas y croire dès maintenant ?
Mohamed Amara
Sociologue-Essayiste