Malgré plusieurs mesures prises par les pouvoirs publics, notamment la promotion des DCI et la réduction de leurs prix, nombre de nos compatriotes ont encore recours aux médicaments vendus dans la rue.
Les habitudes ont la vie dure. Malgré les efforts des pouvoirs publics, le phénomène des pharmacies dites "par terre" persiste. Un petit tour à travers la capitale suffit pour se rendre compte de l”ampleur de cette tendance. Pourtant, le gouvernement a fait de gros efforts pour combattre le fléau en faisant substantiellement baisser les prix des médicaments et en faisant la promotion des médicaments essentiels communément appelés DCI (dénomination commune internationale). En effet, en 2003, les prix des DCI avaient été réglementés dans le secteur public. Ce qui s’est traduit par une réduction de prix allant de 3 à 64 % selon les produits. Le 25 janvier 2006, le Conseil des ministres adopta un décret fixant les prix les prix des médicaments essentiels dans le secteur privé. Le décret fixe les prix de 107 médicaments. Il en résulte une baise globale de l’ordre de 31,5 % des prix dans le privé.
UN CRÉNEAU PORTEUR :
Adama Diawara est le chef de la division "assurance, qualité et économie du médicament’’ à la Direction de la pharmacie et du médicament. Il explique que les raisons de la persistance du phénomène sont bien connues. "Les populations à faibles revenus sont simplement attirées par le côté bon marché de ces médicaments. Les prix des médicaments par terre défient toute concurrence et on n’est pas obligé d”acheter une boîte complète. Tout se vend au détail près. De prime à bord, cela semble économique par rapport au coût des ordonnances parfois trop élevé. Mais en réalité, il n”en est rien", explique le responsable. C”est vrai, admet-il que beaucoup de jeunes choisissent le créneau de la vente illicite de médicament pour des problèmes d”emploi et surtout pour la rentabilité du créneau pratiquement incontournable aujourd”hui.
Djimé Dembélé est, lui, le médecin chef au Centre de santé communautaire de Bamako-Coura. Il estime que le problème est beaucoup plus complexe. "Je ne pense pas que la pauvreté soit en cause. Les DCI ne sont pas chers. On peut par exemple se soigner pour 1000 Fcfa ou 1500 Fcfa. Je reçois tous les jours des gens qui ne sont pas fortunés mais qui réussissent à se soigner sans aller acheter les médicaments dans la rue. L”attitude qui consiste à se soigner seul sans consultation d”un médecin, c”est à dire l”automédication est, à mon avis, favorisée par le manque de répression de la part des services compétents en la matière", juge Dembélé. Un autre facteur qui favorise la tendance est ce que le médecin considère comme "la relativisation de la maladie" chez nous. En effet, nombre de nos compatriotes pensent connaître le remède à leur maladie et estiment qu”il n”est pas nécessaire de consulter un médecin. "Pourtant en se soignant au hasard avec les médicaments achetés dans la rue, on court de gros risques d”aggraver son mal ", avertit le responsable sanitaire.
Et dire que, toujours selon Djimé Dembelé, l”aggravation de la maladie n”est pas le plus grave des nombreux risques encourus en utilisant ces médicaments illégaux !
VRAIMENT NUISIBLES :
"Les risques liés à la modification des molécules généralement causée par l”exposition des médicaments au soleil sont énormes. Dans le meilleur des cas, le médicament est inactif, et dans le pire, cela peut aller jusqu”à la perforation gastrique, à la syncope ou à l”insuffisance rénale. Ne parlons même pas de la résistance aux bons médicaments qu”engendre l”usage de ces médicaments qui diminuent considérablement l”efficacité des bons traitements", appuie de son côté le directeur du Laboratoire national de la santé, Gaoussou Kanouté.
"Les risques sont encore plus élevés chez les enfants, renchérit Djimé Dembbélé. Car, ni les vendeurs ni les parents ne connaissent la composition du produit encore moins sa posologie. Les risques d”intoxication très graves sont élevés chez les enfants. De plus, la prise de médicaments illégaux pose des problèmes pour le diagnostic, puisqu”ils enlèvent les signes cliniques sur lesquels on se base pour déterminer la maladie. Au finish, le traitement revient encore plus cher pour le patient qui a utilisé ces médicaments". "Et surtout qu”au prix des médicaments de la rue vient s”ajouter le coût de l”ordonnance quand en désespoir de cause, on se résout finalement à consulter un médecin", relève Dembelé.
Comment ces médicaments que l”on peut considérer comme des poisons, continuent d”être vendus librement dans nos rues et dans les divers marchés un peu partout dans le pays ? Une commission nationale de lutte contre la vente illicite de médicaments, ainsi que des comités régionaux, ont pourtant été mis en place depuis 1999. Regroupant des douaniers, des policiers, des économistes, ainsi que des membres de l”ordre des pharmaciens, d”associations, de la société civile, de l”administration, et des municipalités, cette commission se réunit deux fois par an. Elle bénéficie de fonds alloués par l”État, mais qui selon ses responsables "sont très limités". Ce qui selon le chef de la division "assurance, qualité et économie du médicament" à la Direction de la pharmacie et du médicament, Adama Diawara, expliquerait les difficultés à effectuer des opérations de répression sur le terrain.
"L”organisation de ce genre d”opération nécessite des sous", poursuit-il. "Si vous voyez que les forces de sécurité n”agissent pas quotidiennement, c”est le plus souvent par peur de se faire lyncher quand ils ne sont pas en nombre suffisant. De toutes façons, les petits vendeurs ne sont que le dernier maillon d”une chaîne qu”il faudrait remonter et démanteler", explique Diawara.
Un ancien membre de la Commission nationale de lutte contre la vente illicite de médicaments, pour des raisons que l”on comprend a tenu à témoigner sous le couvert de l”anonymat. "J”ai quitté la Commission le jour où un haut responsable, pour justifier le laxisme dans la répression contre ces médicaments illégaux, par le fait que l”activité est source de revenus pour de nombreux jeunes. J”étais vraiment sidéré. Mais des gens vivent aussi de la vente de la drogue ou du vol ! Surtout qu”il s”agit d”un problème de santé publique". Il estime que l”heure n”est plus à la sensibilisation. "Il faut que l”État agisse en faisant recours aux compétences de plusieurs départements ministériels, tant le problème est complexe".
UN PEU D’AMÉLIORATION :
Diawara, lui, préconise une relecture des textes réprimant la pratique et un contrôle plus rigoureux aux frontières. Pour le chef de la division "assurance, qualité et économie du médicament’’, il est en effet difficile d”éradiquer le phénomène au seul niveau national. "Le marché des médicaments illégaux représente 32 milliards de dollars (environ 1600 milliards Fcfa) de chiffre d”affaires annuel au niveau mondial", appuie Gaoussou Kanouté du LNS, "le problème est donc loin d”être seulement national. Le phénomène est en passe de prendre la dimension du marché de la drogue. Je pense donc qu”il est nécessaire d”instaurer les mêmes moyens de lutte contre les deux fléaux : contrôle rigoureux aux frontières et répression à l”intérieur du pays".
"La baisse globale de 31,5 % des prix des médicaments essentiels (DCI) a quand même un peu amélioré la situation", tempère Fadiga, le directeur de la Pharmacie populaire du Mali qui approvisionne prioritairement les pharmacies publiques. Ces dernières ont des prix fixés qu”elles ne peuvent pas augmenter, tandis que les officines privées ont un prix plafond (certes plus élevé). Dans cette fourchette, elles fixent les leurs prix en fonction de leur stratégie commerciale". Une approche commerciale que critique Djimé Dembélé. "Les médicaments ne sont pas des marchandises, il ne faut pas que ça soit un commerce comme les autres", estime-t-il. Faudra quand même que ceux qui ont choisi le métier de pharmacien vivent de leur boulot.
Un autre problème (bien pertinent) soulevé par le médecin chef du Cescom de Bamako-Coura est le fait que beaucoup de ses collègues n”ont pas encore le réflexe de prescrire des DCI, alors que ce faisant, on peut diviser le prix du traitement par deux. "Au Mali, 90 % des maladies sont traitables avec des médicaments essentiels, alors que la seule différence entre ceux-ci et les spécialités est que le médicament est tombé dans le domaine public".
C”est vrai que les médicaments des pharmacies classiques restent relativement chers malgré les efforts du gouvernement. Tout de même, il y a d”autres possibilités de se procurer des médicaments à moindre coût : recourir aux DCI ou s”approvisionner dans les pharmacies des structures sanitaires.
Hélène JEANMOUGIN
L”Essor du 12 Mars 2007
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