Nouvelle stratégie contre le VIH/sida : L’efficacité à l’épreuve de l’inégalité d’accès aux soins

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La célébration de l’édition 2014 de la Journée mondiale de lutte contre la pandémie (1er décembre) a donné lieu à la vulgarisation d’une nouvelle stratégie de lutte contre le VIH/Sida. Elle est axée sur le dépistage précoce et l’accès de la majorité des porteurs aux antirétroviraux. Un combat loin d’être gagné parce que non seulement les malades du Sud n’ont pas les mêmes chances d’accéder aux nouveaux soins comme ceux du Nord, mais aussi les financements se font de plus en plus rares en faveur des pays pauvres.

«90-90-90» ! Trop court pour être un numéro de téléphone, assez incomplet comme plaque minéralogique d’un véhicule et assez simple comme code. Ces chiffres incarnent pourtant un nouvel espoir pour des millions de personnes infectées ou affectées par le VIH/Sida. C’est en effet la nouvelle stratégie de l’Onusida dont l’objectif est de briser inexorablement la chaîne de transmission du virus (VIH) d’ici à 2020.

Concrètement, il s’agit d’agir de sorte que 90% des personnes infectées par le VIH connaissent leur séropositivité, que 90% des personnes séropositives aient accès à un traitement et que 90 % des malades traités aient une charge virale indétectable, donc incapable de contaminer des partenaires sexuels. L’objectif est ensuite d’accroître ces chiffres à un ratio de 95-95-95 d’ici à 2030. C’est ce qui ressort du rapport annuel de l’Onusida publié quelques jours avant la célébration de la Journée mondiale de lutte contre ce qui était jusque-là considéré comme le «Mal du siècle». C’était bien sûr avant que l’épidémie de la fièvre hémorragique à virus Ebola ne fasse trembler le monde à partir de l’Afrique de l’Ouest, précisément de la Guinée Conakry, du Liberia et de la Sierra Leone. Le nombre de malades et de transmissions est en constance baisse ces dernières années.

Au Mali, le taux de prévalence est par exemple passé de 1,7 % à 1,1 % entre 2001 et 2012. Mais, craint Michel Sidibé (directeur exécutif de l’Onusida), «si le monde n’accélère pas rapidement la riposte dans les cinq prochaines années, l’épidémie pourrait redémarrer et le nombre de nouvelles infections à VIH atteindre des niveaux encore plus élevés qu’aujourd’hui». Si tous les objectifs envisagés par l’Onusida sont atteints, ce sont près de 28 millions de nouvelles infections à VIH et 21 millions de décès qui pourraient être évités entre 2015 et 2030.

L’incertaine équation du financement

Actuellement, 13, 6 millions de personnes séropositives sont sous traitement dans le monde contre 6 millions en 2011. Et l’année dernière (2013), environ 15 milliards d’euros ont été investis dans la lutte contre l’épidémie. Les chiffres sont beaux et suscitent réellement espoir. Mais, quand on analyse de près, cet objectif est un vrai défi. Le relever, suppose d’abord que les barrières privant les malades du Sud des soins soient d’abord brisées. Les progrès sont perceptibles sur tous les continents. Mais, l’inégalité entre le Nord et le Sud l’est aussi. «Aujourd’hui, en France, les personnes infectées au VIH ont accès à de nouveaux traitements qui ne seront accessibles en Afrique que dans 20 ans», déplorait Philippe Douste-Blazy, président du Conseil d’administration d’UNITAID. C’était lors d’un débat sur RFI le 1er décembre dernier. Pilote d’un projet innovant en matière de financement de la lutte, il sait de quoi il parle.

C’est pour augmenter les ressources disponibles et prévenir la baisse de l’aide aux pays les plus pauvres que la France a souhaité devenir pionnière dans la création de financements innovants pour le développement.  Le premier laboratoire a été créé en 2006 avec UNITAID qui est un mécanisme de financement innovant à partir des prélèvements sur des billets d’avion. Chaque euro prélevé sur chaque billet d’avion n’est pas destiné au budget de l’Etat, mais est pré-affecté à UNITAID qui a ainsi collecté plus de 1,8 milliards de dollars en 6 ans. Un fonds affecté  en toute transparence à la lutte contre le Sida, le paludisme et la tuberculose, notamment en Afrique subsaharienne.

En 2011, 8 enfants sur 10  étaient  soignés contre le VIH/sida grâce à UNITAID, ainsi que des milliers de femmes enceintes séropositives afin de prévenir la transmission du virus de la mère à l’enfant. De même, chaque voyageur au départ d’un aéroport français, en donnant un euro supplémentaire, contribue à sauver 2 enfants du paludisme. Ils sont nombreux les observateurs, surtout des responsables d’Ong, à douter de l’atteinte des objectifs assignés à la stratégie «90-90-90». Cela d’autant plus que sa réalisation repose non seulement sur le maintien du niveau actuel des financements, mais aussi sur un improbable relèvement du plafond au profit de certains pays qui sont toujours à la case-départ en matière de lutte contre le VIH/Sida.

81 % des malades menacés par la réduction de l’aide budgétaire

Aujourd’hui, toutes les conclusions et les résultats montrent que les moyens manquent à un moment crucial de l’épidémie. Et pour M. Douste-Blazy, «sans une augmentation des financements en provenance des pays riches et des investissements de la part des pays pauvres, tout peut encore basculer et la tendance s’inverser». Et cela se fera au détriment des pays pauvres, notamment de ceux de l’Afrique subsaharienne  qui abritent pourtant 81 % des malades. Malgré les progrès enregistrés, cette région reste la plus touchée du monde par la maladie.

À l’heure actuelle, disent des experts, deux types de financements servent à lutter contre le VIH/Sida. D’un côté, les financements nationaux représentent 50 % des fonds alloués contre la maladie. Les Etats prennent alors en charge leurs propres malades. Les 50 % restant relèvent de l’aide internationale qui se divise en deux grandes lignes directrices. Le canal bilatéral, fiancé par des agences ou Etat par Etat et le canal multilatéral, via notamment le Fonds mondial de lutte contre le Sida, la tuberculose et le paludisme. Les Etats et les associations participent à son financement et 21 % des subventions internationales du Fonds sont consacrés au Sida. Les pays donateurs ont commencé à réduire l’aide publique au développement depuis 2010. Cette dernière baisse dans presque tous les pays, au prétexte de la crise.

En France, cette baisse pourra atteindre 20 % pendant le mandat de François Hollande. Ce qui signifie que les pays en développement auront du mal à maintenir leurs dépenses de Santé, à plus forte raison les relever comme il est souhaitable. «Si les pays occidentaux payent la crise en nombre d’emplois perdus, les pays pauvres la payent en nombre de morts», craint un responsable d’Ong.

Les décideurs face à leur responsabilité en Afrique

Mais, il ne faut pas se voiler la face. L’Afrique ne pourra pas éternellement miser sur l’aide publique au développement pour relever ses défis. Améliorer la santé des Africains, relève d’abord de la responsabilité de nos dirigeants. Avec les richesses dont disposent la majorité de nos Etats, on peut dire que c’est juste une question de gouvernance, de vision et de priorité. Quand il s’est agit de célébrer le cinquantenaire de nos indépendances, il a plu des ressources. Alors pourquoi ne pas faire preuve de la même ingéniosité pour trouver des financements propres et indispensables à la lutte contre les épidémies et les pandémies ?

La santé des populations d’un Etat réellement souverain peut-il ou doit-il dépendre de la générosité d’autres ? D’où la pertinence de la volonté du président Ibrahim Boubacar Kéïta de créer et alimenter un Fonds national de lutte contre le VIH/Sida au Mali. Cette promesse faite le 1er décembre 2013, à l’occasion de la célébration de la précédente Journée mondiale, serait sur le point de se concrétiser. Le projet de loi et le décret d’application doivent être bientôt soumis au Conseil des ministres, puis à l’Assemblée nationale.

«Je vous avais promis la création d’un Fonds national de lutte contre le Sida afin de rendre durables les effets bénéfiques des énormes efforts déployés à cette date. Aujourd’hui, c’est presque chose faite», a assuré le président IBK le 1er décembre dernier. «Je considère que la mise en place effective de ce Fonds national comme l’un des symboles forts de mon engagement personnel et de celui des autorités nationales dans la lutte contre ce fléau. Ce sera aussi l’expression de la volonté nationale du peuple malien d’atténuer fortement la dépendance de notre pays vis-à-vis de l’aide extérieure en matière de lutte contre le Sida», a-t-il ajouté.

«Avec quelles ressources, ce Fonds sera-t-il alimenté», s’interrogent souvent des acteurs de la lutte. Pour le moment, Ladji Bourama (IBK) n’a rien dit sur cet aspect. Mais, à l’image d’UNITAID, on pourra imposer de nouveaux impôts et taxes sur des produits qui nuisent à la santé comme le tabac et l’alcool (vins et spiritueux). Et aussi sur les industries extractives (permis de recherches ou d’exploitation) et les voitures de luxe (dédouanements, vignettes, assurances), qui polluent de plus en plus nos villes… Résoudre l’équation de l’alimentation de ce Fons crucial, est sans doute l’une des conditions sine qua non de la réussite de la stratégie «90-90-90» au Mali !

Moussa BOLLY

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