La Paix a-t-elle réellement un sens pendant que la mortalité maternelle tue plus de femmes que la crise sécuritaire ? Voilà, en somme, l’interrogation lancée par Issafrica, Institute for Security Studies, à la lumière d’une étude qu’elle aura menée sur ce fléau très largement méconnu du grand public.
L’on en parle assez peu, et pourtant, la problématique des femmes qui meurent en donnant la vie, mérite que l’on s’y penche. Très souvent, l’on donne le soin à la fatalité et au destin d’endosser la responsabilité du drame. De ce fait, le sujet devient quasiment tabou. En réalité, le très haut taux de mortalité maternelle est aussi le reflet d’un système de santé défaillant, de la très grande dépendance financière des femmes vis-à-vis de leurs maris. Egalement, une certaine mentalité trouve normal que la femme, de manière générale, souffre dans son ménage en donnant vie à des enfants.
Il est extrêmement difficile d’avoir des statistiques fiables et actuels en la matière. Cependant, en 2017, les Nations-Unies estimaient le taux de mortalité maternelle à 562 morts pour 100 000 naissances. C’est 2,7 fois plus que la moyenne au niveau mondial qui est de 211 décès. Des années d’instabilité sécuritaire et politique et surtout l’absence d’un fichier d’état civil fiable sont des facteurs entravant fortement l’obtention d’amples chiffres sur ce fléau.
De ce fait, le Mali est le 13ème pays le plus dangereux au monde pour une femme donnant naissance. La récurrence des mutilations génitales féminines et des mariages précoces aggravent davantage une situation déjà alarmante. Ces deux facteurs sont connus pour être des risques de mortalité maternelle. Les statistiques sur le plan national sont moins graves que celles des Nations-Unies mais sont tout de même alarmantes. Selon l’enquête démographique pour la Santé, pendant la période de 2011 à 2018, sur 100 000 naissances 325 femmes mourraient en couche.
Toujours selon l’étude menée par Issafrica, sur la seule année de 2017, plus de femmes sont mortes en donnant vie que sur les six années précédentes de la crise sécuritaire. Aussi, le taux de mortalité maternelle (4400 victimes) est beaucoup plus élevé que le nombre de victimes, tout âge et sexe confondu (946 victimes), dû à la crise sécuritaire sur la même période. Cela équivaut à 12 morts maternels par jour ou encore à 366 morts par mois.
Le système sanitaire du pays était en mauvais bien avant le début de la crise. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, 116 centres de santé ont fermé à cause des violences liées à la crise sécuritaire. Les rares centres qui restent ouverts sont très souvent la cible de groupes armés terroristes. A travers le pays, les services de santé de qualité sont très peu nombreux. L’OMS recense 2571 centres de santé fonctionnels au Mali dont la moitié se retrouvent au sud, principalement aux alentours de Bamako. Les régions du centre et du nord sévèrement touchées par la crise se contentent du peu qui reste. Le tableau est d’autant horrible que 33% de centres de santé ne sont pas équipés pour les soins prénataux et autres services affiliés. En 2018, seuls 71 gynécologues-obstétriciens étaient recensés pour approximativement 4 millions de femmes maliennes âgées de 15 à 45 ans. La moitié de ces spécialistes évoluaient à Bamako et ses environs tandis que des régions entières n’en disposaient pas d’un seul.
Un autre défi lié à la santé maternelle et néo-natale, c’est le cout financier, dans un pays où 47% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. En 2005, la décision du gouvernement de rendre la Césarienne gratuite fut une bonne idée. Mais son impact positif bute sur les frais de soins liés à la grossesse. En 2019, le gouvernement avait annoncé des réformes afin de rendre gratuit les frais de santé des femmes en grossesse, investir dans le staff médical et rendre accessible les soins de santé sur toute l’étendue du territoire. Malheureusement, cette promesse est pour l’heure non-tenue.
La précarité financière des femmes est un facteur à prendre en compte. Traditionnellement, elles sont assignées aux tâches domestiques, sans plus. Souvent, la structure patriarcale donne très peu d’espace d’expressions à la femme, et ce, même pour des décisions qui la concerne, comme par exemple les frais liés à sa santé. Les autorités du pays sont conscientes du défi qu’il va falloir relever afin d’améliorer la santé de la jeune femme. Un plan de développement sanitaire et social a été adopté et s’étalera sur 10 ans (2014-2023) visant à réduire considérablement la mortalité maternelle et des enfants de moins de 5 ans. Toutefois, les données sont quasi inaccessibles.
A noter que l’indice de fécondité au Mali est de 6,3 enfants en 2018. Il est l’un des plus élevés au monde.
Ahmed M. Thiam