Santé et médecine ne sont pas nécessairement synonymes. Mais, la médicalisation de la Santé a atteint de nos jours un degré tel que la différence n’est plus évidente.
Qui dit médicalisation dit médicaments. C’est ainsi que l’enveloppe réservée à l’achat des médicaments absorbe 10 à 15 % du budget de la santé dans les pays développés ; ce pourcentage grimpe à 40 % dans les pays du tiers-monde.
On comprend alors que le système médical tiers-mondiste se soit fourvoyé dans une impasse qui exigeait un… traitement… de cheval.
C’est dans ce contexte difficile que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a chargé il y a une vingtaine d’années un groupe d’experts d’établir une liste de médicaments dits essentiels. Il en a résulté un travail très sérieux qui a permis de dégager un ensemble de 250 médicaments.
Le groupe d’experts a toutefois précisé que cette liste n’est ni exhaustive, ni universelle. Elle constitue tout simplement une base sur laquelle pourraient s’opérer des choix variables d’un pays à l’autre, selon les priorités existantes et les moyens disponibles. C’est ainsi que tel pays pourrait la réduire à 100 médicaments par exemple, tandis que tel autre pourrait la rallonger un peu plus.
Mais, pourquoi une liste de médicaments essentiels (LME) ?
La société de consommation occidentale qui tient le tiers-monde en loisir a engendré des déséquilibres inquiétantes dans le domaine du marché du médicament (tant au point de vue production que distribution) :
Pour les 500 maladies qu’elle a répertoriées à travers le monde, l’OMS, estime que quelques 300 substances pharmaceutiques (soit 3 000 médicaments, toutes formes comprises : comprimés, sirops, injections, pellets, suppositoires, sprays, etc.) seraient largement suffisantes pour couvrir tous les besoins thérapeutiques de façon optimale. Or, le marché mondial du médicament propose actuellement le chiffre faramineux de 50 000 spécialités (augmentant de 500 autres chaque année !) élaborées à partir de 3 000 produits de base.
La pléthore est évidente et même inquiétante si l’on tient compte du fait qu’un médecin généraliste en Suisse ou en Allemagne (où la médecine est très développée) se contente de 50 à 100 médicaments dans sa pratique quotidienne ; mêmes les hôpitaux de ces pays (où officient les grands prêtres de la médecine) n’emploient que de 250 à 300 médicaments (sélectionnés il est vrai, par leur service de pharmacologie).
Une conclusion s’impose : il y a trop de médicaments inutiles.
Ces médicaments inutiles “marchent pourtant et relèguent même souvent au second plan des médicaments indispensables.
Entrez dans une officine quelconque de la place : vous constaterez que les étagères sont chargées de “fortifiants”, revitalisants”, reconstituants et autres poudres perlimpinpin !
Si ces médicaments inutiles “marchent”, c’est avant tout à la poigne de la publicité qu’ils le doivent.
Il n’est un secret pour personne que les firmes pharmaceutiques ont très souvent un budget de publicité supérieur à celui de la recherche.
C’est ce budget de publicité qui finance aussi bien l’élaboration de documents tendancieux que l’offre de cadeaux (gadgets et autres colifichets) au corps médical, que l’organisation de conférences et colloques très orientés, sans oublier les pots-de-vin gracieusement offerts à certains responsables des services de pharmacie ayant la haute main sur les commandes de médicaments.
Et c’est ainsi que l’hydre publicitaire parvient à mettre tout le monde d’accord : prescripteurs (corps médical), consommateur (malades réels ou imaginaires) et fournisseurs (services de pharmacie).
A force de distiller une information très orientée (voire déformée) par-ci, de graisser les pattes par-là, on arrive à faire admettre à tout le monde que le produit proposé est “nouveau”, “original”, plus puissant que ses prédécesseurs, “sans les inconvénients de ces derniers”.
C’est face à cette absence d’objectivité de l’information médicale donnée par les firmes pharmaceutiques et face au coût du médicament que l’OMS a jugé nécessaire de mettre à la disposition de ses pays membres une liste de médicaments retenus à partir d’informations scientifiques objectives et impartiales.
Ainsi, en toute connaissance de cause, tous les intervenants pourraient désormais choisir en toute liberté, le médicament qu’il faut, au moment qu’il faut.
Les avantages de cette démarche sont énormes.
En effet, la LME ne propose les médicaments que sous leur nom générique (dénomination commune internationale ou DCI).
Cela représente une importante économie financière par rapport aux médicaments sous nom de marque.
Le médicament DCI est en effet un médicament amorti, donc tombé dans le domaine public.
Toutes les charges récurrentes sont donc éliminées. C’est ainsi qu’un médicament, sous son nom de spécialité peut coûter 2 à 10 fois plus cher que sous son nom DCI.
La LME permet de restreindre la quantité de médicaments gérés par distributeurs et prescripteurs. D’où une meilleure gestion des stocks, mais aussi une meilleure maîtrise de la prescription médicale même.
En effet, les médicaments sont devenus si nombreux qu’il est impossible à un médecin de se tenir à jour par rapport à l’information sur leurs effets secondaires, leurs inter-réactions, etc.
La sagesse et l’honnêteté intellectuelle recommandent de réduire sa panoplie de produits à tout médecin praticien.
En résumé, la LME permet une acquisition des produits à un coût modeste, un désenvoûtement des prescripteurs et des consommateurs vis-à-vis de la drogue publicitaire pharmaceutique et une désaliénation vis-à-vis du système même de la surconsommation et du gaspillage.
A l’évidence, les soins de santé primaires et la santé communautaire ne peuvent pas se passer d’une telle liste. Ceci expliquant cela, l’on comprend alors pourquoi la LME n’a retrouvé véritablement ses marques que lorsque les SSP ont été remis sur pieds à travers la mise en place des jalons de la santé communautaire.
Et c’est là que se situent aujourd’hui les enjeux de cette affaire.