Au Mali, il existerait 3 800 hémophiles pour les 22 millions de maliens, selon la fédération mondiale de l’hémophilie. Malgré ces chiffres, cette maladie reste méconnue à cause de l‘insuffisance du taux de diagnostic. Pour en savoir davantage sur l’hémophilie, entretien avec Pr. Yacouba Lazare Diallo de l’hôpital du Mali.
L’hémophilie est un trouble hémorragique héréditaire qui se traduit par l’incapacité du sang à coaguler correctement. La maladie est liée à un déficit en facteur VIII, une des protéines responsables de la coagulation sanguine (absence totale ou présence à un taux insuffisant). Selon le Pr Yacouba L Diallo, l’absence de traitement adéquat de l’hémophilie peut entraîner une mort précoce. D’ailleurs, explique le professeur Diallo, l’un des segments d’orientation est : « quand vous observez une famille atteinte de l’hémophilie, vous allez constater qu’il y a une notion de mort répétée d’enfants avec des histoires similaires tels que des saignements qui vont entrainer des décès précoces voire des décès répétés chez les enfants de sexe masculin ». « Le décès est la conséquence ou complication majeure en absence de traitement », souligne le professeur, ajoutant que « les patients qui arrivent à survivre, vont s’en tirer avec des handicaps moteurs. Le handicap moteur est la conséquence des saignements répétés et des raideurs sur les articulations chez les enfants qui naissent normaux ».
Tous les spécialistes dans ce domaine sont unanimes que l’hémophilie peut aussi développer des handicaps moteurs chez le patient, la prise en charge médicale n’est pas faite correctement. Sans un diagnostic précoce et une prise en charge adéquate, l’hémophilie constitue un obstacle au développement de par le coût élevé de sa prise en charge, mais aussi les handicaps qu’elle entraîne.
Au Mali, la prise en charge de personnes souffrant de l’hémophile se fait en deux étapes. La première, selon le Pr Diallo, consiste à faire un diagnostic à travers des prélèvements et des analyses de sang pour confirmer si le patient souffre de l’homophilie A ou B. L’hémophilie A est une maladie génétique causée par une mutation sur le gène codant le facteur de coagulation VIII. Actuellement, le traitement préventif consiste à injecter, plusieurs fois par semaine et en intraveineuse, ce facteur manquant. «L’approche limite le risque de saignement sur une courte période », explique ce spécialiste. Poursuivant qu’au Mali, les patients sont directement inscrits dans l’enregistrement national des coagulopathies et une petite quantité les concentrés de facteurs (des médicaments), que la fédération internationale de l’homophilie donne gracieusement au Mali, sont mis à la disposition du patient qu’il garde à la maison en cas de complication. « Si cette solution n’arrive pas juguler le problème, le malade est directement pris en charge par l’hôpital », informe le spécialiste dans le traitement de l’hémophilie. Les nombreux patients que nous avons interrogé au cours de ce travail reviennent pratiquement sur leurs difficultés. «J’y ignorais que je souffrais de l’hémophilie. Pendant plusieurs années, mes parents ont tenté de traiter cette maladie par les traitements traditionnels jusqu’à ce qu’un jour un médecin leur conseille de m’envoyer à l’hôpital Gabriel Touré, où le diagnostic a montré que je souffre d’hémophilie », nous confie M.K.
Contrairement au précédent, Y.C a eu plus de chance puisque sa maladie a été très vite découverte par les médecins qui l’on inscrit dans le registre des hémophiles du Mali. « Quand les analyses ont montré des anomalies, j’ai été très vite prise en charge. Je suis à la maison pendant plusieurs années avec mes médicaments que je prends conformément aux recommandations de mon médecin traitant. Souvent je me rends à l’hôpital en cas de complication mais la plupart du temps je reste à la Maison », explique YC. Selon lui, les périodes difficiles avec des saignements et des complications respiratoires sont dernière lui grâce à la prise charge médicale dont il bénéficie.
Bien que l’Etat ait créé des unités de prise en charge des coagulopathies dans certains hôpitaux de Bamako et à l’intérieur du pays, sa contribution dans la subvention des concentrés de facteurs reste moins importante. C’est pourquoi les médecins et les patients que nous avons interrogé lors de notre reportage sollicitent de plus en plus de subventions pour les médicaments. «Tous les concentrés de facteurs que nous donnons aux patients sont acquis grâce aux dons faits par la fédération mondiale et nos partenaires de Novo Nordisk Haemophilia Foundation (NNHF) », a indiqué le Pr Diallo.
L’hémophilie, une maladie méconnue il y a 20 ans au Mali, est en train d’être connue à cause d’un taux de diagnostic en pleine augmentation. Quand l’Association Malienne de Lutte contre l’Hémophilie et les autres Coagulopathies se créaient en 2012, on comptait seulement 20 patients. Aujourd’hui, le nombre de coagulopathies enregistrées dans le registre national a atteint 250 personnes. « Ce chiffre peut s’expliquer par une prise de conscience progressive chez la population. Grâce aux actions médiatiques, beaucoup viennent pour se faire dépister », analyse le Pr Diallo, annonçant que la plus grande partie de la population atteinte d’hémophilie est de sexe masculin.
«Aucune raison de stigmatiser un hémophile »
Le spécialiste soutient que ce n’est pas une maladie contagieuse mais plutôt une maladie génétique. « Toucher un hémophile ne transmet pas la maladie à quelqu’un. Donc, il n’y a aucune raison de stigmatiser les personnes souffrantes de cette maladie », conseille le spécialiste. Précisant que« cette maladie héréditaire (l’hémophilie) transmise de façon récessive liée au chromosome X de parent à enfant. Cette anomalie est à l’origine de l’absence du facteur VIII et du facteur IX qui va faire en sorte que le sang mettra plus de temps à coaguler sans l’aide d’un facteur extérieur ».
En somme, ce spécialiste dans le traitement de l’hémophilie pense que cette maladie n’est pas une fatalité. Selon lui, c’est une maladie chronique comme les autres maladies héréditaires telles que le diabète, l’hypertension etc. A ce titre, il a conseillé les patients à sortir de l’anonymat afin de se faire dépister pour bénéficier le traitement adéquat.
A l’en croire, c’est la seule voie pour éviter les complications mortelles ou les handicaps moteurs. Dans les familles, il recommande aux proches des patients de ne pas les stigmatiser encore moins de les rejeter. « Ils n’ont rien fait pour mériter cette maladie. Ils ont plutôt besoin de l’affection », conseille le spécialiste, concluant que l’hémophilie est une maladie chronique moins dangereuse que les autres maladies chroniques. Malgré l’optimisme du professeur Abdoulaye Diallo, la Fédération Mondiale de l’Hémophilie (FMH) estime qu’au Mali, la maladie n’est pas bien connue. Selon les estimations de FMH, il existerait plus de 3 800 hémophiles pour les 22 millions de maliens. Malheureusement, souligne FMH, moins de 90% de cette population n’est pas diagnostiquée, donc ne bénéficient pas de traitement adéquat. « Elle touche toutes les races, toutes les couches de la société sans discrimination aucune », révèle toujours la Fédération mondiale de l’hémophilie, qui exhorte les patients maliens à sortir dans l’anonymat pour faire le diagnostic de la maladie au Mali.
Siaka DIAMOUTENE/Maliweb.net