Pour cause de Covid-19, le prix du coton a drastiquement chuté au Mali. Les cotonculteurs, sans subvention de l’Etat, ont aussi boycotté la campagne agricole 2020-2021. Les usines de transformation de graines de coton en aliments bétail, se sont alors retrouvées sans matière première. Conséquences : le marché du tourteau explose et le prix de la viande flambe.
Les bras chargés de sons, Dioncounda Bathily s’affaire à donner à manger à sa trentaine de bœufs. L’éleveur est contraint d’observer un délai d’embouche plus long que d’habitude.
La vente de ses bœufs arrivés à «maturité», se faisait tous les trois mois, explique cet éleveur installé au parc à bétail de Niamana en Commune VI de Bamako. Avec son cheptel actuel, il en est à son quatrième mois et ses bêtes n’ont «toujours pas atteint le poids requis».
Selon ce quinquagénaire, le tourteau qui est le principal aliment de bétail est «intouchable» depuis plusieurs mois. «Le prix a flambé d’un coup, et cela nous complique la tâche».
Fabriqué à base de graines de coton, le tourteau est l’aliment bétail le plus convoité au Mali par les éleveurs. Cette année, son prix a connu une augmentation spectaculaire. De 160.000 FCFA il y a un an, la tonne est passée à 200.000, voire 2010.00 FCFA à Bamako, selon Abdoulaye Djimdé, également emboucheur dans le même parc à Niamana.
Selon la direction de la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT), la pénurie de graines de coton est la conséquence de la pandémie de Covid-19 sur la campagne agricole 2020-2021.
«En termes de superficie, moins de 30% des champs de coton ont été cultivés», regrette la Compagnie dans une note sur la question. «Suite à la pandémie de COVID-19, les cours de la fibre coton ont chuté. L’impact de cette chute sur le prix d’achat est qu’on passe de 275 FCFA/kg en 2019-2020 à 200 FCFA/kg en 2020-2021», indique la CMDT.
Cette baisse des prix du coton graine a suscité une révolte chez les paysans qui ont décidé de boycotter la campagne 2020-2021. D’où cette pénurie de matière première pour les unités de fabrique de l’aliment bétail.
Le tourteau devenu inaccessible, les éleveurs se rabattent sur les résidus de canne à sucre de N-Sukala, usine de production de sucre au Mali. Là aussi, la loi du marché les rattrape : face à la forte demande, le prix a vite grimpé. Le kilo de la mélasse est passé de 90 à 250 FCFA sans préavis.
Aboubacar Ba, président de la Fédération nationale des éleveurs et marchands de bétail du Mali, indique qu’ils ont saisi les autorités, en vain, à ce sujet. D’après lui, «l’Etat doit prendre des dispositions pour faciliter l’entretien des animaux afin de mieux ravitailler le marché de la viande et autres produits de l’élevage». Le secteur de l’élevage et la chasse représentent 15% du PIB au Mali en 2019, selon des chiffres de l’Institut national de la statistique du Mali (Instat).
Matière première introuvable
Le Mali compte 86 usines de production d’huile et d’aliments de bétail. Celles-ci sont aujourd’hui confrontées à une pénurie de leur matière première, les graines de coton.
«Les 2/3 de nos usines ne sont pas en activité» explique Aboubacar Sidiki Diabaté, secrétaire général de la Fédération nationale des producteurs d’huile et d’aliments bétail.
La CMDT ne pouvant assurer l’approvisionnement correct des fabriques de tourteaux, celles-ci se tournent vers les pays de la sous-région, notamment vers la Côte d’Ivoire, le Bénin, la Guinée et le Togo, indique M. Diabaté.
Sur une prévision de plus de 700.000 tonnes de coton graine pour la campagne agricole 2020-2021, le Mali n’en a produit que 150.000. Cette faible production a eu un impact sur la graine de coton vendue aux usines de transformation.
Les usines qui ont un besoin de 660.000 tonnes n’en ont reçu en décembre 2020 que 10.000 et sont donc obligées, selon la Fédération nationale des producteurs d’huile et d’aliments bétail, d’importer tout le reste.
Avantages fiscaux ?
Sur la base d’un décret pris le 28 janvier 2019 pour suspendre la perception de la Taxe sur la valeur ajoutée (Tva), le gouvernement du Mali a invité les producteurs d’aliments bétail, à formuler des demandes dans ce sens sur leurs importations et/ou achats de graines de coton.
Selon Boubakary Doumbia, directeur général de la Direction générale du commerce, de la concurrence et de la consommation (DGCC) et membre de la commission interministérielle chargée de la réception et de l’étude des demandes d’exonération, «les dossiers des requérants ont été traités et transmis à qui de droit». Mais «aucun requérant n’a encore reçu sa notification des avantages fiscaux», regrette Aboubacar Sidiki Diabaté. Selon M. Maïga Conseiller technique au ministre des Finances, les documents attendus ne sont pas fourmis par les usines.
Cacophonie autour du prix plafond
Le 10 avril, la DGCC a fixé les prix indicatifs plafonds des produits de première nécessité ayant bénéficié de l’accompagnement du gouvernement. Ainsi, le prix de gros plafond du tourteau de coton est revu à 140.000 FCFA la tonne et 7.350 FCFA pour le sac de 50 kg. «Le respect de ces prix indicatifs plafonds est une obligation pour tous», insiste la DGCC dans un communiqué en date du 10 avril 2021.
Pour les producteurs d’aliments de bétail, de tels prix ne sont «pas applicables» dans la mesure où une tonne de graines importée du Bénin leur revient à 180.700 FCFA. Comment peut-on donc céder la tonne de tourteau (produit fini) à 140.000 FCFA ?» s’insurge Mamadou Ouattara, président de la Fédération nationale des producteurs d’huile et d’aliments de bétail du Mali.
L’augmentation du prix de l’aliment bétail a eu des répercussions sur le prix de la viande au Mali. De 2.200 FCFA, le kilo de la viande avec os est vendu aujourd’hui à 2.500 FCFA. Et de 2.700, le kilo de la viande sans os est passé à 3.500 FCFA partout à Bamako.
Si la pandémie a eu un impact sur le secteur au point de causer la hausse des prix de la viande, tout, dans cette crise, ne s’explique pas par le Covid-19. Kalifa Dembélé, directeur de la Direction nationale des produits et industries animales, l’explique par l’insécurité dans le centre du pays : «les commerçants de bétail n’y vont plus chercher les têtes que les braqueurs leur arrachent sur la route».
La culture fourragère comme alternative
Des experts en élevage estiment que le boycott de la culture par les paysans ne devrait pas impacter l’élevage malien, si le pays n’avait pas un tout petit peu laissé tomber la production fourragère au profit du concentré.
«La solution c’est de faire des bovins de vrais ruminants herbivores dont 80 à 85% de leurs aliments viennent des pâturages», souligne Dr. Abdrahamane Coulibaly, expert national en élevage au Programme de développement à l’exportation de la viande du Mali (Prodevim).
Kalifa Dembélé, le directeur de la Direction nationale des produits et industries animales pense qu’«un bovin ne doit pas dépasser 2 kg de tourteau ou de graine de coton par jour».
Les éleveurs sont dans «le gaspillage» car ils dépassent la quantité conseillée, affirme M. Dembélé, dont la structure sensibilise les éleveurs depuis des années à la culture de niébé et l’herbe à l’éléphant. «Ces plantes ont les mêmes vertus nutritionnelles que les concentrés», précise-t-il.
Selon Dr. Coulibaly, les concentrés tels que le tourteau et les graines de coton sont des produits qui doivent venir en complément de l’alimentation des bovins en période de soudure ou pour les engraisser un peu. L’expert en élevage, insiste sur des aménagements pastoraux car, estime-t-il, «faute d’espace de pâturage adéquat, plus de 60% des bovins maliens vivent dans les pays voisins tels que la Côte d’Ivoire».
Selon la Direction nationale des produits et industries animales, le Mali est le premier pays d’élevage de l’espace UEMOA avec plus de 12 millions de bovins et le 2e pays dans la CEDEAO après le Nigéria.
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