Déjà dans une situation de forte précarité, les femmes des médias au Mali sont fragilisées par la pandémie et ses conséquences. La Covid-19 a bouleversé l’ensemble des secteurs. La presse malienne a été durement éprouvée : perte d’activités, difficile rentrées financières, manque d’accompagnement… Le secteur des médias a été chamboulé dans son mode de fonctionnement. Les femmes, minoritaires dans les postes de responsabilités, se voient obligées de doubler d’efforts pour se maintenir.
-maliweb.net– La pandémie de la maladie à coronavirus a entraîné un chamboulement socio-économique dans le monde. Au Mali, le secteur des médias et de la presse, à l’instar d’autres, subit la crise sanitaire et ses conséquences.
Les entreprises de presse ont assisté à une grosse baisse de leurs recettes publicitaires, la diminution ou la cessation des abonnements ainsi que certaines de leurs activités. Notamment au début de la pandémie où les évènements étaient fermés au grand public. En plus, la pandémie a conduit les organisations, à tenir les évènements par visioconférence, en lieu et place des traditionnels points de presse et séminaires dont la couverture permet à plus d’un journaliste malien d’arrondir ses fins du mois.
« La maladie à coronavirus a impacté négativement le métier. Notamment chez les médias, qui ont connu des moments difficiles. Les journalistes ont connu une période de vache maigre notamment au moment où les autorités avaient décidé d’interdire les grands rassemblements, l’organisation des colloques et autres évènements. Les frais de déplacement reçus lors de ces activités est une source complémentaire pour les journalistes. En effet, les salaires sont mimines sinon insuffisants pour la plupart des cas. Pis, certains ne sont même pas salariés, et sans ces perdiems, ils sont confrontés à d’énormes difficultés économiques. Les journalistes maliens sont pour la plupart dans la précarité absolue surtout les femmes. Il leur est très difficile de faire face à leurs dépenses quotidiennes sans les voyages et couvertures médiatiques », témoigne Ramata Sambou Kéïta, journaliste-reporter au Quotidien L’Indépendant.
La Covid-19 a engendré une grande vulnérabilité chez les professionnels du domaine, singulièrement chez les femmes journalistes et animatrices de radios. Bien que nombreuses dans la presse, peu d’entre elles, occupent des postes de responsabilité.
Au niveau de l’Assep (association des éditeurs de presse privée du Mali), sur 240 titres (dont 50 réguliers) toutes périodicités confondues, seulement une dizaine appartiennent aux femmes.
Modibo Fofana, président d’Appel -Mali (association de la presse en ligne), pense que les femmes journalistes, ont été les premières victimes de cette crise sanitaire. Selon lui, les problèmes de trésorerie engendrés par la crise ont provoqué des licenciements au sein de certaines entreprises de presse, notamment celui du personnel‘non indispensable’.« Avec la crise, beaucoup de journaux de la place, ont été obligés de se passer de leurs agents. Ils ont réduit le personnel pour ne garder souvent que le rédacteur en chef, le monteur. Seulement les journalistes occupant des postes de responsabilité au sein de la rédaction ont été maintenus. Et même là, des salaires ont été réduits pour la plupart. Malheureusement, au sein de nos rédactions, les femmes occupent rarement des postes de responsabilité. Aussi beaucoup d’entre elles, ont soit vu leur salaire réduit à moitié, ou mises en chômage », témoigne le président Fofana pour souligner la précarité des femmes dans le secteur.
La résilience des directrices de publication mise à rude épreuve :
Pour la directrice de publication du Quotidien Le Soir de Bamako, Sarah Chouaidou Traoré, la pandémie a fragilisé l’ensemble des entreprises de presse au Mali.
« Au début de la pandémie, certaines entreprises, partenaires des journaux, ont demandé à ne plus être livrées. Pour certains, le journal était l’un des moyens de transmission de la Covid-19, chose qui a énormément pésé sur la vente des journaux.A cela, s’est ajouté l’arrêt des abonnements et publicités. La version numérique, a été préférée. Tous ces facteurs ont énormément joué sur nos trésoreries », a déploré la directrice de publication du journal Le Soir de Bamako.
Et de poursuivre que, le secteur des médias, et du journalisme, a été laissé pour compte tant par les autorités que par les faîtières. Pour, Mme Sarah Chouaidou Traoré, la presse privée a été mise à l’écart par le gouvernement.
Ses propos sont soutenus par cette autre directrice de publication Aïssata Diarra, jeune promotrice du journal L’Action.« La crise sanitaire a beaucoup impacté les médias. Surtout pour nous jeunes promoteurs, ça n’a pas du tout été facile. La première année, a été éprouvante, face à la situation nos parutions sont passées de : quotidien, à l’hebdomadaire, bi-hebdo à mensuel. Nous avons failli mettre clé sous porte »déclare la jeune directrice de publication dans un petit rire. « En plus, avec la crise, nous avons perdu nos partenaires. Les jeunes entreprises avions été mises à l’écart par les annonceurs, les rares publicités ont été distribuées aux médias les plus anciens et qui avaient plus d’audience que nous qui sommes à nos débuts. Mais on essaye tant bien que mal de s’en sortir. Le plus dur est passé, les activités reprennent doucement.Sinon, nos faîtières ont fait de leur mieux pour nous accompagner, surtout l’Assep, mais les promesses des autorités sont restées en suspense ».
Une absence du soutien du Gouvernement aux médias privés, également relevée par la présidente de l’Association des femmes journalistes du Mali (AFPM),Camara Mariétou Konaté.
« Les mesures d’accompagnement prises et mises en place par les gouvernements maliens pour atténuer l’impact de la Covid-19 sur le secteur productif et les populations n’ont pas pris en compte le secteur médiatique. L’Etat n’a pas accepté les propositions faites par les associations médiatiques pour venir en aide aux organes de presse. Ce manque de soutien a aggravé la précarité des journalistes », indique- t-elle.
La Directrice de publication et rédactrice en cheffe des journaux exclusivement animés par des femmes L’Africaine et le Journal L’annonceur, Mariétou Konaté, estime que l’impact de la Covid-19 sur la presse, a été doublement ressentie par les femmes journalistes et animatrices de radio. Selon elle, ces femmes en plus de leur profession ,s’ occupent de leur foyer, et avec le confinement imposé au début de la pandémie, il ne leur a pas été facile de combiner profession et obligations familiales. D’autre part, la directrice de publication de l’Africaine, souligne que les femmes de la presse ont été financièrement affaiblies par la fermeture des colloques et conférences à la presse au début de la pandémie.« L’impact de la crise a été pour nous la baisse des productions, en plus de l’accès difficile à certaines informations sans oublier la baisse de nos recettes publicitaires et abonnements » dira-t- elle.
Pour Mame Diarra Diop, Coordinatrice Radio à Mikado FM, « la Covid-19 a joué sur le travail des journalistes en général pas que sur des femmes spécifiquement. A la radio Mikado, il nous a fallu revoir notre façon de travailler notamment revoir notre grille de programmes, enlever certaines émissions dont la mienne ‘ Samedi Actu’.Il a fallu un réajustement du travail, nous sommes passés en télétravail. Ce qui a rendu difficile l’accès à certains de nos interlocuteurs. Nous avons également été obligés d’adapter nos moyens de travail (travailler avec le téléphone que de se rendre sur le terrain au cœur des informations. Ce n’était pas facile vu la psychose, la peur de la contamination, nous avons passé 8 mois à la maison, et ce n’était pas facile ! Quand les choses se sont calmées nous sommes retournés au service pour reprendre petit à petit toutes nos activités »,nous éclaire la coordinatrice de la radio onusienne. « Le travail des journalistes est important. Et il faut pouvoir faire son travail en minimisant les risques, continuer de se protéger, respecter les mesures barrières. La Covid-19 ne doit pas nous empêcher de faire notre travail de journaliste. Maintenant, il y a une autre source d’information pour nous qui s’est développée : les webinaires, les séminaires. Enormément de séminaires en ligne se sont développés avec la Covid-19 qui permettent aux journalistes de s’informer, de toucher les gens à l’autre bout du monde. Le digital est devenu la solution, la réponse à la Covid-19 pour faciliter le travail des journalistes. »
C’est un secret de polichinelle, que les entreprises de presse tirent la grande partie de leur subsistances des publicités et autres annonces. Malheureusement, les annonceurs ont également ressenti l’impact de la crise sur leur économie. Ce qui explique en partie, les problèmes de trésorerie de beaucoup d’entreprises de presse.
Les gros annonceurs touchés par la crise ont adapté leur besoin à la crise. Et à l’image de la société OrangeMali, beaucoup ont revu leur mode de communication. « L’activité économique a été ralenti dans le monde à cause de la Covid-19 et ça se ressent partout comme au Mali dans plusieurs secteurs. Nous, à Orange-Mali, en termes de communication, nous avions un peu moins communiqué. Parce que les activités ont été réduites, voire gelées, au niveau du sponsoring, on est passé de100% d’évènements à quasiment 0% puisque de par notre responsabilité, on ne pouvait pas organiser par respect aux mesures barrières. Tout au long de l’année dernière, on a mis un focus sur les dons et l’accompagnement du gouvernement », explique Fatoumata Doucouré, chargée de la Communication Institutionnelle à Orange –Mali.
Une diminution de l’événementiel, repris par le chargé Médias de chez DFA Communication, Paul Diarra.Il soutient que les agences de communication, ont été confrontées à une baisse d leurs activités faute de marchés.
Et cet autre promoteur d’Agence de Communication le confirme à son tour.Ousmane Tonton Touré, promoteur de l’Agence de communication PlanetCOM, se lamente en ces termes : « La pandémie a mis frein à l’essor de nos agences. Actuellement, notre secteur vit une très mauvaise passe. Nos agences sont même aux aboies ! Les activités sont en arrêt, il nous est difficile de faire face aux charges de nos entreprises. Surtout que nous n’avons bénéficié d’aucun accompagnement. Et les décisions interdisant l’organisation des évènements n’arrangent aucunement la situation. Avec la crise, seules quelques grandes agences parviennent à se maintenir. Et nos partenaires de la presse, à leur tour ressentent nos difficultés parce qu’il n’y a pratiquement pas de publicités ou autres affaires à faire, tout est arrêté.Seulement les grandes agences ont encore quelques rares annonces et publicité à leur donner, et même là c’est très timide.Avec la crise, la plupart des annonces que vous voyez sur leur plateforme ne sont pas toujours payantes ».
La Covid-19 cause des dommages incommensurables dans le bon fonctionnement des médias au Mali. En avril 2020, dans une intervention sur l’impact de la Covid-19 sur les médias, le président de l’Assep, Bassidiki Touré, avait estimé la perte économique de la presse écrite à plus de 3milliards de FCFA. Cette estimation prenait en compte le mois d’avril à juillet 2020. Aussi, à plus d’une année, allez mesurer l’impact de la pandémie sur les entreprises de presse.Comme souligné par la présidente de l’AFPM, certains journaux risquent de disparaître, et les femmes journalistes déjà dans leur grande vulnérabilité risquent d’être les premières à en pâtir.
Khadydiatou SANOGO/Ce reportage est publié avec le soutien de JDH/JHR-Journalistes pour les Droits Humains et Affaires Mondiales Canada