L’Etat a failli » : le Mali démuni face à la deuxième vague de Covid-19

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Alors que le pays est confronté à une forte hausse des contaminations, le personnel de santé critique la gestion de la crise par le gouvernement de transition.

Ils sont plusieurs dizaines, assis ou allongés, à attendre devant le pavillon dévolu au Covid-19 à l’hôpital du Mali, un établissement public de Bamako. Certains toussent, d’autres crachent. Tous se reposent sur des nattes en attendant les nouvelles d’un proche hospitalisé. Un étage au-dessus, Sadio Yena, le chef du service de chirurgie thoracique, jette un œil par la fenêtre avant de s’enfoncer dans son fauteuil. « J’ai peur, dit-il. Dans toutes les structures hospitalières maliennes, le personnel est débordé. Nous avons même dû recruter des étudiants en médecine. Nous n’avons pas assez de lits adaptés, pas assez de matériel, et nos ambulances circulent sans oxygène. »

Dix jours plus tôt, M. Yena a lancé un cri d’alarme qui a fait le tour des réseaux sociaux. Un enregistrement audio où, d’une voix épuisée, il dénonce la précarisation des structures médicales qui, depuis deux semaines, font face à la deuxième vague de Covid-19. Il raconte son impuissance et celle du personnel médical confronté aux patients mourant devant les hôpitaux, dans leur véhicule, en attente d’être traités. Son appel à l’aide a libéré la parole : infirmiers et médecins lui ont emboîté le pas, critiquant la gestion de la crise par le gouvernement de transition, installé à la tête du pays par les militaires suite au coup d’Etat du 18 août qui a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta.

« Les statistiques ne sont pas fiables »

Si les premiers mois, le Mali a été relativement épargné par le Covid-19, n’enregistrant que quelques dizaines de cas quotidiens, ce sont désormais plus de 150 cas qui apparaissent chaque jour. Depuis le début de la pandémie, près de 6 200 cas ont été officiellement enregistrés, dont 222 mortels, pour une population d’environ 20 millions d’habitants. « Un chiffre bien en deçà de la réalité, affirme M. Yena. Les statistiques ne sont pas fiables, les données ne sont pas remontées régulièrement et la population n’est pas assez informée sur le virus. Beaucoup de patients attribuent leurs symptômes à un rhume, une grippe ou une crise de paludisme et ne se déclarent jamais », mourant parfois à l’écart des structures médicales.

Selon le gouvernement, le nombre de tests journaliers est passé de 500 en mars à près de 2 500 aujourd’hui. En comparaison, entre le 7 et le 13 décembre, la France a réalisé près de 1,3 million de tests.

« Alors que les cas montent en flèche, la coordination du ministère de la santé pose problème, confie un médecin travaillant dans une organisation internationale. A deux reprises ces dernières semaines, le ministère n’a envoyé aucun représentant aux réunions de coordination du comité national de gestion des épidémies. C’est une situation très problématique. » Une critique partagée par Modibo Doumbia, chirurgien thoracique et président du conseil régional de l’ordre des médecins, à Bamako : « L’Etat a failli, il faut le dire. Il n’a pas donné de réponse appropriée depuis mars. Il y a eu quelques efforts, mais insuffisants. Alors que nos hôpitaux sont saturés, aucune directive claire n’a été donnée. Le coup d’Etat a stoppé les campagnes de sensibilisation dans les radios et à la télévision. Aujourd’hui, on en paie le prix. »

Suite à la colère exprimée par le corps médical, le gouvernement a annoncé, vendredi 18 décembre, la fermeture des écoles jusqu’au 10 janvier, ainsi que celle des bars, restaurants et de certains commerces durant quatorze jours. A l’issue d’un conseil des ministres extraordinaire, un état d’alerte sanitaire de six mois et un état d’urgence de dix jours ont aussi été déclarés. « Des mesures qui vont dans le bon sens mais qui ne sont toujours pas suffisantes, déplore M. Doumbia. Il faut relancer des campagnes en plein air invitant les populations à respecter les mesures barrières et le port du masque. L’Etat doit financer l’achat de masques pour les plus démunis. Car à Bamako, personne n’en porte. Il y a aussi un déni de la part de la population. » Selon la Banque mondiale, 42,7 % des Maliens vivaient dans l’extrême pauvreté en 2019.

« Nous travaillons sans compter nos heures »

Ce qui inquiète le plus les professionnels de la santé, c’est l’intensité de cette deuxième vague en comparaison de la première. « Depuis le premier cas déclaré au Mali, le 25 mars, on avait atteint un maximum de 276 cas par semaine. La semaine dernière, nous sommes passés à 679 cas », souligne le docteur Idrissa Compaoré, coordinateur médical de Médecins sans frontières (MSF) au Mali. Cette hausse a poussé l’ONG française à relancer en urgence son programme de lutte anti-Covid-19 dans le pays : lundi, des médecins, infirmiers et logisticiens en provenance de Dakar, Niamey et Paris sont arrivés en renfort. « Nous allons soulager les capacités hospitalières en allant soigner les patients directement chez eux, poursuit M. Compaoré. Car le vrai risque est la saturation des structures médicales. On estime qu’il y a moins de 50 respirateurs fonctionnels dans le district de Bamako. »

Une situation préoccupante, surtout en pleine saison de l’harmattan (de novembre à mars), ce vent du désert qui véhicule de nombreuses infections respiratoires aiguës, augmentant le taux d’occupation des hôpitaux. « Aujourd’hui, la situation est plus grave au Mali que dans les pays voisins au climat similaire comme le Niger ou le Burkina Faso, soutient M. Compaoré. C’est inquiétant car nous sommes encore loin du pic, attendu pour janvier. Et tant que les chaînes de transmission ne seront pas rompues, la situation ne s’améliorera pas. »

Accoudé à son bureau de l’hôpital du Mali, M. Yena réajuste ses trois masques superposés. « Si au moins les travailleurs de la santé étaient valorisés… mais non, rien. Nous travaillons sans compter nos heures et certains n’ont pas été payés depuis quatre mois, souffle-t-il. Cette situation pourrait être une formidable opportunité de mettre à jour nos structures médicales, quand tant de politiciens ont l’habitude de se soigner à l’étranger… mais non. Nos dirigeants préfèrent nous regarder mourir. »

Monde-Afrique

Matteo Maillard(Bamako, correspondance)

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