Au Mali, une bataille pour le contrôle des recettes issues des tests de dépistage du Covid-19 fait rage. L’objet de la convoitise ? Un petit pactole de quelque 15 millions de francs CFA par jour (plus d’un demi-milliard par mois) que récolte l’INSP, chargé des opérations de dépistage. Pour le ministère des Finances, l’argent revient à l’Etat malien, en vertu des lois sur les finances publiques. Les dirigeants de l’Institut, qui croule sous le poids des dettes, veulent tout garder. Enquête.
En cette matinée du 6 novembre 2020, ils sont plus de 200 personnes dans la salle d’attente de l’Institut national de santé publique (INSP) de Bamako pour se faire dépister du Covid-19. La majorité d’entre elles ne porte pas de masques. La distanciation physique aussi fait défaut. Le respect des mesures barrières n’est plus d’actualité au sein de l’institut. Pourtant, elle est la structure en première ligne dans le dispositif de lutte contre la propagation du virus du Covid-19.
Pour les visiteurs regroupés ici, seule compte l’obtention du certificat de non positivité au Covid-19 qu’on est venu chercher, afin de pouvoir voyager. Depuis la reprise des vols internationaux, après un arrêt momentané consécutif à l’apparition du Covid-19, pour voyager, il faut être testé négatif à cette maladie. Pour faire le test, il faut débourser et payer à l’INSP le coût du test.
Qui disait «qu’à quelque chose, malheur est bon» ? L’INSP étant la seule structure habilitée par le ministère de la Santé à effectuer ces tests pour les candidats au voyage, ses locaux sont pris d’assaut chaque jour dès 5 heures du matin. Mais le travail ne commence ici qu’aux environs de 10h. Ce qui provoque parfois colère et incompréhension du public.
«J’étais ici hier. Jusqu’à 11 heures, personne ne s’était intéressé à nous. C’est bien après qu’on a été informé qu’il y avait un sit-in», raconte, sidéré, Jouas Sidibé, venu retirer les résultats de son test. La quarantaine révolue, Jouas Sidibé a été un des chanceux qui ont pu se faire prélever la veille, malgré le retard accusé dans l’ouverture des services.
Ce rush de candidats a été observé dès l’ouverture des frontières aériennes le 25 juillet 2020 après trois mois de fermeture (18 mars). D’ailleurs, le 17 août 2020, un communiqué du ministère de la Santé informait que les tests de Covid-19 sont réalisés exclusivement à l’INSP 48 heures avant la date de départ de chaque voyageur. Ils se font entre 7h 30 et 14h 30 et les résultats sont disponibles le lendemain de 12h à 16h 30.
Malgré ces instructions du ministère, du 9 au 23 novembre 2020, ces horaires de travail n’étaient pas respectés. Les agents de l’INSP ayant décidé de commencer le travail à 10 heures. À la demande de leur Comité syndical, ils ont tenu un sit-in tous les matins dans la cour de l’Institut de 7h30 à 10h pour dénoncer le non-paiement des primes, des indemnités, de la ristourne, des arriérés de salaire du personnel contractuel. L’odeur de l’argent généré par leur institut est passée par là.
Les recettes tirées des tests de Covid-19 ont visiblement aiguisé les appétits, car les problèmes financiers de l’institution ne datent pas d’aujourd’hui. «Nous sommes dans une situation de précarité depuis de nombreuses années. Le personnel a ainsi décidé de manifester après plusieurs tentatives de négociation», justifie Aboubakourou Diakité, secrétaire à l’organisation du Comité syndical de la santé, de promotion de l’enfant et de la famille de l’INSP.
D’après M. Diakité, il y a des agents qui travaillent sept jours sur sept, y compris les jours fériés et l’institution leur doit toujours des primes. «Depuis 2015, ils n’ont donc plus droit à la sécurité sociale», rouspète M. Diakité, par ailleurs membre du conseil d’administration de l’institut.
Dans leur préavis affiché un peu partout dans la cour de l’établissement, les trois comités syndicaux exigent la satisfaction de six doléances. Il s’agit notamment de l’utilisation de fonds Covid-19 comme recette propre de l’Institut conformément à son statut d’établissement avec une autonomie de gestion administrative et financière, le paiement des rappels différentiels de salaires, l’avancement et charges sociales des contractuels payés sur fonds propres et le paiement des primes bi-appartenance. Le ministère des finances voit les choses différemment.
À qui reviennent les recettes quotidiennes ?
Comme dans la plupart des Etats, le test Covid-19 pour les voyageurs est payant au Mali. Les autorités maliennes l’ont fixé à 35 000 FCFA payé contre une quittance à l’INSP.
«Nous testons quotidiennement entre 550 à 600 voyageurs avec des pics journaliers qui peuvent aller jusqu’à 1500 personnes», confie Pr. Akory Ag Iknane, directeur de l’INSP et coordinateur national de la riposte contre le Covid-19. Pr. Akory Ag Iknane précise qu’en plus des voyageurs, d’autres catégories de personnes sont testées à l’Institut. C’est le cas des agents de la surveillance épidémiologique dont les tests sont gratuits.
Selon des estimations faites par Ouestaf News, sur la base de 500 voyageurs testés au quotidien, l’INSP génère au minimum 17 500 000 FCFA de recettes par jour soit 525 000 000 FCFA par mois. Le calcul est fait sur la base de 500 voyageurs testés par jour, sept jours sur sept, puisque les tests se font du lundi au dimanche selon les responsables de l’Institut.
Sur la base des mêmes estimations, c’est au bas mot plus de trois milliards et demi de francs CFA que les tests Covid-19 ont généré entre la fin juillet 2020 et la fin février 2021. La gestion de ces revenus divise aujourd’hui le ministre de la Santé, tutelle de l’INSP, et celui de l’Economie et des Finances.
Faisant fi des textes sur les finances publiques, le Conseil d’administration (CA) de l’INSP, présidé par le ministre de la Santé, avait confié la gestion du fonds Covid-19 voyageur à l’INSP. Le département des Finances en a décidé autrement.
«Le 17 octobre 2020, nous avons tenu un conseil d’administration extraordinaire par rapport aux recettes issues des «tests Covid voyageurs» et l’instance a considéré que ces ressources sont de la propriété de l’INSP», affirme le directeur de l’institut, Pr. Akory Iknane. Selon lui, cette décision est conforme au décret N°2019-011/P-RM du 27 mars 2019 qui octroie une «autonomie de gestion administrative et financière» à l’INSP.
Toutefois, poursuit M. Iknane, «une dizaine de jours après, nous recevons un courrier du ministère des Finances nous ordonnant de ne pas utiliser ces ressources, car elles sont réservées au Trésor public». Pr. Iknane affirme que c’est ce qui est à la base de la tension sociale au sein de la structure.
De son côté, le ministère de l’Economie et des Finances estime que le fonds Covid-voyage n’est pas un fonds propre de l’INPS. «C’est une recette exceptionnelle et doit être reversée au trésor public. Les tests PCR sont payés par l’Etat et non par l’INSP. Donc l’argent généré par ces tests ne doit revenir qu’à l’Etat», a confié un conseiller du ministre des Finances.
Des promesses pour éteindre le feu
Le ministère de la Santé a soumis «un projet de décret instituant une redevance test Covid-voyage au ministère de l’Economique et des Finances pour avis et transmission au secrétariat général du gouvernement», selon un document de conciliation, signé le 19 novembre 2020 entre les syndicalistes en grève et le secrétaire général du ministre de la Santé, Dr. Mama Coumaré. L’objectif de ce projet de loi est de trouver un moyen de ramener les recettes ou une partie de celles-ci à l’INSP.
Selon un conseiller du ministre de l’Economie et des Finances, «le décret a été validé par le ministère de l’Economie et des Finances depuis le 28 décembre 2020» et le dossier transmis à qui de droit. À défaut d’avoir une copie du décret en question, Ouestaf News a pu lire le document qui rappelle l’obligation de reverser au trésor public les recettes générées par les services publics.
«L’article 30 du décret n°2018-009PRM du 10 janvier 2018, portant règlement général sur la comptabilité publique, précise qu’il est fait recette au budget de l’Etat du montant intégral de tous les produits, quelle qu’en soit la provenance et sans contraction entre les recettes et les dépenses. En application de cette disposition, les redevances test Covid-voyage doivent être versées au trésor public. Toutefois, les ressources générées par le test Covid-voyage sont affectées à 50% à l’INPS, pour la prise en charge des dépenses liées aux tests Covid et à 50% aux recettes du budget de l’Etat», indique l’article.
Le directeur de l’INSP affirme être au courant de l’existence du décret, mais souligne qu’il doit forcément être adopté par le Conseil des ministres. Or, ce n’est pas encore le cas. Pour quelle raison ? Le gouvernement n’a fourni aucune explication.
Du principe de l’unicité des caisses
Les propos et revendications des responsables de l’INRSP et les syndicalistes sont en contradiction avec ce que prévoient les textes sur les finances publiques au Mali. Des économistes et spécialistes en finances, interrogés par Ouestaf News, affirment à l’unisson que les fonds générés par les tests Covid-voyage doivent être «reversés à l’Etat», suivant le principe de l’unicité de caisse, en matière de comptabilité publique.
«Au nom du principe de l’unicité des caisses, l’INSP est obligé de reverser l’intégralité du fonds au trésor public», précise d’emblée Dr. Etienne Fakaba Sissoko, chercheur et professeur d’économie à la Faculté d’économie et de gestion de Bamako.
Dr. Sissoko cite en exemple des universités qui ont aussi une autonomie de gestion administrative et financière. «Elles sont obligées de reverser au trésor public même les frais d’inscription des étudiants», précise le professeur en économie.
Madibo Mao Makalou, spécialiste en finance internationale, abonde dans le même sens. Selon lui, l’autonomie de gestion financière ne concerne pas les fonds générés par les structures qui ont ce statut. «Dans le budget national, toutes les structures de cette catégorie ont une dotation. Le statut d’autonomie de gestion financière leur permet juste de gérer cette ligne de crédit sans passer par leur ministère de tutelle», explique M. Makalou.
Autrement dit, les fonds générés par les structures autonomes reviennent au trésor public qui est la banque de l’Etat. Toutefois, M. Makalou précise que le ministère des Finances peut exceptionnellement octroyer aux structures qui ont leur autonomie de gestion financière, la gestion d’une partie des fonds qu’elles génèrent. L’INSP est donc obligé d’attendre l’adoption, en conseil des ministres, du décret lui affectant, à titre exceptionnel, les 50% des recettes générées dans le cadre des tests Covid-voyage.
En attendant d’obtenir cette faveur gouvernementale, le directeur Iknane et son équipe font face à une mission d’audit des partenaires qui leur ont offert des tests PCR pour la surveillance. «Lors des ruptures des tests payés par le gouvernement, l’INSP a utilisé beaucoup de tests offerts par les bailleurs dans le cadre des tests de covid-voyage», reconnaît le directeur Iknane. Conséquence : les partenaires exigent aujourd’hui le remboursement des recettes générées par la monétisation des tests censés être gratuits. Un autre boulet au pied de l’institution.
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