Le tramadol : l’épine sous-estimée dans le pied de l’Etat malien

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A force de consacrer plus de temps et d’énergie à un seul problème, dans une forêt de problèmes, on risque de se retrouver dans une excavation inextricable. Tel est le cas de l’Etat malien qui n’a visiblement cure que du problème sécuritaire dans la partie centrale et septentrionale du pays, alors que sous ses pieds végètent d’autres problèmes susceptibles de devenir des maux métastatiques. La problématique du tramadol en est un.

Selon la revue médicale mensuelle indépendante française «Prescrire », le médicament à base de tramadol est un antalgique opioïde, qui expose ses consommateurs à d’innombrables effets indésirables communs à tout opioïde : troubles digestifs, neuropsychiques et respiratoires, dépendance à la fois physique et psychologique, accoutumance, troubles du rythme cardiaque, hypoglycémie, entre autres.

Et la même source de relever que le tramadol est le médicament opioïde le plus impliqué dans les surdoses mortelles, la consommation et la mortalité étant liées. Des études britanniques et coréennes démontrent par ailleurs, toujours selon « Prescrire », qu’il y a plus de risque de mort lié au tramadol qu’à d’autres antalgiques.

Or le problème du tramadol touche le monde entier en ce sens qu’il est l’anti-douleur prisé par beaucoup de pays à travers la planète, en dépit de ses effets néfastes pour la santé et très souvent destructeurs. L’ironie de l’histoire est qu’on n’évoque le plus souvent que les méfaits du seul tramadol pharmaceutique licite, qui a tout de même sa parcelle d’utilité. Le malheureux sort de l’Afrique, déversoir des médicaments (qualité inférieure ou de mauvaise qualité) des plus grands laboratoires occidentaux, ne peut en être que plus funeste. Et, selon la canadienne titulaire d’un doctorat en études musico-littéraires, Emma Hooper, « l’industrie pharmaceutique de contrefaçon est particulièrement florissante en Afrique de l’ouest où les forces de l’ordre se battent pour mettre fin aux activités des syndicats du crime qui opèrent avec des connexions internationales ».

Le Nigeria est la brèche la plus béante du trafic de faux médicaments et gangrène toute la sous-région de ce problème, le sahel étant le plus concerné. Le nord Mali, qui échappe en partie au contrôle de l’Etat, est considéré comme le point de départ des routes du sahel pour l’acheminement de toutes sortes de drogues vers d’autres cieux. Si à cela s’ajoute la porosité de nos frontières avec d’autres pays voisins comme la Guinée (un autre véritable nid du trafic de faux médicaments), la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Sénégal, le Niger qui essayent tant bien que mal de se soustraire de ce guêpier de faux médicaments, le Mali pourrait finir par ravir sa place au géant Nigeria qui est connu d’avoir le plus grand réseau de trafic de faux médicaments. Près de 19,88 tonnes de faux médicaments ont été par exemple saisies au Mali entre 2015 et 2018 alors que pour beaucoup de vendeurs clandestins de produits pharmaceutiques contrefaits le tramadol est de très loin le faux médicament le plus prisé surtout celui du Nigeria par rapport à celui de la Guinée.

Selon l’office central des stupéfiants (OCS), les statistiques de saisie de drogue en 2018 sont de 270 mille comprimés de tramadol saisies.

  • Pourquoi cet attachement addictif précisément au tramadol

A en croire le professeur Amine Beyamina, addictologie à l’hôpital universitaire Paul Villejuif de paris, ce produit illicite possède un noyau anti dépresseur, une puissance antalgique et addictive bon marché, surtout accessible du fait qu’il a l’aspect d’un médicament. À la lumière de son explication, on est fondé à admettre que l’état actuel de notre vie sociétale rend attractif des stupéfiants comme le tramadol, et cela pour diverses raisons : le noyau anti dépresseur qu’il contient est l’élément le plus incitateur pour la majeure partie d’une jeunesse qui ne sait plus où donner la tête, avec une éducation familiale de façade, une éducation communautaire failli, un système éducatif scolaire en lambeaux et sans promesse d’avenir radieux ni garantie d’avenir convenable.

Par ailleurs, les vertus antalgiques du produit incitent bon nombre d’ouvriers à en consommer pour travailler de façon surhumaine et accroître leurs rendements et revenus. En témoigne l’aveu d’un jeune tailleur au Grand marché de Bamako. Pour lui, le tramadol, qu’il appelle affectueusement « Tra», est surtout utile pour deux raisons : aider à travailler toute la journée pendant les périodes de fêtes sans ressentir de fatigue, de faim ni de besoin naturel, puis accroître la performance sexuelle.

Sur un autre plan le fait que le tramadol soit un semblant de médicament bon marché et accessible amène beaucoup d’honnêtes citoyens pauvres (tout âge confondu) à recourir à ce produit qui n’est autre que de la drogue pour soulager leurs douleurs. En définitive, la puissance addictive qu’a le tramadol le rend irrésistible et fait de son commerce l’un des plus lucratifs, cela dans un pays où le taux de chômage a atteint un seuil jamais égalé. Conséquence : la vente clandestine du produit prospère dans chaque grande agglomération urbaine au point qu’on se demande si les consommateurs s’aperçoivent du danger lié à la consommation du tramadol.

Paradoxalement, les plus grands consommateurs le savent et sont souvent victimes de de ses effets secondaires comme les crises convulsives et épileptiques, les étourdissements, vomissements, hallucinations jusqu’à la folie, etc.

  • Une réponse s’impose

En définitive, le problème de faux médicaments et particulièrement celui du tramadol doit être considéré avec le sérieux qu’il mérite en tant que vecteur de trouble d’ordre public et facteur de déséquilibre sociétal : incivisme, accidents de route , violence de tout genre , accroissement de la criminalité (le tramadol étant l’une des nombreuses drogues chéries de beaucoup de groupes terroristes)

Beaucoup de pays africains l’ont d’ailleurs compris. En janvier 2020, à Lomé, sept chefs d’Etat ont décidé de passer à l’action contre les faux médicaments en durcissant la règlementation y afférente. Il s’agit du président congolais Denis Sassou-Nguessou, du sénégalais Macky Sall, du nigérien Mamadou Issoufou, di ghanéen Nana Akufo Ado, du gambien Adama Barrow, de l’Ougandais Museveni et du Togolais Faure Gnassingbe. L’absence du président malien de l’époque et même d’un représentant en dit long sur la négligence des plus hautes autorités de notre pays face à ce problème. L’Etat doit se faire violence en prenant en compte des problèmes autres que celui de la sécuritaire. Il doit s’atteler à rendre moins poreuses ses frontières, briser la chaîne de transmission clandestine des faux médicaments à l’intérieur du pays, mettre en place un système sanitaire qui permette l’accès aux produits pharmaceutiques licites pour toutes les couches de la société, faire des campagnes de sensibilisation contre le phénomène via les différentes ondes et les réseaux sociaux très suivis par la population. Si nos dirigeants  ne changent pas de fusil d’épaule en remédiant à ce problème, il peut avoir une incidence très dramatique non seulement sur la jeunesse en grande partie paumée, mais également sur la population dans son ensemble.

 

Ousmane T Diakité, Stagiaire

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