Le Mali a enregistré ses premiers cas de contamination au Coronavirus en mi-mars 2019. A moins d’un mois de ce deuxième anniversaire, plusieurs questions demeurent sans réponses, aussi bien sur le plan sanitaire qu’économique. A Bamako, le sujet fait débat.
Depuis quelques semaines, le nombre de contamination au Coronavirus connait un ralentissement sensible au Mali. Entre une deuxième vague meurtrière (8 145 cas et 336 décès à la date du 5 février) en phase d’être maitrisée et l’espoir d’une première campagne de vaccination, ils sont nombreux à se pencher sur les leçons à tirer de cette pandémie au Mali, les opportunités qui s’offrent à lui aujourd’hui pour relancer son économie, étouffée par une crise sociopolitique, sécuritaire et sanitaire. De 5 % annoncé pour 2020, le taux de croissance a chuté à -2 % selon le Trésor public malien.
Le Trésor public malien annonce aussi une relance de 4,4 % pour 2021. Les secteurs d’activités économiques touchés par la pandémie, par contre, ne sont pas prêts à suivre cette reprise attendue. Beaucoup s’inquiètent du sort de l’année en cours qui, disent-ils, « reste encore floue sans savoir ce qui adviendra ». L’après Covid-19, un dossier sur les enjeux pour le Mali ?
Ibrahim Coulibaly est administrateur général du Festival international urban music and mode de Sélingué, l’une des grandes rencontres culturelles annuelles au Mali. Avec la commission d’organisation, ils se préparaient à offrir à ses 30 000 festivaliers une nouvelle édition sans s’attendre qu’à une semaine de l’évènement, une nouvelle viendra balayer les mois de préparations.
Le rendez-vous est frappé par les mesures restrictives, prises par le gouvernement lors de la session extraordinaire du Conseil supérieur de la défense nationale, du 17 mars 2020, pour stopper la propagation de la pandémie au Mali. Initialement prévu du 19 au 21 mars 2020, l’évènement est reporté deux fois de suite. Il sera finalement annulé.
Une annulation qui va engendrer une énorme perte financière au festival, mais, aussi à Sélingué, la ville devant abriter l’activité.
Les revenus générés par les hôteliers, la restauration, le commerce et le transport durant les quatre jours du festival sont estimés, selon son administrateur général, à des centaines de millions de F CFA. Ce montant n’inclut même pas les frais engagés dans l’organisation. En tout, la commission d’organisation évoque une perte financière de 40 à 50 millions de F CFA.
« On avait commencé à payer les cachets de certains artistes et de l’avance pour certains prestataires. Après l’annulation, on n’a pas pu récupérer l’argent. Nous sortons vraiment perdants. Comme c’était pour des raisons de santé, nous ne pouvons qu’accepter », regrette-t-il.
11 000 acteurs culturels touchés
Comme le festival de Sélingué, ce sont plus de 11 000 artistes et acteurs culturels qui ont perdu leurs revenus entre mars et septembre 2020 à cause de la pandémie. 110 000 autres dont les activités sont liées au secteur culturel ont également vu leurs revenus baisser considérablement selon la Fédération des artistes du Mali (Fédama) et l’Union des associations d’artistes, de producteurs et d’éditeurs. (UAAPREM).
Les deux organisations faitières évaluent les pertes financières causées par la Covid-19 au secteur culturel, entre mars et septembre 2020, à plus de 20 milliards de francs de revenus directs et indirects.
Au Mali, le secteur de la culture est loin d’être un cas isolé. Le Coronavirus serre la gorge aussi au secteur du tourisme avec des pertes d’emploi énormes.
Si la contribution du secteur à l’économie nationale en 2019 atteignait 38 milliards en recettes et 37,5 milliards en investissements, selon les données de l’annuaire statistique 2019 de la DNTH/OMT, aujourd’hui la quasi-totalité des 1 856 entreprises touristiques enregistrées est en difficulté. La situation impacte aussi les 14 089 emplois directs pour l’ensemble du secteur.
Dans un dossier du journal Mali Tribune, en date du 26 janvier 2021, sur le même sujet, les promoteurs hôteliers avaient alerté les autorités sur leur situation qu’ils qualifient de « très précaire ; pour pouvoir tenir, beaucoup ont été obligés de prendre des mesures pour leurs charges et ont procédé à des licenciements partiels et massifs ».
Pour Jean Bosco Dembélé, directeur de l’hôtel Onomo, sa structure hôtelière a perdu au moins 65 % de ses revenus annuels en 2020 à cause de la Covid-19. Dans ce même dossier, il exprimait son inquiétude pour l’année en cours « qui reste encore floue sans savoir ce qui adviendra ».
Au total, la Direction nationale du Tourisme et de l’Hôtellerie, dans son évaluation de mi-avril à mi-mai 2020, sur l’impact de la pandémie de Covid-19 sur le secteur touristique du Mali a identifié 13 231 arrêts de travail pour l’ensemble du secteur du tourisme. 94 % du personnel sont en arrêt travail contre 6 % des emplois maintenus. Le document évalue à 2, 2 milliards de F CFA la masse salariale des 3 derniers mois (notamment de mars à mai) devant être perçue par les employés en arrêt de travail pour l’ensemble du secteur.
Sans autres sources de revenus, la plupart des employés licenciés se sont reconvertis en chauffeurs de transport en commun ou ouvriers selon Hamidou Timbiné, un ancien membre du syndicat de l’hôtellerie et du tourisme du Mali, aujourd’hui aussi licencié après sept années de travail au compte du même hôtel.
Lourde perte
En 2020, le Mali s’attendait à un taux de croissance de 5 % après 5,1 % enregistré en 2019. Une relance vite stoppée par la crise sanitaire liée au Coronavirus dans le monde. Conséquence, il se retrouve avec un taux de croissance négatif, de -2 % à la fin de l’année, source FMI. Selon la même source, le taux d’endettement est passé de 39 % du PIB à 45 % du PIB.
« La contraction de la demande mondiale, la perturbation consécutive des approvisionnements en marchandises qui rentrent dans la composition des produits finis et des biens intermédiaires, et l’instauration des mesures barrières et le couvre-feu qui ont suivi », sont, entre autres, des facteurs qui ont accentué le ralentissement économique, voire l’arrêt sans précédent de nombreuses activités économiques au Mali, estime l’étude rapide de l’impact de la crise du Covid-19 au Mali du système des Nations unies menée par le Pnud et l’Unicef du mai 2020.
Selon le rapport, cette contraction économique représente une lourde perte de revenus pour l’Etat. Le document illustre la situation par des résultats d’une enquête préliminaire commanditée par le Conseil national du patronat du Mali (CNPM). Il souligne que « sur environ 200 entreprises/groupements interrogés dans les services assurance-banque, hôtellerie-tourisme-billetterie-restauration, industrie de transformation, énergie/distribution, le CNPM a reporté une perte d’emplois de 50 % » durant la période de l’analyse, en mai.
Dans l’attente
Afin de maintenir en vie ces secteurs touchés par la crise, les autorités maliennes ont réfléchi à plusieurs stratégies de relance. La dernière en date a porté sur des séminaires thématiques pour une vision concertée des secteurs de la culture, de l’artisanat et du tourisme.
Tenue du 1er au 30 décembre 2020 à Bamako, la rencontre a réuni professionnels, partenaires techniques et financiers, les institutions de la culture, de l’artisanat et du tourisme autour des enjeux et défis à relever dans un contexte marqué par une crise multidimensionnelle. Elle s’est soldée par plusieurs recommandations qui visent à accompagner de façon concrète ces trois secteurs touchés, mais aussi les personnels en chômage qui se retrouvent aujourd’hui sans sources de revenus.
Des recommandations et mesures annoncées qui viennent s’ajouter au plan d’appui social et économique Covid-19 de l’ancien président IBK aux ménages et entreprises affectées par la crise sanitaire. Pour l’instant, les promoteurs culturels et entreprises touristiques annoncent ne sentir la couleur d’aucun soutien de l’Etat.
En attendant une quelconque amélioration de la situation, le Festival international urban music and mode de Sélingué, pour sa part, envisage d’avancer l’édition 2021 pour essayer de compenser le vide laissé par l’année 2020. Pour y arriver, il dit trouver un terrain d’entente avec la plupart des prestataires de l’édition passée, refaire avec les mêmes prestataires.
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GESTION DE LA CRISE SANITAIRE
Mesures de soutien au secteur privé, effet d’annonce ?
Face aux impacts de la première vague de la pandémie, les autorités maliennes en place avaient annoncé plusieurs mesures économiques pour soutenir les entreprises affectées par la pandémie. 10 mois après, les avis sont partagés sur l’impact réel de ce plan de relance. Selon certains, « elles n’ont simplement pas vu le jour ».
10 avril 2020. Le chef de l’État malien d’alors, Ibrahim Boubacar Keïta, s’adresse à la nation. Une troisième fois depuis le début de la pandémie de la Covid-19, apparue en mi-mars au Mali.
Au cours de son adresse, il annonce un plan de riposte contre la Covid-19 d’un montant de près de 500 milliards de FCFA, qui va soutenir les ménages vulnérables, le corps soignant et les entreprises en difficulté.
A l’endroit des entreprises, les mesures portaient, entre autres, sur : « la mise en place d’un fonds de garantie du secteur privé qui sera doté d’un montant de 20 milliards de F CFA destinés à garantir les besoins de financement des PME/PMI, des Systèmes financiers décentralisés, des industries et de certaines grandes entreprises affectées par la pandémie ». Le plan prévoyait également « des remises d’impôts, au cas par cas et secteur par secteur, bénéficiant aux entreprises privées impactées par les mesures de prévention de la Covid-19, en l’occurrence les secteurs les plus sinistrés comme les filières touristiques (hôtellerie, voyages et restauration), culturelles et les transports, afin de protéger les emplois ».
De même que « les crédits de toutes les entreprises sinistrées seront restructurés, et des orientations seront données aux banques, afin que les entreprises maliennes puissent bénéficier des concessions accordées par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest ».
De bonnes réponses de l’Etat certes, mais, le Système des Nations unies dans un rapport d’analyse rapide de l’impact de la crise du Covid-19 au Mali publié un mois après le discours du président, avait indiqué que le faible volume d’activités qui caractérise les TPE et PME ne pouvait pas leur assurer un accès effectif aux bénéfices de ces mesures.
Pour le document, « si l’Etat renonce pour un temps à l’impôt sur le bénéfice industriel et commercial, l’entreprise pour en bénéficier doit vendre et avoir un profit. Actuellement, mentionne l’analyse, l’ampleur de la contraction de l’activité économique est loin de permettre aux TPE et PME les plus affectées de remplir cette condition ».
Dans le rapport, le patronat avait même évoqué qu’il y a “un risque que les mesures prises par le gouvernement pour relancer l’activité économique et l’emploi soient insuffisantes “.
Dix mois après, les mesures annoncées par le précèdent régime n’ont « pas réellement vu le jour », note l’économiste spécialiste du développement Soya Djigué. Il rappelle que l’Etat était déjà en difficultés avant le Coronavirus.
« On a promis un fonds de garantie de 20 milliards de FCFA, jusqu’à présent on ne voit rien. Et nous craignons que les effets d’annonce continuent parce qu’en fin de compte, ce sont des gens qui perdent leur boulot. Ce sont des entreprises qui se ferment. Nous avons enregistré un taux de croissance presque nul, -1 % en 2020. Il y a des conséquences qui sont graves et réelles », analyse l’économiste spécialiste du développement.
Djigué et beaucoup de jeunes partagent une autre préoccupation. « Il faut une bonne gestion des finances publiques et la réduction du train de vie des nouvelles autorités » pour redresser le pays et son secteur privé. « A ce jour, ce n’est pas encore le cas», regrettent-ils.
LEÇONS DE LA COVID-19
Double défi
Ils sont cadres de l’Agence pour la Promotion des Investissements au Mali (API-Mali), avocats et anciens ministre et économistes. Ils suivent de près l’évolution du Coronavirus au Mali. Au cœur de la deuxième vague, ils portent leurs regards sans retenue sur les leçons à tirer de la Covid-19 et des pistes de solutions pour soutenir le secteur privé, « toujours d’actualité », estiment-ils.
Le coronavirus a révélé plusieurs failles dans le système sanitaire malien et dans son tissu économique. Selon l’économiste Soya Djigué, il y a d’abord un défi sanitaire au Mali. « Avec la Covid-19, on s’est rendu compte que nous avons un défi sanitaire assez incroyable au Mali. Dans tout le pays, dans les hôpitaux publics et privés, il n’y a pas assez de lits avec oxygène », a-t-il déclaré. Sur ce point, il estime que les autorités doivent investir massivement et très vite.
Porter encore une plus grande attention au niveau des investissements dans la santé est une nécessite aussi pour le directeur général de l’Agence pour la Promotion des investissements au Mali (API-Mali), Moussa Ismaïla Touré.
« Les gens continuent à aller en Tunisie, au Maroc juste pour avoir un bon diagnostic. La plus grosse opportunité chez nous aujourd’hui c’est d’investir à ce niveau-là dans le diagnostic, les équipements, les machines, le plateau technique qu’il faut. Cela permettra d’économiser ces dépenses aux ménages », selon le directeur.
Il y a un gros potentiel pour le secteur privé, estime-t-il, « là encore, l’Etat a une responsabilité majeure, mais il y a des opportunités fortes pour le développement de l’investissement privé dans ce domaine parce que la demande est forte face à la faiblesse de l’offre publique. Nous sommes prêts à investir tout ce qu’il faut, tout ce qu’on peut avoir, pour notre santé ».
Crises sanitaire, sécuritaire ou économique, la meilleure solution à toutes ces crises, aux dires de M. Touré, c’est de continuer à investir dans les secteurs comme l’énergie, la santé, l’éduction. « Le secteur privé doit être un acteur encore plus dynamique et l’Etat doit aussi accompagner cela au niveau de la régulation et de la facilitation, d’où notre rôle », ajoute le directeur général.
Le deuxième défi relevé par les interlocuteurs touche à l’impérieuse nécessité de renforcer l’économie malienne.
L’économiste Soya Djigué reconnait qu’il y a une forte dépendance de nos ressources naturelles. « Quand il y a eu la pandémie, les frontières ont été fermées notamment en Asie. La demande pour ces matières premières a disparu du jour au lendemain. Cela a créé des problèmes au niveau des entreprises qui ont dû fermer ou mettre de côté un nombre important de leurs employés. Pour l’économie, c’est un risque, analyse-t-il. L’autre point, c’est que pendant deux ou trois mois, les douanes, qui sont l’une des institutions pourvoyeuses de recettes, n’ont pas pu atteindre leurs objectifs parce qu’il y avait la fermeture des frontières. Là encore, c’est un message à l’endroit autorités pour qu’on renforce davantage notre tissu industriel local », a souligné l’économiste.
Pour M. Djigué, l’Etat doit impérativement trouver des voies et moyens pour avoir une source locale de production ou dans la sous-région.
Quid du secteur privé ?
Il a aujourd’hui un problème, répond M. Djigué soulignant que nous dépendons en grande partie de l’extérieur.
Il poursuit : « Au Mali, 90 % de notre consommation viennent de l’extérieur.
On se retrouve aussi avec un nombre important de nos ressources qui sont aussi exportées. C’est une leçon. Il faut revenir sur de bonnes bases, aider notre secteur agricole à produire ce dont nous avons besoin. Non seulement l’argent reste ici et pourra être investi dans la production locale ».
Rôle clé
L’accompagnement de l’Etat au secteur privé durant cette période est crucial pour pouvoir améliorer les indicateurs de l’économie. Me Mamadou Gaoussou Diarra, ancien ministre de l’Investissement et du Secteur privé du Mali, y voit une urgence.
Le secteur privé du Mali est fortement touché par la crise et a besoin d’un certain accompagnement, pour Me Diarra. Il y a eu des mesures d’accompagnement, ajoutera-t-il, mais « ils n’ont pas vraiment été perceptibles pour l’ensemble du secteur privé ».
Prenant l’exemple sur son domaine, l’avocature, où pendant des mois, il n’y avait pas d’audiences au niveau des tribunaux « mais, pour autant le personnel des cabinets d’avocats était là et avait besoin d’être soutenu. Mais de ce côté, on n’a pas vraiment eu une réponse de la part de l’Etat », poursuit-il. Le soutien de l’Etat pour l’ensemble du secteur jusqu’à présent est encore d’actualité, plaide Me Mamadou Gaoussou Diarra.
L’Etat doit soutenir le secteur privé par des mesures d’allégement fiscales ; mais pas seulement ; car pour l’ancien ministre, « l’Etat, avec le concours des partenaires techniques et financier et des banques, doit travailler à mettre en place des produits financiers qui soient plus flexibles pour leur mise en œuvre et à des taux raisonnables pour que des entreprises qui ont des initiatives puissent être accompagnées en ces périodes particulièrement difficiles ».
Le développement des nouvelles technologies pour que l’internet ne soit plus un produit de luxe, mais, plutôt un produit abordable pour les Maliens est un autre impératif relevé par Me Diarra pour soutenir le secteur privé, car pour l’ancien « l’accès à l’internet à l’heure actuelle est non seulement un outil de développement économique, mais aussi de survie économique pour l’entreprise ».
L’APRES COVID-19
Les recettes de l’économiste Soya Djigué
Dans le contexte actuel, beaucoup d’opportunités s’offrent au Mali pour renforcer son système sanitaire et aussi son économie, il faut savoir comment les saisir. Du moins, c’est ce que pense Soya Djigué.
Sur le plan sanitaire, l’opportunité qui se présente au Mali aujourd’hui c’est de faire appel à des sociétés et hôpitaux publics et privés des pays arabes et ailleurs qui ont beaucoup fait au Sénégal, en Côte d’Ivoire, pour l’appuyer afin qu’il puisse avoir des établissements de standing, estime l’économiste. Cette stratégie, dit-il, permettra de réduire les dépenses liées aux évacuations sanitaires.
Les gens sont prêts à investir au Mali dans ce secteur ; soulignera l’interlocuteur, mais, « très souvent, ils sont bloqués parce que les administrations publiques veulent et réclament toujours les 10 ou 20 % de l’affaire. Dans le monde maintenant ça ne marche plus », prévient-il.
Les fondamentaux pour relancer notre économie, aux dires de M. Soya, est de dégager assez des ressources pour aider les entreprises affectées par la crise à s’en sortir.
« C’est le secteur privé qui tient le pays. A l’allure actuelle des choses, c’est encore lui sur lequel le pays devra s’appuyer pour se relever », ajoute-t-il avant d’aborder son prochain point d’analyse, qui est un tout autre challenge pour le Mali. Compter que sur nous-mêmes.
« On doit travailler à moins dépenser et avoir un taux d’épargne plus important. Exploiter cette épargne, aussi minime qu’elle soit, dans les entreprises pourvoyeuses d’emplois, mais aussi dans des productions pour réduire les importations, propose l’expert. Pour qui, beaucoup d’entreprises qui importent sont dans le rouge parce qu’ils n’ont pas pensé à diversifier les sources d’approvisionnement qui peuvent même être régionales ».
MOUSSA ISMAÏLA TOURE, DIRECTEUR GENERAL DE L’API-MALI
« La Covid-19 nous fait développer de nouvelles compétences »
Les réalisations de l’Agence pour la Promotion des Investissements au Mali (API-Mali), l’impact du coronavirus sur ses activités et le plan de relance après Covid-19. Dans une tendance baissière du volume des investissements au Mali depuis quelques années, le directeur général de l’Api-Mali Moussa Ismaïla Touré, dans cette interview, répond à tout. Il dévoile aussi le travail mené par son agence auprès des investisseurs surtout locaux en cette période de crise.
Moussa Ismaïla Touré : L’Agence pour la Promotion des Investissements au Mali (API-Mali) a deux principales missions. La première, c’est de faire la promotion du Mali en tant que destination favorable pour l’investissement. La deuxième grande mission, c’est d’accompagner, assister et aider les investisseurs à partir du moment où ils décident d’investir au Mali. En gros, ce sont ces deux grandes activités. Il y a aussi beaucoup d’aspects qui rentrent en jeux.
On a un troisième volet qui est peut-être le plus connu, c’est tout ce qui concerne la création d’entreprises. A ce titre, nous hébergions le guichet unique de création d’entreprise.
Mali tribune : API-Mali accompagne à peu près combien d’investisseurs par an ?
M I. T. : On peut dire qu’il y a une moyenne de 100 investisseurs par an qui passent par l’API-Mali pour leurs projets d’investissements au Mali.
Mali tribune : La Covid-19 a-t-elle eu des incidences sur cette moyenne en 2020 ?
M.I. T. : Bien avant la pandémie, le pays a traversé des moments difficiles qui ont commencé déjà à impacter notre activité. La Covid-19 a accentué les choses. La maladie a eu un impact direct sur nos activités, comme dans tous les domaines d’ailleurs dans notre pays, mais c’est assez difficile dire voici la part du Coronavirus.
Le nombre de projets d’investissement que nous avons gérés en 2020 est beaucoup faible que celui de l’année 2019, qui était déjà plus faible que ceux des années passées. L’Api a eu à gérer environ à peu près la moitié du nombre de projets agréés au code en 2020 par rapport à l’année précédente dans tous les secteurs dont l’énergie, l’agrobusiness, l’agriculture.
Il y a donc une tendance baissière due à plusieurs facteurs, mais la pandémie a accéléré cela.
Mali tribune : Quels sont ces autres facteurs ?
M.I. T. : Je parlais des questions d’insécurité que notre pays traverse depuis 2012, qui évolue en dents-de-scie, et qui impacte de la même façon notre activité. Il y a aussi la crise politique de l’année dernière. C’est un cocktail qui n’est pas très favorable à la promotion des investissements.
Mali tribune : A combien peut-on évaluer les pertes de cette tendance baissière ?
M.I. T. : C’est énorme. Encore une fois, il y a l’impact des crises des dernières années. Malgré tout, après la crise de 2012 on est remonté jusqu’en 2017. C’était sur une tendance de progression, mais, à partir de 2018, on a recommencé à baisser.
En 2017, on était à presque 170 milliards de F CFA en termes de volume des investissements agréés au code. En 2018, on a fait 66 milliards F CFA et 83 milliards F CFA en 2019. Pour 2020, on était autour de 70 milliards F CFA.
En ce qui concerne la création d’entreprises, en 2019 on a créé 16 700 entreprises. Pour 2020, le chiffre est autour de 15 000, mais c’est grâce à un programme spécial qu’on a mené sur la formalisation de tous les distributeurs Orange. Ça a amené un gros volume non habituel sinon on aurait été beaucoup plus faible.
Mali tribune : De 170 milliards de volumes d’investissements à 70 milliards, le gap est non négligeable. Que fait l’Api pour encourager les investisseurs à venir au Mali ?
M.I. T.: Nous continuons le travail qui est entamé depuis longtemps. Nous essayons de renforcer certains aspects. Aujourd’hui à cause de la Covid-19, nous ne voyageons presque plus alors qu’avant nous voyageons pour faire la promotion de la destination Mali. Aujourd’hui, tous ces rendez-vous se font de façon virtuelle à travers des conférences en ligne, ainsi de suite. Ça nous amène à développer de nouvelles compétences et capacités en interne. A notre niveau, nous sommes en train d’investir dans cela.
Nous sommes en train d’investir dans la communication digitale en termes d’activité de promotion. On est en train de refaire notre site internet.
Api travaille parallèlement à proposer des business plans types pour des opportunités d’investissements que nous avons identifiés jusque-là.
Nous faisions des études macro, mais, aujourd’hui on est en train de passer à un niveau supérieur.
Pour faire un bon investissement dans l’activité avicole, par exemple, qu’est-ce qu’il faut, combien il faut, quelle technologie utiliser, la rentabilité et le coût du projet ? On est en train de finaliser des études qui vont donner toutes ces informations aux investisseurs. Ceux qui sont intéressés peuvent l’utiliser, vérifier également pour avancer très rapidement dans la réalisation du projet.
C’est pour donner des outils aux potentiels investisseurs notamment locaux. Ce sont des projets à taille humaine avec entre 300 à 500 millions de F CFA. Ils peuvent être réalisés et sont rentables.
Voilà une deuxième activité que nous menons, mais, de façon plus directe nous avons renforcé notre accompagnement jusqu’à la réalisation du projet d’investissement. Avec la Covid-19 et les crises mentionnées, il est plus facile pour ceux qui sont déjà là au Mali de réinvestir que d’aller chercher de nouveaux investisseurs. Nous les aidons à réinvestir pour faire agrandir leurs activités ou bien pour se diversifier ou pour autres choses.
Mali tribune : La stabilité du climat des affaires au Mali est un facteur important qui empêche le retour de beaucoup d’investisseurs. Est-ce que l’Api y travaille ?
M.I. T. : Absolument, ça fait partie de nos mandats. Il est extrêmement encore plus important de travailler sur le climat des affaires. A ce niveau, nous essayons d’identifier des points d’améliorations et d’y travailler.
Le code des investissements, par exemple, c’est un outil que nous avons pour promouvoir et attirer les investisseurs. Nous avons entamé une relecture du code parce que nous avions fait une évaluation et identifié certains points d’améliorations.
A cause des conséquences de cette crise, la destination Mali est moins attractive, il faut pouvoir offrir de nouvelles choses aux investisseurs pour les attirer un peu plus.
Nous travaillons à cela d’ici la fin de la pandémie. A la fin du premier trimestre 2021 normalement, ce projet de document va être sur la table du gouvernement pour être examiné et adopté.
Dans le même esprit, nous organisons beaucoup d’activités d’échanges et d’écoutes avec les investisseurs eux-mêmes pour pouvoir enregistrer leurs difficultés et ensemble voir comment on peut, avec les services de l’Etat concernés, résoudre ensemble ces points de difficultés.
Il y a aussi le besoin pour le Mali de se doter d’outils et d’infrastructures qui n’existent pas aujourd’hui.
A ce titre, le Mali, depuis quelques années, s’est lancé dans une campagne de développement de zone industrielle, mais nous voyons que les résultats restent encore en dessous des objectifs attendus parce que nous sommes en concurrence avec les autres pays. Nous sommes en train de proposer de nouveaux services comme les zones économiques spéciales aux investisseurs.
C’est quelque chose qui n’existe pas au Mali encore. Avec d’autres acteurs comme l’Agence pour l’Aménagement et la Gestion des Zones industrielles (Azi-SA), nous avons travaillé sur un projet de loi. Nous fondons beaucoup d’espoirs sur ce projet, car cela permettra d’attirer aujourd’hui des investissements que le Mali ne peut pas avoir. Il sera un plus pour nous pour pouvoir compétir avec d’autres pays comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal.
Dossier réalisé par
Kadiatou Mouyi Doumbia