Les industries cigaretières se disputent l’Afrique : Le tabac, un cancer du Nord, qui gagne le Sud

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Les industries cigaretières se disputent l’Afrique : Le tabac, un cancer du Nord, qui gagne le Sud
Ci-contre Sadou Yattara, Hamèye Cissé (Mali) et Mr Amadou Mahtar Ba : Président AllAfrica (G-D)

Le Groupe AllAfrica Global Média a organisé, le 9 Juillet 2016  à Grand Bassam (Côte d’Ivoire) un séminaire  sur les : «Enjeux et perspectives de l’industrie du tabac en Afrique » à l’attention des hommes de médias. Pendant toute une journée, une cinquantaine de journalistes  venant  de l’Afrique francophone se sont familiarisés à la réglementation du tabac, les moyens économiques et santé publique et  surtout les enjeux de la prochaine COP. Toute chose qui a suscité chez les participants une approche  sur les impacts du tabac.

 Espèce originaire d’Amérique centrale appartenant au genre botanique Nicotiana (famille : Solanaceae), le tabac est un produit psychoactif manufacturé élaboré à partir de feuilles séchées de plantes du même nom. C’est une plante qui contient de la nicotine. L’usage du tabac s’est largement répandu (dans le monde entier) à la suite de la découverte de l’Amérique. Il (le tabac) génère une forte dépendance et sa consommation est responsable de près de 6 millions de décès par an dans le monde, dont 600 000 sont des non-fumeurs exposés à la fumée (tabagisme passif). Le tabagisme est un problème majeur de santé publique qui doit impliquer tout le monde : professionnels de santé, fumeurs, pouvoirs publics….

Les Risques ?

Ceux qui fument sous estiment volontiers le risque du tabac sur leur santé. Or, le risque du tabac est permanent. Il n’y a pas de petit tabagisme. Contrairement à ce certains ont tendance à penser, le risque d’une cigarette n’est pas 20 fois inférieur à celui de 20 cigarettes. Ce risque qui est réel n’est cependant pas linéaire. Les chiffres montrent que le risque est minimisé de 30 à 50 % par rapport au risque réel auquel les fumeurs sont exposés. Trois raisons principales tentent d’expliquer ce phénomène. D’abord, la difficulté à percevoir ce qu’est exactement un risque et donc la capacité à traiter les probabilités.

Un fumeur sur deux décède des suites de son tabagisme ne donne pas une idée précise du risque et en plus on ne précise pas à quel âge et dans quelles conditions. Ensuite, les fumeurs sont inscrits dans le présent : la notion de risques survenant potentiellement dans les prochaines années ne les intéresse pas. Ils sont plus sensibles aux éventuelles conséquences immédiates du tabac. Enfin, l‘influence de la publicité par le fait d’associer en particulier dans les publicités tabac et détente, tabac et lutte contre le stress.

Il est nécessaire de savoir  que le risque lié au tabagisme est majeur. Que personne ne peut y échapper et que ce risque dépasse largement la survenue de cancers et de maladies cardiovasculaires elles-mêmes déjà graves.  Que le risque n’est pas lié uniquement à la nicotine et que l’utilisation de substituts nicotiniques pour arrêter n’a aucun risque. Que le fait de fumer ne diminue pas le stress : fumer est à l’origine de phénomènes identiques à ceux rencontrés dans le stress (augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle, augmentation du transit intestinal).

Responsable de 21% de l’ensemble de la mortalité masculine

Selon les statistiques, dans le monde la mortalité liée au tabac est majeure et ne régresse pas.  57 000 décès par an chez les hommes sont attribuables au tabac – soit 21 % de l’ensemble de la mortalité masculine, contre 3 000 décès pour les femmes soit 1 % de la mortalité féminine. C’est dans la population des 45 à 64 ans que les conséquences du tabac sont les plus importantes. Près d’un décès sur trois survenant chez les hommes de cet âge est dû au tabac Cette mortalité prématurée et évitable, nous place face à un véritable problème de société. Avec le nouveau phénomène de l’augmentation du tabagisme chez les jeunes, c’est à environ 160 000 morts liés au tabac qu’il faudrait s’attendre dans les années 2025. La consommation du tabac est, en effet, responsable de la survenue de beaucoup de maladies chez l’homme. Chaque cigarette est responsable d’une minute de vie en moins. Une personne sur deux qui fume décèdera du tabac. Les cancers, les maladies cardio-vasculaires et les pathologies pulmonaires sont au centre des maladies dans lesquelles le tabac est directement impliqué. Il a été démontré que le tabac est responsable de 25 à 30 % des décès par cancer, est à la base des maladies cardio-vasculaires  et des maladies respiratoires chroniques. Le risque auquel est exposé le fumeur est dans la majorité des cas directement lié à la consommation moyenne journalière de tabac, directement liée à la durée du tabagisme, c’est-à-dire au nombre d’années d’intoxication.

 Le tabac, un cancer du Nord, qui se répand en Afrique

Les conséquences néfastes que le tabac a sur la santé humaine justifie les règles strictes et rigoureuses dans lesquelles sont enfermées sa production et sa commercialisation en Europe où se situent, le plus souvent, les industries et grandes firmes de fabrique du tabac. Entre autre mesures prises pour endiguer les effets du tabac, on peut citer la création, en 1988, du BASP (Bureau européen de prévention du tabagisme) ; l’adoption, le 3 octobre 1989, de la directive 89/552/CEE du Conseil portant coordination de dispositions législatives, réglementaires et administratives des États  membres / activités de radiodiffusion télévisuelle. On peut aussi ajouter la directive 92/85/CEE du Conseil en date du 19 octobre 1992 sur l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes  au travail ; en novembre 1996, la Résolution du Conseil concernant la réduction du  tabagisme dans la Communauté européenne est adoptée. S’en est suivent bien d’autres initiatives.

Ces différents textes réglementaire et législatifs  prouvent à suffisance que la menace liée au tabagisme est prise très au sérieux par les Etats Européens. Cette situation de contrôle, voire de réglementation, n’arrangeant pas les industriels du tabac, ceux-ci vont chercher des marchés d’écoulement des tonnes de quantités de cigarettes qu’ils fabriquent.

«Enfumer les Africains»

Le continent africain offre à leurs yeux toutes les caractéristiques d’un eldorado d’une part parce que l’industrie du tabac n’est pas aussi strictement réglementée comme en occident, et ensuite du fait de l’état des pouvoirs africains aux économies squelettiques et qui ne sont prêts à cracher sur les sommes d’argent que les cigaretiers leur apporteront en terme d’impôts. Faible consommatrice au début, l’Afrique est finalement devenue un gros marché qui fait l’objet aujourd’hui de toutes les attentions de la part des grandes sociétés productrices de tabac. En effet, éreintées par les campagnes antitabac dans les pays occidentaux, celles-ci entendent bien «enfumer les Africains». Elles gagnent visiblement du terrain sur le continent où le taux de la population des fumeurs va crescendo. Après une progression de 62% entre 1995 et 2000, d’autres études sont venues montrer que la consommation de cigarettes continue de croître sur le continent africain. Selon les prévisions, si la tendance actuelle devait se maintenir, le nombre de paquets vendus devrait encore doubler dans les douze ans à venir. A cause d’un constat : les Africaines fument de plus en plus et les Africains (tous sexes confondus) de plus en plus tôt. «Dans certains pays, 10% des fumeurs commenceraient à fumer dès l’âge de treize ans». Les conséquences sanitaires liées à cette situation se profilent déjà à l’horizon. En 15 ans, le nombre de cancers du poumon pourrait tripler en Afrique.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en 2030, le tabagisme devrait faire 7 millions de victimes dans les pays en voie de développement, soit 70% du nombre total des victimes à l’échelle mondiale. Le Nord, de toute évidence, est entrain de refiler son poison au Sud. Derrière la situation, il y a des enjeux économiques énormes, notamment pour certaines multinationales qui sont parmi les plus célèbres : Philip Morris, British American Tobacco, Imperial Tobacco…. Elles ont trouvé en l’Afrique leur planche de salut et au marketing leur baguette magique, avec une cible de plus en plus jeune.

«De même que les opérateurs téléphoniques, les cigarettiers révolutionnent la mercatique africaine. Avec le ‘in’ pour les vendeurs d’unités téléphoniques et le ‘off’ pour les commerçants de nicotine de plus en plus exclus des supports médiatiques grand public. Volutes et circonvolutions: par le biais des relations publiques, une simili publicité se mue en sponsoring de manifestations sportives (parfois commandées par le cigarettier) en vrai faux mécénat d’événements culturels». On peut aisément se rendre compte de cet état de fait en regardant par exemple l’athlète (pourtant censé être sobre en matière de clopes) lancer les tiges à tabac comme il le fait avec le javelot. Ou bien, l’artiste, porteur d’émotions adolescentes, choisi comme l’ambassadeur idéal auprès de la cible prioritaire des fabricants: les jeunes de 13 à 20 ans.

Au Maghreb, la consommation du tabac était déjà répandue, notamment avec le tabac à priser. Insidieusement, fumer entre dans les mœurs en Afrique noire où les grandes compagnies de tabac sont même passées de l’intoxication des poumons à celle des esprits. En sous-marins, certaines financeraient des campagnes de presse. De même, pour mieux brouiller les pistes et se placer en position de partenaires indéboulonnables des États, les cigarettiers financent parfois des programmes de santé.

«La consommation de tabac en Afrique, plus qu’un problème de santé, est un problème de développement. Le tabac alimente la pauvreté, tuant des gens dans la force de l’âge. Il crève le budget familial et celui des soins de santé. L’argent dépensé en produits du tabac représente autant en moins pour des dépenses essentielles telles que l’éducation, l’alimentation ou les médicaments. L’action nouvelle et novatrice de lutte antitabac de l’OMS en Afrique contribuera à mettre des solutions à la portée des pays», confiait en 2009 le Dr Ala Alwan, Sous-Directeur général de l’OMS, lors du lancement par l’OMS de sa lutte antitabac. .

 Une société civile balbutiante…

Contrairement à l’Europe où la lutte antitabac est menée avec la plus grande fermeté, en Afrique, malgré les nombreuses initiatives prises ici et là, la lutte peine toujours à produire les effets escomptés. On fume de plus en plus, et le «cancer» a même tendance à gagner désormais la couche juvénile dans les Etats africains avec une société civile plutôt balbutiante. «Association Afrique sans tabac» (Sénégal), «SOS Tabagisme» ( Niger), «Union des Associations Contre le Tabac» au (Burkina Faso), «Réseau des Journalistes pour la lutte antitabac» au (Togo) ou encore la «Coalition camerounaise contre le tabac»…les initiatives sont nombreuses et jusque là sans grand résultat. Elles tentent parfois des procès pour non-respect des lois antitabac, mais il est difficile de lutter contre le lobbying de multinationales. Ces compagnies sont pourvoyeuses d’impôts dans des contrées où le prélèvement sur le revenu individuel est souvent tabou. Pourtant, les États africains, dans leur grande majorité, soutiennent (officiellement) la Convention cadre pour la lutte antitabac de l’OMS.

Dans certains pays les lois antitabac se multiplient, comme en Algérie, au Bénin, en Gambie, au Mozambique ou au Niger. Mais,  il s’agit de «lois souvent inabouties», à l’exception de l’Afrique du Sud, du Botswana, l’Érythrée, Madagascar ou le Rwanda. «Ces bons élèves » de la lutte contre le tabagisme ont, pour la plupart, interdit la publicité, le sponsoring et la promotion de la cigarette. Ils ont su organiser les zones non-fumeurs, déployer la répression, imposer des mises en garde sanitaires sur les paquets et financer des programmes de sevrage à destination des fumeurs. Ailleurs, même si le cadre législatif existe, il n’existe pratiquement pas de campagne antitabac.

Rôle des médias

En Afrique subsaharienne la lutte contre le tabagisme passe et passera par la diffusion d’informations exactes sur les risques associés au tabac. Les médias de masse jouent un rôle essentiel dans la diffusion de ces informations au niveau du grand public et leur influence en particulier auprès des jeunes est majeure. Ils (les médias) constituent les premiers relais après les professionnels de la santé.

Ils peuvent contribuer à décourager les jeunes gens qui veulent tenter de fumer. Ils peuvent encourager les fumeurs à cesser. Ils peuvent aussi contribuer à la protection de la santé des non-fumeurs. Ils doivent soutenir et expliquer les mesures de contrôle du tabagisme. Ils peuvent surtout informer voire éduquer les décideurs. Aussi, ils peuvent corriger les fausses informations véhiculées par les compagnies de cigarette. Il est dès lors important pour les professionnels de santé publique d’avoir une bonne connaissance de la position des journalistes et animateurs de médias africains par rapport au tabagisme.

 Mamadou DIARRA

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