C’est une vérité aujourd’hui généralement admise et que partagent toutes les administrations hospitalières : les centres hospitalo-universitaires (CHU) et autres établissements hospitaliers connaissent de réels problèmes de fonctionnement. Le plus criard et le plus visible de ceux-ci réside dans la difficulté qu’ils éprouvent à régler les émoluments accordés au personnel soignant, notamment les primes de garde et les ristournes. Cette situation crée des litiges qui à leur tour se trouvent à l’origine de mouvements de protestations (sit-in, grèves) survenus ces derniers temps dans ces établissements sanitaires. Paradoxalement, c’est en cherchant une formule efficace d’organisation que les établissements hospitaliers se trouvent confrontés à ces difficultés.
Il faut certainement rappeler qu’ils ont connu ces dernières années une évolution majeure en passant du statut d’établissements publics hospitaliers (EPH) à celui de CHU afin de bénéficier d’une plus grande souplesse de gestion, mais surtout d’une meilleure efficacité de fonctionnement. Ils doivent à présent générer des recettes suffisantes pour assurer les charges liées au paiement des ristournes et primes de garde, mais pour aussi s’acquitter des salaires des contractuels. La prise en charge de toutes ces dépenses s’assimile parfois à un vrai casse-tête. Cependant, lorsqu’on procède à une analyse froide de la situation, l’on constate que si les difficultés sont réelles, une thérapie de choc permettrait de les surmonter. C’est d’ailleurs ce que confirment les responsables d’administrations hospitalières et du ministère de la Santé.
Le directeur général de l’hôpital du Point G, le Dr Sékou Dramé, pointe comme soucis majeurs à son niveau l’identification et la gestion des ressources propres, le vieillissement du personnel et l’inadéquation du personnel par rapport aux besoins dans certains services. Pour lui, son établissement a plus besoin aujourd’hui d’infirmiers d’Etat ou d’infirmiers spécialisés que de médecins. En effet, au niveau de chaque service du Point G, se trouvent quatre à cinq médecins, voire un peu plus. C’est seulement au niveau des services de rhumatologie et des urgences que le besoin de praticiens supplémentaires se fait sentir. On y remédie d’ailleurs puisque l’établissement vient de recruter au compte des urgences trois médecins qui émargeront sur les ressources propres de l’hôpital.
Sékou Dramé reconnaît que les recettes générées aujourd’hui ne couvrent pas toutes les charges. Son établissement était à la recherche de 17 millions pour couvrir les dépenses du deuxième trimestre de l’exercice en cours. L’établissement devait notamment payer 31 millions de Fcfa pour les primes de garde, 46 millions pour les ristournes et 13 millions de Fcfa au titre de salaires de médecins contractuels et autre personnel de soutien.
UNE HAUSSE SENSIBLE – Le directeur général de l’hôpital Gabriel Touré, le Dr Lasseni Konaté, développe une analyse plus pointue. Il ne nie pas la réalité des difficultés rencontrées, mais assure qu’on pourrait éviter l’impasse par la stricte application des textes qui régissent nos établissements hospitaliers. Konaté cite ainsi la loi 02-050 portant Loi hospitalière. Une disposition de ce texte, plus précisément l’article 79, stipule que chaque établissement public met en œuvre sur ses excédents une politique d’intéressement de son personnel aux résultats de l’exercice. L’article 80 de la Loi précise que les modalités d’organisation de l’intéressement sont fixées par décret pris en Conseil des ministres. Lasseni Konaté rappelle que ce décret n’arrive pas à voir le jour.
Le secrétaire général du ministère de la Santé, le Pr Adama Diawara, souligne lui également l’importance de rester fidèle à l’esprit des textes règlementaires. Il rappelle que le paiement des ristournes aux travailleurs ne peut être envisagé qu’une fois exécutées toutes les charges prévues sur les recettes propres. 30% du reliquat sont alors défalqués et reversés au personnel. Mais le secrétaire général insiste d’autre part sur la moralisation de l’octroi des ristournes parce qu’on a constaté à plusieurs reprises des émargements fictifs dans certains établissements sanitaires.
Pour soulager les établissements de certaines charges, des responsables du Point G proposent une harmonisation du plateau technique des hôpitaux. Cet état de fait pourrait amoindrir le coût de la maintenance des équipements pour les établissements hospitaliers. Il faut aussi améliorer la perception des recettes propres par la sensibilisation des usagers. Le surveillant général du Point G, Ousmane Maïga, insiste auprès des usagers afin que ces derniers ne procèdent au paiement des prestations qu’au guichet, seule caisse admise et qu’ils insistent pour recevoir en échange une quittance dûment établie.
Pour le Pr Adama Diawara, une bonne part des difficultés actuelles de nos hôpitaux est directement liée à ce qu’il désigne comme la « gestion catastrophique » héritée de ces dernières années. Pour le secrétaire général, il faut l’Etat prenne maintenant ses responsabilités à cet égard. Il insiste aussi sur la nécessité d’éponger les arriérés dus aux fournisseurs et aux prestataires afin de permettre aux gestionnaires en place de repartir avec une situation assainie. Troisième point de la thérapie préconisée par Adama Diawara le respect des procédures dans la passation des marchés. Sur ce point, il y reste beaucoup à faire et les responsabilités sont vraiment partagées. La solution se trouverait dans la mise en place d’un mécanisme de contrôle et de moralisation de ces marchés, et même de la perception des recettes.
En ce qui concerne la moralisation des recettes, l’hôpital Gabriel Touré s’y est déjà engagé en déployant de réels efforts pour l’informatisation du bureau d’entrée. Le directeur général adjoint de l’établissement, le Dr Moussa Sanogo, indique qu’un nouveau logiciel a été installé et il permet d’obtenir déjà une augmentation des recettes. Pour les deux premiers trimestres de la présente année, les recettes de la pharmacie hospitalière à de Gabriel Touré ont connu, selon les responsables de l’établissement, une hausse sensible (17%). Les effets de cette augmentation sont malheureusement atténués par les problèmes de rupture de certains produits et le remboursement des arriérés aux fournisseurs.
LA QUESTION MAL ABORDEE – D’une manière générale, nos interlocuteurs estiment que les recettes générées dans nos établissements hospitaliers ne suffisent pas aujourd’hui pour faire face aux charges internes. A titre d’exemple, l’hôpital Gabriel Touré a engrangé au mois de juin, selon les informations fournies par la comptabilité de l’établissement, environ 66 millions de Fcfa, répartis entre les 25 millions de recettes générées par le fonctionnement (prestations cliniques et autres services) et 41 millions de Fcfa provenant de la pharmacie. Mais les charges étaient estimées à plus de 70 millions.
Pourtant ces charges auraient pu être moindres. Selon la direction générale de Gabriel Touré, l’établissement compte aujourd’hui 290 infirmiers, c’est-à-dire un effectif bien au-delà de ses besoins et dont la prise en charge financière est très lourde, surtout en termes de paiement des émoluments. Même si un contrôle physique rigoureux a permis d’allèger ce chapitre. Le secrétaire général du ministère de la Santé souligne pour sa part que les budgets des établissements hospitaliers sont conséquents. Pour lui, il convient d’instaurer le dialogue avec les syndicalistes pour que chaque partie ait une compréhension claire de l’octroi des ristournes et que cette question mal abordée ne pèse pas d’un poids excessif sur les finances des établissements.
Au-delà de ces difficultés globales liées aux règlements des primes de garde et des ristournes, les hôpitaux qui ont mission de soins, de formation et de recherche, enregistrent également des insuffisances dans le financement de la recherche basique menée à leur niveau. Cette dernière ne serait pas soutenue à hauteur de souhait. Par exemple pour l’exercice présent, la ligne budgétaire allouée à la recherche était de 80 millions de Fcfa pour le Point G et seulement de 20 millions de Fcfa pour Gabriel Touré. Cette disparité dans le financement s’explique peut-être par l’importance différente des protocoles de recherches.
Les difficultés financières dans les hôpitaux sont donc un vrai caillou dans la chaussure des gestionnaires. Mais elles doivent obligatoirement trouver une solution au plus tôt. Car la persistance de certaines dépenses très lourdes grève déjà gravement l’équilibre de fonctionnement des CHU. La solution résiderait dans un effort partagé par les pouvoirs publics et les directeurs d’établissement. Les premiers assainiraient la situation financière des hopitaux en la purgeant d’un certain nombre d’arriérés. Les seconds cerneraient mieux leurs ressources et seraient plus rigoureux l’utilisation de celles-ci. Comme on le voit, les bonnes prescriptions sont assez faciles à établir. Les faire observer par les différents protagonistes est une autre question.
B. DOUMBIA