Au moment des indépendances, santé et médecine moderne évoquaient dans l’imagination du Malien, l’hôpital. Certes, des équipes mobiles de santé existaient déjà et avaient acquis leurs lettres de noblesse, il existait quelques dispensaires de brousse et autres antennes médicales (militaires ou civiles), mais le système avait la configuration générale d’une pyramide au sommet de laquelle trônait l’hôpital.
Le premier en date de ces hôpitaux est celui de la colline du Point G. commencée en 1906 sa construction devait s’achever en 1912. C’était alors la seule formation sanitaire du Haut-Sénégal-Niger (entendez le Mali). Sa gestion étaient exclusivement militaire.
L’hôpital Gabriel Touré qui suivra était au départ le dispensaire centre de Bamako (c’est-à-dire une structure sanitaire de première ligne). Il sera transformé en hôpital en 1958, l’année même de la démilitarisation de l’hôpital du Point G. Ces deux hôpitaux nationaux du Mali forment les pierres angulaires d’un réseau hospitalier constitué par ailleurs :
– d’hôpitaux régionaux (un par région à l’heure actuelle)
– d’hôpitaux secondaires (dont les plus connus sont ceux de San et de Markala).
Ce réseau hospitalier fonctionne selon une répartition tacite des tâches qui affecte à l’hôpital Gabriel Touré celui d’un département des urgences et à celui de Kati d’un centre spécialisé en traumato-orthopédie.
Il faut cependant préciser que depuis les indépendances, parallèlement à l’évolution des hôpitaux, le Mali avait fait sienne une politique de santé de masse consistant à faire sortir la médecine des hôpitaux pour aller à la rencontre des plus démunis et des plus éloignés. Cette volonté politique, clairement affichée lors du premier séminaire des travailleurs socio-sanitaires tenu en 1964, sera entérinée par le premier plan décennal des services de santé (1966-1976) et reconfirmée par le 2è séminaire de la santé tenu en 1978, peu après la conférence de Alma-Alta ; c’est cette conférence, nous le rappelons qui avait lancé le concept de Soins de Santé Primaires (SSP) qui reprend (en des termes modifiés) exactement ce que les Maliens avaient institué 12 ans auparavant. Ces soins de santé primaires, connaîtront plusieurs péripéties évolutives qui aboutiront finalement à l’éclosion de la santé communautaire.
Le système sanitaire malien semble aujourd’hui partagé entre ces deux entités : l’hospitalière et la non-hospitalière. Mais cela n’est pas spécifique au Mali. Nous n’allons pas rentrer dans le grand débat ouvert depuis « Némesis médicale » d’Ivan Illich, remettant en cause l’utilité même de la médecine curative sur l’amélioration de la santé des populations. Bien que le thème revienne à la mode après que Illich eût été banni de la communauté médico-intellectuelle (Jonathan Mann, le célèbre épidémiologiste américain vient d’en parler dans « Médecine et Hygiène »), nous pouvons affirmer que la plupart des pays ayant un système sanitaire sain, ont justement trouvé un compromis pour l’intégration de ces deux entités. C’est là où le Mali a échoué jusqu’à présent et c’est cela qui explique en grande partie, à notre avis, la mal-vie des hospitaliers maliens.
L’hôpital de la dérive
Car il y a une véritable mal-vie des hospitaliers maliens. Du garçon de salle au Professeur de médecine, vous trouverez rarement un agent de santé qui soit satisfait des conditions de travail dans lesquelles il opère. Les maux sont connus depuis Mathusalem et ont essentiellement pour noms.
– l’insuffisance des moyens de travail : l’hôpital est aujourd’hui vide d’instruments et de médicaments, même de première urgence, à tel point qu’un futur opéré apportera gants, compresses, fils de suture ;
– le manque de motivation des agents : les médecins hospitaliers sont également des spécialistes. Ce sont eux, qui de tous les cadres supérieurs passeront les plus longs moments sur les bancs des écoles (en moyenne, 10 ans d’études après le baccalauréat). Et pourtant, les médecins hospitaliers se rangent parmi les cadres les plus pauvres de ce pays tant leurs gains réels sont minces. Et même pour les agents subalternes, les gains ne sont pas à la hauteur des efforts consentis.
Face à ces deux grands maux, les hospitaliers et l’Etat ont réagi, chacun à sa façon :
1) Pour échapper à leur clochardisation croissante, les hospitaliers tentent, depuis plusieurs années d’augmenter leurs avoirs et cela de deux manières essentiellement :
– soit en utilisant à des fins personnelles les ressources de l’hôpital : cela a donné naissance à des circuits privés intra-hospitaliers où l’on va de la vente des médicaments tirés des réserves de l’hôpital à l’exécution d’interventions chirurgicales véritables, avec très souvent sur-facturation au détriment du patient ;
– soit en partageant le temps de travail entre hôpitaux et cliniques privées, en procédant parfois à un siphonnage déloyal de la clientèle hospitalière vers les cliniques privées.
– Ces deux pratiques ont contribué au déclin de l’hôpital tant sur le plan fréquentation que surtout sur le plan prestige et performance.
2) Quant à l’Etat, sa réaction a été pratiquement univoque : érection des hôpitaux en Epa (Etablissements publics à caractère administratif). Fortement suggéré par les institutions financières internationales, l’EPA est sensé mettre fin à la crise de l’hôpital par :
– l’augmentation des recettes,
– l’augmentation des conditions de travail,
– la motivation du personnel.
Et de fait, après une longue période de résistance à l’érection des EPA marquée par une grève mémorable d’une semaine en Septembre 1994, les travailleurs hospitaliers ont été invités à percevoir en Novembre – Décembre des sommes d’argent assez substantielles provenant des recettes hospitalières. L’empressement que tous ont mis à aller percevoir ces primes est la caution indiscutable dont l’Etat avait besoin pour se convaincre du bien fondé de la démarche.
Mais pour autant, l’hôpital pourra-t-il opérer sa réhabilitation avec le remède miracle, l’EPA ? Des questions se posent.
A T
Des points à prendre en considération pour comprendre les causes de cette crise
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