Contentieux CANAM-SBNIF a propos d’un marché : Devant le Tribunal administratif le débiteur devient créancier

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A défaut de conciliation suite à un marché caduc et pour lequel elle n’a pas trouvé satisfaction, la Caisse nationale d’assurance maladie (Canam) avait saisi le Tribunal du commerce afin d’être rétablie dans ses droits, notamment pour réclamer l’avance de démarrage et le cautionnement de bonne exécution qui n’ont pas été restitués à la Canam, malgré les nombreuses mises en demeure adressées à la Société Bakary Nimaga et Fils-Technologie-sarl (Sbnif) laquelle, en contrepartie, devient créancier devant le Tribunal administratif et fait condamner la Canam qui a interjeté appel.

Le contentieux opposant la Caisse nationale d’assurance maladie (Canam) à la Société Bakary Nimaga et Fils-Technologie-sarl (Sbnif) n’a rien à voir avec le marché de cartes biométriques Cédéao sécurisées qui fait actuellement couler beaucoup d’encre et de salive du fait des agissements de l’adjudicataire provisoire, Cissé technologies, qui se bat pour décrocher ce jackpot en utilisant tous les moyens à sa disposition, y compris dans l’intox.

En effet, le marché des cartes biométriques date de 2016 et celui qui fait l’objet du contentieux entre la Canam et la Sbnif est de 2011, c’est-à-dire sous le régime du président ATT et le financement devait se faire sur le budget national sur trois ans. C’est dire qu’au moment où le marché des cartes Cédéao était lancé, il n’y avait donc plus de marché entre la Canam et Sbnif, comme a eu à le préciser le Comité de Règlement des Différends en sa séance du 25 août 2015, suite à une saisine de la Sbnif. En effet, pour le Comité de Règlement des Différends, il n’y avait plus de marché en raison de l’expiration de la période contractuelle et avait donc invité les deux parties à se réconcilier. C’est dire que les contextes sont différents et tenter de faire le parallèle entre les deux marchés relève d’une tentative de manipulation de l’opinion pour discréditer l’Etat et la Canam.

Pour en revenir aux faits concernant le contentieux entre la Canam et Sbnif, il faut rappeler que dans le cadre de la mise en œuvre du régime d’assurance maladie obligatoire (Amo), le gouvernement avait conclu avec la Sbnif le marché n°0204-Dgmp-Dsp 2011 du 06 avril 2011 relatif à la fourniture des cartes de santé destinées à la Caisse nationale d’assurance maladie (Canam) du Ministère du Développement social et de la solidarité et des personnes âgées.

Ledit marché, approuvé par le Décret n° 2011-080/P-RM du 22 février 2011, avait comme source de financement le budget national sur trois exercices (2011-2012-2013) pour un montant de 3 125 000 000 Fcfa, avec un délai de livraison de seize (16) mois.

Les événements de mars 2012, notamment le coup d’Etat mené par le capitaine Sanogo et ensuite l’occupation du nord du pays par l’alliance narco djihadiste ont nécessité la prorogation d’une année des paiements du marché qui devait expirer en décembre 2013 et conséquemment le renouvellement de toutes les obligations mises à la charge de la Sbnif, à savoir la caution de bonne fin d’exécution du marché et la caution d’avance de démarrage.

Dans cette logique, le ministre de l’Economie et des Finances, par lettre n°002397/MEF-SG du 25 juillet 2014 a accordé, à titre exceptionnel, la prise en charge des arriérés de facture de la Sbnif sur le marché en question. C’est dire que malgré le cas de force majeur qui entravait l’exécution correcte du marché, la Canam, avec l’appui des autorités du pays, a fait preuve de bonne foi pour que la Sbnif recouvre ses arriérés de factures. On sait bien que d’autres opérateurs économiques du pays qui se trouvaient en position de fournisseurs de l’administration publique n’ont pas bénéficié de cette diligence et ont dû attendre longtemps, jusqu’à l’effectivité de l’opération de régularisation initiée par le Premier ministre Moussa Mara et exécutée par le ministre de l’Economie et des Finances d’alors, Mamadou Igor Diarra.

Cependant, malgré les relances, la Sbnif n’a pas renouvelé les cautions de bonne exécution et de démarrage dont les délais de validité avaient expiré depuis le 30 septembre 2012 et qui s’élèvent respectivement à 156 250 000 Fcfa et 937 500 000 Fcfa.

Ce qui a obligé la Canam, le 02 juillet 2015, à solliciter auprès de la Bnda qui avait garanti le marché attribué à Sbnif , à saisir les cautions fournies après notification du marché, et ce, en raison des défaillances constatées dans la mise en œuvre du marché. En effet, la Canam avait relevé une exécution défectueuse des prestations fournies et liées notamment aux raisons suivantes : photos illisibles sur certaines cartes et inexistantes sur d’autres ; données d’identification incomplètes ; absence de maîtrise dans les délais de production empêchant la Canam d’assurer une fourniture correcte au assurés ; production des cartes en PVC en lieu et place des cartes en polycarbonate comme spécifié par le marché ; production des cartes en double, voire en triple.

En réponse, la Bnda a indiqué que les cautions délivrées pour la Sbnif au titre de l’exécution du marché sont caduques pour défaut de renouvellement car la date de validité était fixée au 30 septembre 2014. En d’autres termes, avec la prorogation causée par le cas de force majeure, Sbnif n’a pas procédé au renouvellement desdites cautions.

C’est fort de ce constat que la Canam a sollicité, par écrit, l’avis de la Direction générale des marchés publics et de Délégation de services publics qui a suggéré de procéder à la résiliation du marché du fait même qu’il est arrivé à terme en 2013, tout en prenant le soin de demander à la Canam de faire le décompte des cartes livrées et des paiements effectués et de procéder au paiement du reliquat (s’il y en a) tout en se rassurant de la mise en place de la caution de bonne exécution.

C’est ainsi qu’après les défaillances constatées, le non-renouvellement des cautions et l’avis favorable de la Dgmp-Dsp que la Canam a procédé à la résiliation du marché attribué à la Sbnif, en application de l’article 42 du contrat et 92 du Décret 08-485/P-RM du 11 août 2008 portant Code des Marchés publics.

Les deux parties se sont par la suite retrouvées devant le Comité de Règlement des Différends (Crd) saisi par la Sbnif le 10 août 2015. La séance du Crd a eu lieu le 25 août 2015 et le Crd. Lequel, après avoir constaté qu’il n’existait plus de marché en raison de l’expiration de la période contractuelle, a invité les deux parties à se réconcilier. Ce qui n’a pas été possible.

La Canam a donc saisi le Tribunal du commerce pour être rétablie dans ses droits. Au même moment, la Sbnif, qui prétend avoir réalisé de gros investissements pour satisfaire ce marché mais n’a pu travailler sérieusement par la faute de la Canam, a demandé, devant le Tribunal administratif, la condamnation de l’Etat du Mali à travers la Canam et le Ministère de la Solidarité et de l’Action humanitaire, à lui payer 4 116 183 661 Fcfa à titre de remboursement des factures d’achat des équipements, des loyers impayés, des salaires du personnel, du manque à gagner des appareils et équipements, des frais bancaires et frais d’enregistrement ; 1 500 000 000 Fcfa à titre de dommages et intérêts.

Le tribunal administratif, sans tenir compte du cas de force majeure due aux événements de 2012 et le principe des marchés publics selon lequel on ne peut prétendre s’équiper pour un marché, mais on doit justifier de sa capacité technique pour obtenir un marché public, a condamné l’Etat du Mali, à travers la Canam, à payer à la Sbnif les sommes de 2 288 845 110 Fcfa à titre de principal et 40 000 000 Fcfa à titre de dommages intérêts.

Pourtant, les difficultés rencontrées au cours de l’exécution du marché et particulièrement la mauvaise qualité des cartes produites par la Sbnif ont contribué de façon déterminante dans l’option de la Canam de changer de système d’information pour sauvegarder les ressources du régime d’assurance maladie obligatoire au Mali, comme précisé dans sa défense par le Contentieux de l’Etat.

Naturellement, le Contentieux de l’Etat et les avocats de la Canam ont interjeté appel de cette décision qui risque fort de faire jurisprudence si elle est confirmée par la Cour suprême car beaucoup d’opérateurs économiques victimes des événements de 2012 ont eu des difficultés dans l’exécution de leur marché et guettent avec beaucoup d’attention la suite de cette affaire.          

 A.B. NIANG

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