Une accidentée grave gisant dans son sang sous le regard impassible du personnel de la Clinique ! Une scène quasi quotidienne pour les habitants du quartier. Quoique surréaliste et affligeant, le décor est cependant révélateur de la profonde inadéquation de la politique de santé publique dans notre pays. Enquête !
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Vendredi 29 juin, 19 h 04 minutes précises aux environs du pont Richard. Une vieille femme tente de traverser la voie. Elle ne voit pas surgir le motocycliste roulant à tombeau ouvert. C’est le choc ! La vieille femme tombe raide inanimée et perd du sang à flot. Les passants accourent. La scène est insupportable. Le bruit du choc a alerté deux membres du personnel de la «Clinique du Farako» à quelques mètres de là. Tout le monde attend médusé. La victime gît toujours sur l’asphalte. Personne ne réagit. Deux jeunes policiers de passage et témoins oculaires de la scène décident de prendre leur responsabilité. Ils appellent le service de la protection civile. L’ambulance arrive et transporte d’urgence la patiente sur l’Hôpital Gabriel Touré. Une vingtaine de minutes s’étaient écoulées. Soit dit en passant, ces jeunes policiers stagiaires méritent au moins un encouragement de la part de la hiérarchie…
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Une fois revenus de leur stupeur, les témoins regardent du côté de la clinique. Les deux membres du personnel préfèrent alors éviter ces regards accusateurs. L’indignation est au comble parmi l’assistance. On rumine quelques méchancetés et tout le monde se disperse.
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Intrigué par la scène, nous avions voulu en savoir plus. Interrogées, les populations riveraines ne cachent pas leur colère à l’endroit de cette clinique : « Il en est toujours ainsi. C’est toujours le même scénario. Ils n’interviennent jamais. Des accidentés ont même succombé sur place, faute d’assistance. Quand nous leur amenons des blessés, ils les font ressortir sans ménagement». Hallucinant !
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En attendant d’en savoir d’avantage, nous nous rendons à l’Hôpital Gabriel Touré. La victime se trouvait dans un état critique mais recevait en ce moment les premiers soins. Aucun parent, ami ou connaissance n’était encore arrivé à ses chevets. Une parfaite anonyme, jusqu’à cet instant.
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Samedi 30: Direction clinique Farako. La secrétaire permanente nous reçoit avec la courtoisie requise. Nous lui racontons notre histoire en concluant par la question: «pourquoi donc la clinique s’abstient-elle de porter secours aux accidentés comme ce fut le cas hier aux environs de 19h ?»
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Réponse de la charmante secrétaire : « D’abord parce que nous sommes du secteur privé et… ».
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Tout l’argumentaire qu’elle développera tout au long de la conversation d’une dizaine de minutes reposait essentiellement sur le statut commercial et privé du service. «Nous ne pouvons pas faire autrement. Au début, nous nous prêtons au jeu, mais après avoir reçu les soins appropriés, les patients refusent de s’acquitter de la facture… Nous ne pouvions pas continuer ainsi. Nous sommes du privé ! Ici, les rôles du personnel sont planifiés. Chaque élément est affecté à un patient… Nous ne refusons pas d’apporter secours à un blessé, mais il faudra que les parents nous l’amènent. S’ils l’avaient fait hier soir, nous nous aurions occupés d’elle… ».
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Retour à l’Hôpital Gabriel Touré. L’état de la victime est toujours inquiétant dit-on. Nous profitons de notre passage pour échanger avec le personnel du service des Urgences. Le médecin est catégorique : « c’est une faute professionnelle grave. Le personnel de la clinique devrait intervenir sans attendre. C’est la non-assistance à personne en danger ! Et puis, il y a le Serment».
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Non-assistance à personne en danger ! Serment… Qu’est ce -que donc ce concept ? Le Magistrat et non moins juge de siège au tribunal de Première Instance de la Commune III nous édifie : «La non-assistance à personne en danger est l’engagement de la responsabilité pénale d’une personne qui n’interviendrait pas face à une personne courant un danger soudain et imprévisible».
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Le Magistrat va plus loin : «L’examen de la jurisprudence montre que ce délit est le plus souvent rencontré dans le domaine médical. Le péril dont il s’agit doit être grave ; il doit représenter un danger pour la vie, la santé ou l’intégrité physique d’une personne. La nature et l’origine du danger sont sans incidence : peu importe que le péril provienne d’un délit, d’une cause naturelle ou accidentelle. La jurisprudence précise que «le péril doit être imminent, constant et de nature à nécessiter une intervention immédiate». Dans le cas qui nous concerne, ces conditions étaient toutes réunies.
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Le Médecin des Urgences lui, a évoqué le Serment. Celui d’Hippocrate, le père spirituel de la médecine moderne. En voici quelques passages : « Au moment d’être admis(e) à exercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité. Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions…. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité…. Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire….. Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. Je préserverai l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de ma mission…. Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j’y manque ». Ce serment, faut-il le rappeler n’a pas une valeur légale, mais morale. Et c’est cela le plus important. Fort malheureusement, on a l’impression qu’il s’agit d’un serment d’hypocrite.
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Il importe, en tout état de cause, de revoir très sérieusement la politique d’assistance sociale de notre pays. Le personnel de cette clinique est certes blâmable et même susceptible d’être poursuivi pour non assistance à personne en péril, mais il risquait peut-être de perdre son job en adoptant une autre ligne de conduite, tout simplement, parce que «c’est le privé», autrement dit, le profit d’abord. La secrétaire permanente a été, on ne peut plus claire: la santé est un business ! Elle a juste oublié un détail: tout le monde, y compris elle, le promoteur de la Clinique, vous et moi, chers lecteurs, pouvons un jour être parmi ces nombreuses victimes anonymes auxquelles il faudra administrer immédiatement des soins appropriés avant qu’il ne soit trop tard.
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Le fait est tout simplement incompréhensible quand on sait que nos autorités ont mis tout en oeuvre pour rendre gratuits ou presque l’accès à certains traitements médicaux pourtant moins urgents, comme la césarienne, le paludisme, entre autres, pendant que ce phénomène qui a tendance à devenir un problème de santé publique majeure ne fait même pas encore l’objet de réflexion.
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B.S. Diarra
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