Ebola est bien aujourd’hui dans nos murs. Cela est une évidence. Mais ce qui l’est moins, c’est la probabilité de propagation de ce virus à une échelle considérable, voire même au delà de l’épicentre du foyer situé dans un périmètre de moins de 30 mètres de diamètre, en plein cœur du quartier Plateau à Kayes. Une perspective heureuse qui se mesure à l’aune des efforts énormes consentis par le gouvernement malien, à pied d’œuvre depuis l’apparition du virus dans la sous-région. Et les kayesiens veulent y croire. Le récit de notre envoyé spécial.
Les kayesiens étaient partis pour une journée bien ensoleillée, jeudi dernier en cette période post-hivernale lorsque la nouvelle la plus cruelle de ce siècle courant, dans un retentissement aussi fort que désarçonnant tomba, telle une Chappe de plomb sur la tête des habitants de la cité des rails. Ebola est là ! Répète t-on à tue tête. Très vite, la nouvelle, telle une trainée de poudre, se répandit à travers la ville. Chacun y va de ses supputations. A l’origine, une information émanant d’une famille située en plein cœur du quartier plateau, faisant cas de signes distinctifs de la maladie à virus Ebola constatés chez une petite fille, d’à peine deux ans et ayant vécu à demeure avec ses parents en Guinée voisine. Les témoignages recueillis sur place et qui restent tout de même à vérifier, nous plongent dans un mélo drame à perdre le bon sens. Aux dires du voisinage, tout serait parti d’une vielle dame qui se serait rendue le mois dernier à Kissidougou en Guinée forestière à l’occasion du décès de l’un des siens. Après donc les funérailles de ce dernier, qui serait un parent biologique de la petite fille, dame K, que nous préférons nommer ainsi pour éviter toute stigmatisation, décida à la fin de son séjour guinéen de ramener avec elle au Mali, la petite à l’origine aujourd’hui de ce drame humain. Toujours selon nos sources dans le quartier Plateau, celles-ci prirent la direction de Bamako où elles auraient séjourné pendant quelques jours, plus précisément dans le quartier Bagadadji. De là, la petite famille aurait emprunté un car à destination de Kayes. Interrogés sur d’éventuelles suspicions sur l’Etat de forme des voyageurs venus de Bamako, nos interlocuteurs sont formels. ‘’Visiblement, ceux-ci ne présentaient aucun signe donnant lieu à des interprétations cliniques, jusqu’à ce jour où les symptômes de la maladie firent irruption.’’ ont-ils affirmé.
De ce point de vue, cela autorise à penser à une période d’incubation, c’est-à-dire une période latente de la maladie de 21 jours qui aurait donc couvert la durée du voyage de la Guinée au Mali. Cela pourrait aussi supposer que même un contrôle rigoureux au poste frontière de Kouremalé ne pouvait aucunement détecter, à ce stade, une éventuelle contamination. Les événements vont alors se précipiter. Dès la survenue des premiers symptômes, confirmés par les autorités sanitaires de Kayes, le tango pouvait commencer. Le ballet des ambulances médicalisées se font incessants. Un périmètre de sécurité est vite délimité par les forces de l’ordre autour d’un pâté de maisons, une dizaine environ. Certaines issues sont bouclées. Toutes les précautions d’usage sont respectées.
En un temps record, la victime et son premier cercle furent évacués. Suivront ensuite une quarantaine de personnes savamment persuadé par les médecins de l’opportunité de leur isolement immédiat. Leurs habitats furent instamment aseptisés à partir de produits chimiques avant d’être sécurisés à vide. Cette scène de désolation transformera très vite les habitants du secteur en véritables parias. La circulation autrefois dense en ces lieux, connut une forte baisse d’intensité, rappelant un jour de dimanche. Personne ne veut s’aventurer dans cette zone devenue presque un no man’s land. Les regards des rares passants sont furtifs et on est souvent surpris à se prendre le nez aux abords de cette zone rouge, comme si le virus se transmettait par le simple regard ou par les airs. C’est là qu’il faut saluer le tact et le brio des autorités politiques régionales avec à leur tête le gouverneur de région. Face à la gravité de la situation, ils prirent l’initiative heureuse de sensibiliser les populations à travers des discours bien à propos sur les chaines de radios locales. Et cela à manifestement fait mouche. La peur et l’angoisse ont laissé la place à un réel optimisme que l’on vit se traduire à travers des railleries et des formules taquines, toutes afférentes au virus Ebola. C’est la décompression totale. La nuit du jeudi à vendredi fut calme, comme si, inconsciemment le virus Ebola pouvait surgir de nulle part dans la pénombre. La journée du vendredi fut un référentiel dans la capacité des kayesiens à surmonter le défi psychologique à eux imposé par le virus Ebola. Une véritable opération de saponification est lancée à travers toute la ville. Chacun y va de la couleur de son savon, jaune, rouge, vert, pourvu que ça mousse et laver proprement les mains. Les fidèles musulmans en partance pour la prière hebdomadaire du vendredi saint sont abordés, à chaque coin de rue par des volontaires ‘’armés’’ d’eau et de savon pour la bonne cause. Dans son prêche liminaire, l’imam de la grande mosquée a également mis du sien dans la sensibilisation et au respect des règles édictées par les plus hautes autorités en matière de précautions hygiéniques. Dans la nuit de vendredi à samedi, aux alentours de minuit, lorsque nous nous rendîmes à l’hôpital régional Fousseini Daou de Kayes, il y régnait un silence de mausolée. Sauf quelques médecins et autres infirmiers de garde déambulaient dans la cour, très loin du Lazaret de mise en quarantaine. Le Directeur Général de l’Hôpital, dans ses bureaux à cette heure indue, s’affairait religieusement sur son rapport qui, seul fait foi. Une équipe technique était même attendue, nous dit-on, cette nuit là en provenance de Bamako pour un meilleur suivi de la situation. Pour sûr, le phénomène Ebola est très pris au sérieux par les autorités maliennes. La sortie médiatique du ministre en charge de la santé, Ousmane Koné a été d’une béate opportunité à un moment où le doute commençait à s’installer et la désinformation gagner les esprits faibles. Malheureusement la petite fille a finalement succombé à sa maladie. Reste maintenant à penser des stratégies à même de circoncire le mal dans un rayon à portée de moyens, afin que ce psychodrame soit vite inscrit au chapitre des cas isolés. Il revient également à nos autorités de remonter l’itinéraire suivi par les ‘’importateurs’’ du virus, si tant est qu’ils ont transité par Bamako. Des mesures idoines doivent être ^prises telles que: le confinement de la famille d’accueil, de même, la recherche du car ayant servi à transporter à Kayes, les individus suspects venus de la Guinée, tout comme les passagers de ce voyage dont l’identification éventuelle pourrait s’opérer à la suite de minutieuses enquêtes. Un véritable travail de fourmi, à nos yeux, bien moindre au vu des conséquences incommensurables qu’une telle situation pourrait engendrer. Il y va de l’intérêt du Mali, à un moment où un tel prétexte pourrait suffir pour que certains de nos partenaires stratégiques récusent la destination Mali pour insécurité sanitaire. A craindre même qu’ils ne nous
prennent plus au téléphone au risque de se faire contaminer en ligne. Franchement !
Amadou SANGHO
De retour de Kayes