Il y a quelques jours à Daoudabougou, une jeune fille d’une vingtaine d’années a échappé in extremis à la mort. En fait, elle voulait discrètement se débarrasser de son bébé. Mais pour y arriver, elle n’a rien trouvé de mieux que…de boire de l’eau de Javel ! Une fois le désinfectant ingurgité, l’apprentie avorteuse s’est évanouie dans la cour de la concession familiale, en proie à de violentes douleurs abdominales. A son réveil, elle était donc obligée de passer aux aveux.
Si l’on se réfère au nombre de fœtus découverts dans les latrines, poubelles et autres terrains vagues, on constate alors que l’avortement clandestin est une pratique courante au Mali. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), il constitue l’une des principales causes de mortalité maternelle dans notre pays et d’autres pays du continent. Selon une étude de l’OMS vieille de 15 ans, 10% des décès maternels étaient dus à ce phénomène dans les années 1990. Aux dires de S.T., infirmière dans un service de Gynécologie d’un hôpital de la place, ce chiffre constitue « l’arbre qui cache la forêt ». Des statistiques fiables n’existant pas en la matière, la tendance pourrait même être à la hausse. « Pratiquement, tous les jours, nous recevons des femmes souffrant de complications dues à une tentative d’avortement ou à un avortement clandestin mal négocié. Très peu avouent leur forfait. Mais à l’examen, les équipes médicales comprennent très vite de quoi il est question », informe l’infirmière.
Selon le Dr B.D, Gynécologue, celles qui recourent le plus à l’avortement clandestin sont généralement âgées de 15 à 22 ans. Ce sont des élèves, des étudiantes ou des filles de ménage n’ayant aucune notion de la pratique contraceptive. Des réponses obtenues par des médecins lors de consultations appropriées, il ressort que diverses raisons poussent cette catégorie de personnes à passer à l’acte. Au premier rang, la peur des parents. Puis viennent l’état de détresse et d’incompréhension dans lequel elles se trouvent généralement, leur situation financière inconfortable, leur volonté de poursuivre leurs études, la non reconnaissance de la grossesse par le géniteur…L’autre tranche d’âge concernée est celle des femmes âgées de 20 à 35 ans dont la vie de couple est irrégulière ou instable. Alors, les concernées usent d’opérations clandestines pour «expulser le fruit de leurs infidélités», parfois au risque de perdre leur vie. C’est que lesdites opérations sont souvent pratiquées dans des conditions d’hygiène défectueuses ou à travers des méthodes douteuses. Ici, le « bouche à oreille » fonctionne à merveille.
Dès qu’on dit que tel médicament, telle liqueur ou herbe pourrait faire l’affaire, les candidates à l’avortement s’engouffrent aussitôt dans le réseau, sans prendre aucune précaution, généralement aidées en cela par les conseils mal avisés de copines, les essais peu scientifiques de matrones de tout acabit et autres «charlatans» qui apprennent à «marcher sur l’eau». En la matière, la réputation des étudiants en médecine est aussi tout faite. Selon des données fiables, certains demandent 50 000 FCFA pour extraire le fœtus le plus récalcitrant.
Paul N’Guessan
Parole aux femmes :
Des femmes donnent leurs avis sur l’avortement clandestin
Longtemps resté un sujet tabou, l’avortement clandestin est devenu aujourd’hui un sujet qui ne dit plus rien aux citoyens alors qu’il est non seulement dangereux pour la santé et même la vie de la femme, mais entraîne aussi beaucoup de conséquences, dont la stérilité. Pourtant, on en parle souvent partout et sans se gêner.
Aussi, certaines femmes ont bien voulu se confier à « Paroles aux femmes » en donnant leurs avis sur la question.
-Assan Mariko, Agent de santé :
L’avortement clandestin est très dangereux pour la santé de la femme. Malheureusement, malgré les risques qu’il comporte, il est devenu une pratique courante dans nos hôpitaux et dans notre société. Celles qui recourent souvent à l’avortement clandestin ont généralement moins de 20 ans : des élèves, des étudiants et souvent des femmes dont les maris se sont exilés des années. Souvent aussi, ce sont des filles qui n’ont aucune notion de la pratique de la contraception. Les séquelles vont de l’infection comme le tétanos aux hémorragies avec la perforation de l’utérus, la déchirure du vagin ou du col de l’utérus si ce n’est pas la mort. Ce sont les conséquences immédiates. La stérilité, les douleurs pendant les rapports sexuels, souvent les douleurs pelviennes chroniques, sont des conséquences tardives, de même que les chocs psychologiques chez certaines femmes de l’avortement clandestin. Le plus risqué, c’est que souvent, il est pratiqué dans des conditions très défavorables, sans hygiène et sans normes médicales. Et souvent, les agents qui le pratiquent ne sont pas qualifiés. Alors que cette pratique ne va pas sans conséquence. Le plus souvent, ce sont les grossesses non désirées qui poussent les femmes à s’adonner à l’avortement clandestin. La seule solution, à défaut de s’abstenir, c’est la planification familiale. Aussi, il faut beaucoup sensibiliser les jeunes filles, surtout les aide-ménagères, sur les risques de l’avortement.
-Mme Mamou Touré, Femme au foyer :
L’avortement clandestin est en train de prendre de plus en plus de l’ampleur dans notre société, alors qu’avant, c’était un sujet tabou. De nos jours, les jeunes filles en parlent entre-elles sans gène. Pour éviter que nos filles ne tombent enceintes sans le vouloir, il faut les planifier parce qu’on a beau les surveiller, c’est difficile. Au-delà de l’abstinence, c’est la planification puis qu’on ne peut pas les surveiller à plein temps.
-Mme Fatoumata Fofana, Paire éducatrice à l’AMPPF :
L’avortement clandestin, c’est de mettre un terme à sa grossesse sans que personne ne soit au courant. Cela peut provoquer des problèmes à court et à long termes. Quand on dit clandestin, cela veut dire qu’il est pratiqué dans la clandestinité. Quelque chose qui se passe dans la clandestinité est très risquée et a également des conséquences. Il a été constaté que ce sont les grossesses non désirées qui poussent les femmes à pratiquer l’avortement clandestin. Je pense que les parents doivent beaucoup communiquer avec leurs enfants sur le sexe. Cela n’est plus un sujet tabou. C’est une manière de les guider sur le droit chemin. Une chose est sûre : cela leur évite certaines choses qui pourront mettre leur vie en danger. Sinon, il faut opter pour la planification familiale.
-Mme Aminata Koné, Commerçante :
C’est regrettable pour moi de parler d’avortement clandestin. Je me suis retrouvée un jour enceinte alors que je n’étais pas mariée et j’avais rompu avec le père de cet enfant. J’étais obligée de mettre un terme à ma grossesse. Aujourd’hui, je le regrette amèrement. Si je pouvais revenir en arrière !
–Mme Traoré Fatou Sangaré, Comptable :
L’avortement est une pratique illégale dans notre société. Il faut le combattre. Il faut éduquer et sensibiliser les gens sur la santé de la reproduction, la santé maternelle et aussi sur la sexualité responsable. Chacun doit être responsable de ses actes. Les gens ont besoin d’une connaissance approfondie des méthodes contraceptives, surtout les jeunes. Ce qui pourrait éviter à beaucoup de jeunes filles de se faire avorter clandestinement. Sinon, à défaut de l’abstinence, l’utilisation des contraceptifs permet d’éviter les grossesses non désirées et éloignerait du même coup une pratique comme l’avortement. Les gens pensent que l’avortement est un moyen très facile de ne pas avoir un bébé, alors qu’en le faisant, deux vies sont en danger : non seulement on tue son bébé, mais aussi on met sa propre vie en danger. Il est temps que les gens prennent conscience des conséquences de l’avortement clandestin.
Propos recueillis par Salimata Fofana
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