Afrique : comment le « PochVid-20 » s’est installé à côté du Covid-19

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ANALYSE. Les restrictions imposées pour lutter contre la pandémie ont eu des effets dévastateurs sur les revenus des travailleurs du secteur informel. Explications.

Dans les pays en développement, les activités informelles concernent les deux tiers de l’emploi, et les quartiers informels abritent entre un tiers et deux tiers des citadins, selon les pays. Ce secteur informel est touché de plein fouet par la crise liée au Covid-19. Les médias d’Afrique francophone parlent d’une épidémie de « PochVid-20 », plus dangereuse qu’un coronavirus.

Le travail informel : illégal ou invisible, mais souvent essentiel en période de confinement

Les travailleurs informels sont triplement vulnérables face à la crise. Premièrement, lorsque le confinement les empêche de continuer à exercer leur activité (cf. Figure 1, secteurs à risque). Deuxièmement, lorsqu’ils continuent à travailler en s’exposant à des risques. Troisièmement, parce que la protection sociale les couvre trop peu (en Afrique et en Asie en particulier).

L’absence de trésorerie, la baisse de la demande, l’interdiction d’accès aux espaces publics et les restrictions de circulation sont particulièrement impactantes pour plusieurs métiers, qui ne peuvent pas être confinés : le tourisme, la vente de biens non alimentaires, les industries culturelles et créatives, notamment. En Argentine, on estime que seul un quart des employés peuvent travailler à domicile. Certains métiers sont plus gravement touchés car considérés comme « non essentiels », comme le travail domestique ou les professionnels du sexe. Ceux-ci sont exclus de l’aide d’urgence, car ils sont « invisibles » pour le système de protection sociale.

D’autres catégories maintiennent une activité considérée comme « essentielle » pour approvisionner les populations confinées en biens de première nécessité. Cependant, cela peut comprendre une exposition forte aux risques sanitaires, comme pour les récupérateurs de déchets ; l’absence d’indemnisation en cas de maladie lorsque l’activité reste « illégale » ; et, plus généralement, un manque de moyens pour protéger les travailleurs (comme on le constate au Nigeria ou en Inde).

Les femmes et les saisonniers particulièrement exposés

Les menaces de perte de revenus exposent particulièrement les femmes, nombreuses dans l’emploi à domicile, le travail domestique et le commerce de rue, et qui sont souvent pourvoyeuses de revenus et de sécurité alimentaire pour des personnes dépendantes. Les travailleurs migrants et saisonniers sont particulièrement vulnérables, car difficilement identifiables par les programmes de soutien. Ainsi, une partie des 17 millions de travailleurs informels en Inde ne sont pas enregistrés auprès des services sociaux. Les travailleurs agricoles saisonniers sont affectés par les restrictions de mobilité (en Éthiopie par exemple), et par les répercussions de la baisse probable des subventions pour les petits agriculteurs, notamment au Sahel.

Menaces sur les conditions de vie et la santé des populations

Les quartiers précaires (informels) sont plus sensibles aux épidémies que les quartiers aisés. En effet, les maladies chroniques et la malnutrition, facteurs de comorbidité, y sont plus fréquentes qu’ailleurs. La présence de migrants informels, de déplacés internes et de personnes sans domicile fixe non enregistrés dans les services sociaux y est plus importante. La prévention de la diffusion du virus est rendue difficile par le manque d’accès à l’eau : 24 % seulement de la population d’Afrique subsaharienne bénéficie de l’eau à domicile. Les lacunes en termes d’infrastructures de santé sont flagrantes (figure 2). L’hôpital de Bangui en Centrafrique, par exemple, dispose seulement de douze lits pour la prise en charge des malades du Covid-19, pour une population de plus de 1 million d’habitants.

Les mesures de confinement renforcent la promiscuité au sein des foyers. La moitié de la population d’Abidjan habite dans des logements qui accueillent plus de trois habitants par pièce. Les gestes barrière de distanciation sociale sont très difficiles dans ce contexte. De plus, les restrictions de mobilité accroissent le risque de violences domestiques. Leur augmentation a déjà été signalée par les organisations non gouvernementales et relayée par l’ONU : triplement des violences faites aux femmes en Chine par rapport à l’année précédente, quintuplement en Tunisie, etc.

Notons aussi que certaines restrictions de circulation sont basées sur une discrimination de genre. Ainsi à Panama, Lima et Bogota, hommes et femmes ne sont pas autorisés à être présents dans l’espace public les mêmes jours. Ces mesures peuvent avoir tendance à réifier les normes sociales associées au genre (coiffure, vêtements, etc.) et à encourager la séparation entre les sexes.

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Mesures d’urgence et besoins de long terme

Pour la première fois, une vingtaine de pays ont mis en place des initiatives visant explicitement le secteur informel en réponse à la crise du Covid : aide monétaire et aide alimentaire pour les plus pauvres, report de paiement des factures d’eau et d’électricité, lutte contre l’expulsion des logements, y compris informels. On peut espérer que cette crise offre une opportunité de reconnaissance du rôle fondamental du secteur informel dans les pays en développement. Les quartiers informels sont une solution et non un problème, ils fournissent aux populations des logements lorsque la puissance publique n’en a pas les moyens. De même, les activités économiques informelles proposent souvent des biens et des services de proximité et offrent de nombreux emplois. L’extension de la protection sociale et de l’accès à la santé pour les informels gagnerait à être prolongée et mobilisée au-delà de la crise actuelle.

Par Irène Salenson*, Cecilia Poggi** pour Theconversation.com
Publié le 19/05/2020 à 12:08 | Le Point.fr

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