Jamais dans l’histoire économique du Mali privatisation n’a autant posé de problèmes de celle de l’huilerie cotonnière du Mali. De la grève de la faim des travailleurs aux interpellations à l’Assemblée nationale en passant par la saisine par les députés du Bureau du Vérificateur général, tout y est passé. Sur les lieux, la mission du Bureau du Vérificateur général a constaté plusieurs dysfonctionnements et un manque à gagner de 13,5 Milliards. Nous vous proposons, sans commentaires, les constats faits par le Vérificateur général.
La société Huilerie Cotonnière du Mali (HUICOMA) était une société d’économie mixte, dont le capital était détenu par l’État du Mali (96,13%) et des particuliers (3,87%). Elle avait pour objet social la transformation industrielle des graines de coton et d’autres produits oléagineux et la commercialisation des produits de sa fabrication.
HUICOMA était une filiale de
Elle exploitait trois huileries situées respectivement à Koulikoro, Koutiala et Kita. L’État du Mali, dans sa politique de libéralisation de l’économie se traduisant par son désengagement des activités productives, industrielles et commerciales, a décidé de céder 84,13% de ses actions à un industriel privé.
La procédure de cession a abouti à la signature d’un protocole d’accord le 16 mai 2005 entre l’État et le Groupe TOMOTA retenu comme acquéreur des actions dans le cadre d’un appel d’offres restreint.
La présente mission a pour objet l’examen de la régularité et de la conformité des opérations liées à la cession des actions de l’État et des actes qui y sont rattachés pendant la période 2004-2009. Elle fait suite à des saisines émanant du collectif des travailleurs licenciés, des employés actuels et leur comité de soutien et de l’Assemblée Nationale qui demandaient toutes la vérification de la gestion de la privatisation de la société.
Pertinence
HUICOMA était très impliquée dans le développement économique et social du Mali et possédait de sérieux atouts industriels et commerciaux. A la date de la privatisation, elle employait 1 135 personnes et avait, avec ses trois usines, une capacité journalière de trituration (extraction d’huile) de 1 300 tonnes de graines de coton.
Elle était présente sur les marchés des huiles alimentaires, des savons, des tourteaux et aliments-bétail. Elle a réalisé, en 2002, un chiffre d’affaires de 27,09 milliards de FCFA.
Cet important maillon du tissu industriel et du tissu social maliens connaît à présent de graves difficultés. Au moment de la cession des actions de l’État, elle rencontrait des difficultés de trésorerie qui l’empêchaient de tenir ses engagements vis-à-vis de ses clients, de ses fournisseurs et de ses salariés. La privatisation, mise en œuvre dans l’espoir de résorber les difficultés constatées, n’a pas répondu à toutes les attentes. En effet, la situation de la société a continué à se dégrader : arrêt de deux usines, insuffisance de matières premières, licenciements pour motif économique, grèves des travailleurs, non-paiement de certaines dettes-fournisseurs.
Les opérations de la phase préparatoire de la cession comportent des anomalies
•
Des traites avalisées remises par des fournisseurs n’ont pas été encaissées.
L’ensemble des pertes occasionnées par ces actes de mauvaise gestion s’élève à
13,53 milliards de FCFA.
• L’État n’a pas respecté les dispositions de la loi n° 94-041 fixant les principes fondamentaux de la privatisation des entreprises publiques au Mali. En effet, aucun décret n’a été pris pour autoriser la cession des actions de l’État.
• L’État a signé le protocole d’accord de cession avec le Groupe TOMOTA qui n’existait pas juridiquement au moment de la soumission des offres. Ce sont les documents et les pièces administratives de la société Graphique Industrie qui ont été produits par le soumissionnaire au soutien de ses offres techniques et financières, mais le contrat a été signé avec le Groupe TOMOTA. Ce Groupe n’a été créé que deux mois après l’ouverture des plis.
L’application du protocole d’accord a été défaillante
• Les mécanismes de suivi de l’application du protocole d’accord n’ont pas fonctionné. En effet, la commission de suivi n’est restée en fonction que pendant la première année de la cession alors qu’elle devait suivre la mise en œuvre du
Protocole pendant trois ans. Elle n’a pas réussi à évaluer les investissements promis par le Groupe TOMOTA.
• L’État a pris en charge la négociation et la conclusion du plan social pour indemniser les travailleurs licenciés, alors que selon le Protocole, c’est le repreneur qui doit négocier, conclure et financer le plan social en lien direct avec les représentants des travailleurs. L’État devait contraindre le repreneur à s’entendre avec les travailleurs. Il n’a pas mis en œuvre les pouvoirs que lui conférait le protocole d’accord pour obliger le Groupe TOMOTA à négocier et à s’entendre avec les travailleurs. Au contraire, il s’est substitué au Groupe
TOMOTA et a pris l’engagement de financer le plan social sur les fonds publics.
Il est donc important que des actions soient engagées pour que la société résolve les difficultés qu’elle rencontre et qu’elle puisse reprendre sa place dans le développement économique et social du Mali.
Faits constatés
La mission a constaté un manque à gagner de 13,53 milliards dont 6,92 milliards au titre de la fraude et 6,61 milliards au compte de la mauvaise gestion. Sur cette somme, celle qui relève de la fraude est proposée au recouvrement.
• Le Groupe TOMOTA n’a pas réalisé la totalité des investissements prévus par le Protocole d’accord pour relancer efficacement les activités de HUICOMA.
En effet, le montant des investissements qu’il a réalisés s’élève à 3,63 milliards de FCFA, soit 57,3% des 6,34 milliards de FCFA prévus par le protocole d’accord au titre des investissements indispensables.
Les investissements non réalisés représentent 2,71 milliards de FCFA.
A défaut des investissements réalisés conformément au plan inséré dans le
Protocole, l’État a le droit de résoudre la cession de ses actions au Groupe
TOMOTA et, ainsi, de reprendre le contrôle et la direction de HUICOMA. Jusqu’à la date courante, l’État n’a pris aucune mesure pour appliquer la clause résolutoire du Protocole d’accord.
• Le Groupe TOMOTA n’a pas respecté les obligations liées à l’agrément au régime
B du Code des Investissements (article 4 de l’Arrêté n°06-1477/MPIPMI-SG du
7 juillet 2006). Il n’a pas notifié le démarrage de l’exécution du projet de réhabilitation et n’a pas fourni aux services techniques habilités les informations sur son état d’avancement.
• Le Ministère des Finances a accordé à HUICOMA S.A de nombreux avantages qui ne sont prévus ni par le Protocole d’accord ni par le Code des Investissements.
Ainsi, il lui a accordé des exonérations de droits et taxes rattachés à l’importation des hydrocarbures destinées à l’usine de Koutiala et à celle de Kita.
• De novembre 2005 à février 2006, le Groupe TOMOTA a soustrait du patrimoine de HUICOMA S.A des véhicules payés sur les fonds de cette société. La valeur totale des véhicules concernés est de 2,29 milliards de FCFA.
Récommandations
A l’État
– Résoudre (annuler) le Protocole d’accord du 16 mai 2005 portant cession de
84,13 % de ses actions dans le capital social de l’Huilerie Cotonnière du Mali
(HUICOMA),
– redéfinir un plan social et désigner un organe approprié pour en assurer l’exécution et le suivi,
– annuler tous les avantages accordés au Groupe TOMOTA en lien avec ce protocole d’accord,
– récupérer et enregistrer dans le patrimoine de la société tous les biens acquis au nom de HUICOMA,
– identifier tous les actes frauduleux avant et après la cession et engager contre les auteurs les actions pénales, administratives et professionnelles.