Le verdict est tombé. Aux juristes praticiens comme théoriciens d’y réfléchir en vue des éclairages. Minta l’enseignant a écopé de 2 mois de prison ferme, 100 000 F d’amende avec une peine complémentaire d’interdiction d’exercer la profession d’enseignant ; Seydina Oumar Diarra a été condamné à 13 jours ferme correspondant au temps de détention avec 200 000 F CFA d’amende ; Sambi Touré, directeur de publication d’Info-Matin a été condamné à 8 mois de prison avec sursis et 200 000 F d’amende ; Hameye Cissé, directeur de publication du Scorpion ; Alexis Kalambry directeur de publication journal « Les Echos » ; Birama Fall directeur de publication du journal « Le Républicain » ont été chacun condamné à 4 mois de prison avec sursis et 200 000 F d’amende.
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Le public profane en la matière dira que le tribunal a fait preuve de clémence en prêtant attention aux clameurs de la rue. Non il n’y a eu ni clémence ni apaisement. Au contraire ! Tout juriste s’interroge et continuera de s’interroger sur le fondement juridique de la décision prise par la chambre correctionnelle. En attendant de voir la motivation de la décision il convient d’examiner les bases juridiques de la poursuite.
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Le texte en cause est un écrit de moins d’une page dactylographiée. Peu importe pour l’instant les circonstances dans lesquelles le journal Info-Matin l’a publié et commenté. Ce qui importe c’est la base juridique de la poursuite. Le parquet a poursuivi M. Minta et SOD comme auteurs principaux sur la base de l’article 147 du code pénal malien. Ce texte dispose : « Quiconque, soit par discours, cris ou menaces proférés dans les réunions ou lieux publics, soit par des écrits, des imprimés vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans les réunions ou lieux publics, aura offensé la personne du chef de l’Etat sera puni d’un emprisonnement de trois mois à un an et d’une amende de 50 000 F à 600 000 F ou de l’une ou l’autre de ces deux peines seulement ».
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Les différents directeurs de publication comme complices. On notera que la loi n’a pas pris le soin de définir ce que c’est que l’offense. A cela il faut ajouter que le texte est sous un chapeau intitulé « Des outrages et violences envers les dépositaires de l’autorité ou de la force publique ». La règle contient deux hypothèses. D’emblée on est hors de la première hypothèse (discours cris ou menaces proférés dans les réunions ou lieux publics). L’affaire Minta est l’illustration de la deuxième hypothèse à savoir : « écrits, imprimés vendus (…) dans les lieux publics…. ». Dans la mesure où le support matériel de l’écrit incriminé est le journal Info-Matin il n’y a aucun doute qu’il s’agit d’un délit de presse ainsi qu’il en sera amplement démontré. D’ailleurs la prévention cite le journal ! Dans cette mesure l’infraction cesse d’être autonome pour devenir une infraction de presse.
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Le verdict prononcé par la première chambre correctionnelle du Tribunal de première instance de la Commune III perturbe la sérénité de tout juriste démocrate et honnête. Si nous prenons le minimum de l’article 147 du code pénal à savoir 3 mois à 1 an, il est difficile de dire que c’est cette disposition qui a été appliquée. Par exemple où loger les 2 mois ferme infligés à M. Minta dans la fourchette de 3 mois à 1 an ? Où loger les 13 jours ferme de Seydina Oumar Diarra ? La peine prononcée à son endroit n’est pas, du reste, contraventionnelle en ce sens que le maximum de la contravention est de 10 jours. On sort du maximum de cette infraction et on tombe dans la fourchette des infractions correctionnelles dont le minimum est 11 jours. Si la base de la poursuite est l’article 147 du code pénal. Peut-on justifier les peines prononcées (13 jours, 2 mois) par le recours à l’article 7 du code pénal : « Les peines applicables aux délits sont : 1) l’emprisonnement de 11 jours à cinq ans (…) » Si c’est le cas le recours à l’article 7 du code pénal est devenu un secours pour sauver la face.
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On ne comprend pas en droit pénal général que le juge pénal saisi par l’acte de prévention qui contient l’article qui est le fondement de la poursuite puisse s’en évader ! La question qu’il faut poser est la suivante : est-ce que l’action publique fondée sur l’article 147 du code pénal était-elle fondée en droit ? Une longue pratique judiciaire et les travaux des juristes les plus en vue répondent par la négative. Selon le professeur Emérite Michel Veron « … Si l’outrage est rendu public, notamment par diffusion d’un écrit (…) il faut alors poursuivre pour diffamation publique sur le fondement de la loi de 1881 sur la presse (crim. 4 déc. 2001, Droit pénal 2002. comm. 53) » (Droit Pénal spécial 9e édition -2002).
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En l’espèce le support matériel du sujet est Info-Matin et l’acte de poursuite contient même le n° de la livraison du journal. Les choses sont claires. Si le ministère public voudrait agir en droit il lui était plus facile d’incriminer de façon autonome le papier de l’enseignant comportant le sujet. Et le recours à l’article 147 du code pénal serait justifié. Mais citer expressément le nom de l’organe de presse et le n° de livraison dans l’acte de prévention et poursuivre pour juger sur la base du droit commun, cela dépasse tout entendement de juriste. Dans cet ordre d’esprit les dispositions de l’article 147 du code pénal ne sont pas applicables aux délits de presse dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale qui est la loi portant régime de la presse et délits de presse.
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En conséquence le recours à la procédure de droit commun de citation directe se heurte à la procédure spéciale des délits de presse. C’est une première atteinte aux droits des personnes prévenues. Deuxième atteinte : C’est ce que la loi de 2000 sur les délits de presse ne retient plus l’offense au chef de l’Etat comme pouvant justifier la détention préventive (cf. Me A. T. Diarra : Etat des médias au Mali 1992-2002). D’ailleurs, l’article 60 de la même loi est claire « Si l’inculpé est domicilié au Mali, il ne pourra provisoirement être détenu sauf dans des cas prévus aux articles 33, 34, 35, 37 ci-dessus ». Les articles 36 et 46 qui incriminent l’offense au chef de l’Etat sont exclus de la règle de l’article 60. Même la diffamation ne commande plus la détention préventive (art. 38). Les hypothèses qui appellent l’application du droit commun sont les articles 33, 34, 35 et 37 qui concernent la commission d’infractions criminelles par voie de presse.
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Dans cet ordre d’esprit et seulement la Cour d’assises juge un journaliste ou un agent de la presse voire même statue sur les infractions contraventionnelles, parce que la Cour d’assises a une compétence générale. La troisième atteinte : est la remise en cause même, par le pouvoir judiciaire du statut conféré par la loi à une catégorie de citoyens. A-t-on idée de juger un magistrat, un ministre, un député en violant son statut ? Mais pourquoi une telle levée de bouclier ? Est-ce contre Sambi Touré, Hameye M. Cissé, Alexis Kalambry, Birama Fall et SOD ou la presse ?
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Me Amadou T. Diarra
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(président de la Ligue pour la justice, le développement et les droits de l’Homme)
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