L’Office de radio télévision du Mali (l’ORTM), la "passion du service public", publie ordinairement en intégralité la conférence de presse que le président de la République, Amadou Toumani Touré, anime chaque 8 juin. Cette année, la vieille maison de Bozola a cru bon de prendre le ciseau et de procéder à la censure, digne d’une autre époque de l’histoire politique récente de notre pays. C’est vraiment le recul en arrière.
La règle établit voudrait que l’intervenant se présente avant de poser son interrogation au chef de l’Etat. C’est ainsi que nous nous sommes exprimés haut et fort (c’est notre nature) et de la façon suivante : "Bonjour Excellence. Je m’appelle Chahana Takiou, Directeur de Publication du journal 22 Septembre, l’organe de référence des Maliens. Je suis, par ailleurs, membre du Regroupement patronal de la presse écrite, dirigé par El Hadj Tiégoum Boubèye Maïga. Excellence, voici ma question : Depuis plusieurs mois, nous de la presse écrite, j’allais dire une grande majorité de cette presse là a fait l’analyse de la situation politique, économique, sociale et culturelle du pays. Elle est parvenue à la conclusion selon laquelle, un nouveau gouvernement s’impose et Modibo Sidibé doit partir. Nous sommes mêmes arrivés à donner des noms comme étant de potentiels successeurs à l’actuel Premier ministre. Malheureusement ou heureusement ? Vous n’avez pas suivi cette analyse d’une frange importante de votre opinion publique. Je relève, d’ailleurs, Excellence, que vous êtes généralement à contre-courant de votre opinion publique. Maintenant que vous avez pris un temps de réflexion, les Maliens attendent. Alors, à quand le nouveau gouvernement et le départ de Modibo Sidibé ?". Il faut préciser que le chef du gouvernement était présent dans la salle des banquets, non loin du président.
En réponse, ATT a clairement dit qu’il ne sait pas le jour où interviendra la composition du nouveau gouvernement. Avant d’ajouter qu’il sait bien que la presse fait et défait le gouvernement à son insu.
Ensuite, il nous a demandé de bien vouloir le comprendre parce qu’il ne pourra pas répondre à l’autre aspect de la question, à savoir le départ de Modibo Sidibé. Il n’a jamais dit qu’un remaniement ministériel n’est pas à l’ordre du jour, contrairement à certains comptes – rendus de la rencontre.
C’est ainsi qu’à deux reprises, voulant répondre à des confrères, que j’ai précédés, le président de la République, qui ne se retrouvait pas dans ses éléments de réponse, a lancé : "Takiou m’a perturbé".
Avant de dire pour la troisième fois : "Il a gâté ma conférence". Puis, il m’a envoyé ce message en Sonrhaï, devant l’auditoire : "Après la conférence, tu passes au bureau pour payer la cola".
Comme, vous le constatez, il n’y a rien d’insultant dans la question, encore moins une quelconque atteinte à la sécurité de l’Etat. C’est tout de même une interrogation que se posent tous les Maliens. La censure, en l’espèce, n’est donc pas justifiée. Malgré tout, l’ORTM a jugé bon de couper cette partie, la seule, l’unique.
La télévision a osé l’expurger du dossier, alors que même ceux qui sont venus, pour la circonstance, quémander un terrain au président, ont été entièrement diffusés. Cette pratique discriminatoire, attentatoire à la liberté d’informer, mérite de notre part, une forte dénonciation.
Non pas parce que nous sommes concernés, mais parce que c’est un précédent fâcheux pour la bonne marche de notre démocratie qui a comme piliers essentiels, la liberté d’expression et celle de l’information. Selon, W. Churchill, "la démocratie est le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres".
Alors, que la "passion du service public" souffre, que le peuple entende des infos, des analyses et des questions qui ne sont pas du goût du pouvoir. C’est vraiment une reculade de cacher aux téléspectateurs et auditeurs de radios Mali ce qui "dérange" ou "perturbe" le pouvoir. La force d’une démocratie, c’est bien les différents sons de cloche. "La censure, quelle qu’elle soit, me paraît une monstruosité, une chose pire que l’homicide; l’attentat contre la pensée est un crime de lèse-âme. La mort de Socrate pèse encore sur le genre humain" (Gustave Flaubert). A suivre.
Chahana Takiou