Le mardi 3 mai 2016, Journée internationale de la liberté de presse, nous avons dû décliner avec diplomatie et respect des invitations à débattre sur cette «Liberté de la presse». Par conviction, nous n’adhérons pas à ce corporatisme qui oblige souvent à l’union sacrée par solidarité professionnelle et à la cécité intellectuelle par rapport aux tares qui entravent l’épanouissement des acteurs et du secteur.
Moins tolérant qu’un corps de métier dont le développement se nourrit de critiques internes et externes, la presse malienne est en train de devenir une secte intouchable. La critiquer est devenue suicidaire, car exposant au lynchage médiatique sans retenue, ni limite déontologique. Le pauvre «Isaac» (Issaka Sidibé, président de l’Assemblée nationale) l’a appris à ses dépens. Seuls, les magistrats semblent faire exception, car refusant de se soumettre à cette nouvelle dictature. Mais on dit qu’un cadavre se fiche pas mal que ses parties génitales soient exposées et qu’un cabri mort n’a pas peur de couteau. Le comble serait d’avoir froid dans l’enfer.
Donc, retrouvant notre tour de réflexion à Lassa (Tour de Lassa), sur les hauteurs de cette capitale polluée et étouffante sous la canicule, nous nous rappelons ce post d’une jeune et éblouissante consœur : Quelles sont les qualités d’un bon «journaliste» ? Une question qui ouvre inéluctablement le débat sur le «métier de journaliste». Est-ce une vocation ? Est-ce une carrière ? Qu’est-ce qu’un journaliste ?
Légalement, selon des spécialistes du Droit de la presse, c’est celui qui a une carte de journaliste professionnel. Sauf qu’au Mali, n’importe qui a aujourd’hui accès à la carte de presse. Même les copines de certains de nos responsables. En pratique, poursuivent les mêmes experts, c’est celui qui, titulaire de cette carte professionnelle, travaille dans une publication (quotidien, hebdomadaire, périodique), à la radio, à la télévision, ou, depuis une petite décennie, sur internet. Il écrit, dessine, photographie, filme ; est rédacteur, reporter, pigiste, présentateur, secrétaire de rédaction…
Exercer le métier de journaliste, c’est être un intermédiaire, un passeur entre un événement (qui peut être un fait ou une idée) et un public (lecteur, auditeur, téléspectateur, internaute). Mais tout fait ou toute idée n’est pas destiné à devenir un événement ! Il appartient donc au journaliste de discerner le fait ou l’idée, qui deviendra événement. Etant entendu que ce discernement est aussi, pour une bonne part, fonction du public auquel le journaliste s’adresse. L’information naît de cet accord contractuel entre événement, journaliste et public. Ce qui veut dire que le journaliste doit avoir comme première exigence un double respect : respect de l’événement et respect du public ! Celui qui respecte ce pacte est censé être un bon journaliste !
Le confort de l’idéal théorique
Des principes bien théoriques dans le contexte malien, voire africain. Et quand on franchit le confort de cet idéal théorique, la réalité est souvent nauséabonde. Notre conviction est qu’un bon journaliste est comme un médecin qui a conscience qu’il peut provoquer une catastrophe ou des drames et briser une vie à jamais, quand il exerce mal sa science ou qu’il ne la maîtrise pas du tout. Encore dans le cas du médecin, le drame peut se limiter à une personne, voire à une famille. Avec sa langue ou sa plume, le journaliste peut conduire une communauté ou un pays à une tragédie nationale, au chaos comme nous l’avons vu au Rwanda et récemment, chez l’un de nos voisins du Sud avec une certaine presse.
«Science sans conscience n’est que ruine de l’âme», dit le penseur François Rabelais. Au Mali, un bon journaliste, c’est celui qui a la bouche ou la plume pour critiquer et juger tout le monde, sans jamais chercher à balayer devant sa propre rédaction. Il s’octroie le droit et la liberté de tout dire, de tout écrire, d’humilier et de briser des carrières, tout en condamnant les autres à fermer les yeux sur ses propres lacunes. C’est un maître-chanteur qui tient tout le monde par quelque chose, car nous sommes dans une société en décadence. C’est aussi un bluffeur et un frimeur qui vit au-dessus de ses moyens et qui a remplacé la passion du métier par la soif de faire fortune… Tous les moyens sont alors bons pour vivre comme les nouveaux riches du pays. Nous sommes les premiers à juger le médecin qui a longtemps fait le deuil du Serment d’Hippocrate ; de l’enseignant qui drague et engrosse son élève ; du leader religieux qui a un faible pour les petites filles du quartier ; du président qui a du mal à s’affranchir des caprices de sa maîtresse (la Maîtresse du président, une affaire toujours pendante au niveau de la justice) ; du juge, du militaire… qui ne cessent de trahir leur serment…
Et au même moment, nous semblons oublier que l’éthique et la déontologie sont les valeurs cardinales de notre métier. C’est le socle de la crédibilité, sans laquelle la presse n’est ni le 4ème pouvoir, ni ce régulateur socio-économique et politique. Ce refuge pour le citoyen humilié et bafoué dans ses droits et libertés et en quête de réparation, de justice ; du paysan spolié de sa terre et qui n’a d’autre recours que les «journaleux» !
Une liberté sans limite ni concession
Une attitude liberticide. Nous ne cessons pourtant pas de revendiquer cette liberté de la presse qui est l’un des principes fondamentaux des systèmes démocratiques et qui repose sur la liberté d’opinion, la liberté de pensée et d’expression. «La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi», stipule l’article 11 de la Déclaration française des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. La protection des sources d’information des journalistes, sans exception, ni restrictions, est considérée comme «l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse». Souvent confondue avec le secret professionnel, elle s’en distingue pourtant fondamentalement et n’est pas assurée de manière uniforme dans tous les pays. Mais, comme le défendait le Cardinal Jean Honoré (dans une interview dans le quotidien français Le Figaro), «la liberté de la presse n’est pas sans limite. Elle doit se conjuguer avec d’autres libertés». L’homme d’Eglise réagissait ainsi par rapport à l’affaire des caricatures danoises.
Ainsi, la liberté de la presse doit se conjuguer avec d’autres libertés inaliénables comme les libertés de conscience, de pensée, de culte. Ce qui signifie bien naturellement que cette liberté n’est pas une fin en soi. Elle renvoie à nos yeux à la notion de responsabilité. Être responsable, c’est de ne pas s’abriter derrière une quelconque liberté pour mal agir, ternir l’image d’un citoyen ou le traîner dans la boue, tout simplement parce qu’un adversaire ou un rival, voire concurrent (politique, affaires…) vous le demande ou qu’il n’a pas cédé à votre chantage, voire à vos avances. La responsabilité, c’est de faire de l’éthique et de la déontologie des références et une barrière professionnelles permettant de ne jamais franchir le seuil de l’inconscience. Parce que, selon le Cardinal Jean Honoré, «l’inconscience est pire encore que l’indécence».
Aujourd’hui, les dérapages sont mis au compte du manque de formation. Qui doit former ? En la matière, l’Etat malien a fait de son mieux avec des bourses de formations en ex-URSS, au CESTI de Dakar (Sénégal), à Yaoundé (Cameroun) pour des professionnels des médias d’Etat… Et bientôt, une Ecole publique de journalisme verra le jour pour combler un vide et peut-être pallier aussi des insuffisances comme la formation continue indispensable dans ce métier qui relève des sciences sociales.
Selon nos propres investigations, la majorité des animateurs de nos rédactions (presse écrite, radios, télévisions, sites web) est formée sur le tas. Et ils sont nombreux à s’être retrouvés là, beaucoup par nécessité que par passion. Dans le temps, ceux-ci étaient bien encadrés avant d’être lancés dans le grand bain. Même les jeunes issus des écoles de journalisme faisaient l’objet d’un strict encadrement pour la collecte et le traitement de l’info, avant de se voir donner une chance d’écrire ou de produire. Aujourd’hui, cela n’existe presque plus dans de nombreuses rédactions où on tombe facilement dans le laxisme et la paresse professionnelle conduisant à fuir ses responsabilités. Dans le meilleur des cas, on se contente de réécrire, sans que l’apprenant en tire un quelconque enseignement, car rarement associé à ce travail ingrat.
À notre temps, on nous faisait reprendre les «papiers» jusqu’à ce qu’ils soient «digestes». N’est-ce pas Abdoul Madjid Thiam, Tiégoum Boubèye Maïga, Alexis Kalambry… ? Vous qui avez guidé nos frêles pas dans ce noble métier aujourd’hui banalisé comme l’est la République elle-même.
Les anciens sont devenus des modèles brisés par l’appétit du gain
Hélas ! Aujourd’hui, les aînés sont de moins en moins des repères pour les cadets ! Où est le modèle ou la référence quand des apprentis-journalistes deviennent des bras armés des francs-tireurs, pardon de leurs patrons cachés à l’ombre des rédactions pour régler les comptes d’autrui contre des espèces sonnantes et trébuchantes ? Ceux-ci peuvent-ils encore parler d’éthique et de déontologie à ceux qu’ils sont censés encadrer et orienter vers l’exercice honorable du métier ? En dehors de la formation, l’exercice professionnel du journaliste est aussi lié aux conditions de travail, surtout quand la passion est loin d’être l’héritage le mieux partagé de nos jours. Exploités, sous-payés, sans protection sociale et sanitaire, le journaliste devient un loup affamé dans la nature, un mercenaire qui résiste difficilement à la tentation de monnayer sa plume ou son micro, voire sa caméra, pour vivre en fonction de l’illusion de bien-être qui l’a conduit vers le métier.
À discuter avec des jeune journalistes, on se rend compte que ces conditions ne font que se détériorer. Et pourtant, même jugée comme modique, l’Etat apporte une subvention pour contribuer à un meilleur et noble exercice de ce métier afin qu’il puisse réellement être un pilier de la démocratie. Loin de nous la tentation de cautionner la remise en question de cette aide depuis la crise de 2012. Mais, nous nous posons la question : à quoi a-t-elle réellement servi ? Ce qui est sûr, des organes ont été créés juste pour pouvoir bénéficier de cette aide… Aujourd’hui, les organisations patronales du secteur revendiquent non seulement une hausse conséquente de cette aide, mais aussi son inscription au budget du Département de tutelle. Pour mieux soutenir les «entreprises» (???) de presse, ils souhaitent également le privilège particulier de la fiscalité, la ratification des accords internationaux de Florence et de Nairobi sur la fiscalité…
La Convention collective pour mieux réguler et briser une mafia en gestation
Des dispositions qui prévoient par exemple l’exonération des taxes sur les intrants de la fabrication du journal. C’est légitime, car on ne peut pas vouloir une presse professionnelle et ne pas créer les conditions indispensables à la concrétisation de cet objectif national. Mais rien de tout cela ne favorisera les meilleures conditions de l’exercice du métier, le professionnalisme, tant que l’Etat ne s’assume pas réellement en imposant une stricte et rigoureuse régulation du secteur. Curieusement, on n’évoque plus la Convention collective de travail des journalistes au Mali ! C’est pourtant un pilier de la profession, donc un outil privilégié de cette régulation indispensable à la professionnalisation du métier et à l’émergence de vraies entreprises de presse. «La Convention collective, c’est à la fois l’instrument de la négociation collective et l’expression à voix haute de toute une profession. Connaître sa Convention collective, c’est connaître les droits et les obligations qui s’imposent aussi bien au salarié qu’à l’employeur», défendait Anthony Bellanger, Premier secrétaire général du Le Syndicat National des Journalistes en France, il y a quelques années. Elle est donc l’un des piliers de la profession de journaliste. Un maillon essentiel dont on ne parle pas ou peu dans le paysage médiatique malien. C’est pourtant un passage obligé pour assainir le secteur et favoriser l’émergence d’un journalisme digne et crédible. Le vrai 4ème pouvoir de la démocratie !
Moussa BOLLY
Merci grand frère pour ces éclairages.Si tous tes confrères voyaient la situation actuelle de ce métier tant bien que noble comme toi tu le vois,notre pays pourrai espérer d’un avenir meilleur
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