Tiegoum Boubeye Maïga, journaliste : ”Je pense que l’Etat n’a pas besoin d’intimider les journalistes”

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En marge de la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes, Tiégoum Boubèye Maïga journaliste et acteur du mouvement démocratique au Mali, livre ses analyses sur la presse malienne sous l’ère Moussa Traoré à l’avènement de la démocratie. Entretien.

Mali Tribune : Comment était la presse sous le régime dictatorial de Moussa Traoré ?

Tiégoum Boubèye Maïga : Au temps de Moussa Traoré, nous respectons scrupuleusement la loi. Parce que quand tu sais à qui tu as affaire, il ne faut pas lui donner l’occasion d’avoir une prise sur toi. Comme disaient les bambaras : “quelque chose qui peut t’avaler, il ne faut pas lui laisser te lécher”.

Deuxièmement, nous étions tous des professionnels. Les faits, ce sont les faits. Il n’était pas acceptable à l’époque dans les échos en tout cas de publier une information qui n’est pas vérifiée. On recoupe jusqu’à ce qu’on se dise maintenant l’information est fiable. Même si ton adversaire ou ton ennemi veut te mettre le grappin dessus, il faut qu’il soit de très mauvaise foi. Les Maliens ont très vite adopté le journal les ” échos”. Mais après, il y a eu le journal ”Aurore” et d’autres journaux qui informaient après. L’administration n’était pas à l’aise, mais elle nous donnait des informations qui étaient possibles ; on nous les donnait et on les exploitait après recoupement.

Mais sous Moussa, il n’y a pas d’arrestations des journalistes. Parce qu’on ne pouvait pas donner l’occasion à ces gens de nous arrêter. A l’époque mieux vaut faire autre chose que de se faire arrêter par ces gens-là. Par contre, il y a eu beaucoup d’entraves et cela rentre dans le cadre de la censure. Par exemple, le dépôt légal se fait 24 h avant la parution du journal. Aux échos, le journal paraissait officiellement le vendredi, mais jeudi avant la descente, il faut que le journal soit prêt parce que, le dépôt doit se faire aux ministères de la Justice et de l’Administration territoriale. Il se donne le temps de lire le journal avant tout le monde et de voir s’il y a des papiers à censurer dedans.

Après ils ont dit que 24 h c’est peu, il faut que ça soit 72 h, c’est-à-dire que si le journal doit paraître le vendredi, c’est le mardi qu’on met le journal en dépôt légal. Là, on leur a dit non et on leur a dit, si vous voulez ça, il faut changer la loi.  Après, il y a les intimidations contre les sources d’information et les agents de la sécurité d’Etat qui venaient à la porte du journal lors de nos réunions de rédaction. Mais lors des manifestations pour l’instauration de la démocratie, on recherchait les journalistes pour les bastonner.

Mali Tribune : Mais après l’instauration de la démocratie, on constate des crimes impunis à l’encontre des journalistes (interpellation, bastonnade, emprisonnent et même disparition). Comment vous expliquez cela ?

T.B.M : J’ai lu dans le livre qui a été écrit par des proches de Moussa. Il y a une partie qui a été réservée à la presse où ils affirment que, c’est eux qui ont amené la liberté de la presse. On ne le conteste pas. Ils disent que c’est avec la démocratie qu’on a commencé à arrêter les journalistes. Oui, c’est vrai. Parce que la démocratie demande beaucoup de tolérance. Les premières plaintes contre les journalistes, c’est sous la Transition de 1991 avec le journal “Scorpion” contre le ministère de la Défense.

En plus, la démocratie demande aussi beaucoup d’exigences. Ce n’est pas parce qu’on est en démocratie qu’on est poursuivis par les gens. Mais on n’empêche pas les gens qui sont poursuivis d’avoir des meilleurs avocats.

Nous, aux Echos au temps d’Alpha Oumar Konaré, on ne connaît même pas le nombre de procès qu’on a eus. Avec la création de Ganda koye, nous avons fait un éditorial et personnellement en tant que directeur de publication, j’ai été interpellé par la Sécurité d’Etat. A cette époque, c’était Soumeylou Boubèye Maïga qui dirigeait la Sécurité d’Etat et de la Sécurité d’Etat, je me suis retrouvé devant Adama Thiero, le procureur de la Commune III. A la limite, j’ai frôlé l’arrestation. Qu’on interpelle les journalistes, ça ne me dit rien. Dès l’instant où le journaliste a fait son travail de recoupement des informations, c’est l’essentiel. On n’est pas des bêtes sacrées. Mais la place d’un journaliste, ce n’est pas la prison. Quelle que soit l’animosité qu’on peut avoir contre les journalistes, aller jusqu’à les battre ou assassiner. Je pense que l’Etat n’a pas besoin d’intimider les journalistes.

Mali Tribune : Pour mettre fin à cette barbarie contre les journalistes, les Nations unies ont initié depuis 2013 la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes. Une journée mémorable, pompeuse, non ?

T.B.M : C’est juste une journée et je ne suis pas sûr qu’en 2013, à maintenant qu’il y a eu un impact. Parce que si on regarde le nombre des journalistes tués, ça va en crescendo. De 2000 à 2022, il y a eu plus de 1700 journalistes tués alors qu’ils ne sont pas des terroristes. La guerre de l’Ukraine qui est en train de se passer, il y a une dizaine de journalistes tués à Gaza, il y a 23 journalistes.  Certes, ce sont des zones de conflit, mais les journalistes dérangent les gens. Ils ne veulent pas que les journalistes soient témoins de ce qui se passe. Parce que quelque part, les journalistes apportent les vraies informations à l’opinion.

Oui, c’est pompeux on organise une journée pour dire que la presse, c’est le pilier de la démocratie, liberté d’expression, dans les faits ils ne sont pas protégés. C’est vrai qu’au Mali on n’est pas arrivés aux assassinats et j’espère qu’on n’arrivera pas à ça. Mais on bastonne les journalistes, personne ne lève le doigt, à commencer par les associations des droits de l’homme au Mali. On n’est pas une espèce en voie de disparition, mais une espèce fortement menacée.

Mali Tribune : A la lumière de tout cela, qu’est-ce que vous reprochez à l’Etat et aux journalistes que nous sommes ?

T.B.M : L’un des gros reproches que j’ai toujours fait à l’Etat depuis la chute de Moussa, c’est que l’Etat s’est désengagé de la formation des journalistes alors que c’est à l’Etat de former les journalistes dans l’écriture, la parole et la photographie. Quand tu n’as pas des bons journalistes, tu n’as pas des bonnes informations et quand tu n’as pas des informations, tu n’as pas des bons citoyens. Quand tu n’as pas des bons citoyens, tu n’as des bons gouvernants et quand tu n’as pas de bons gouvernants, tu n’as pas des bonnes décisions et c’est un recul.

En plus du désengagement de l’Etat, en notre sein même, l’éthique et la déontologie sont bafouées tous les matins et on ne fait pas des efforts pour être à la hauteur ce qui fait que la parole d’un journaliste ou l’écrit d’un journaliste ne pèse absolument rien du tout.

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