Le 13 février a été déclaré journée mondiale de la radio pour encourager les grands réseaux et les radios communautaires à promouvoir, à travers les ondes, l’accès à l’information, la liberté d’expression et l’égalité des genres. La radio, qu’elle soit locale ou internationale, demeure en effet le média qui touche le plus large public, lettré ou analphabète, en ville ou au village.
La radio dite libre est source d’information fiable aux oreilles de l’auditeur, puisqu’il sait depuis longtemps que la régie nationale n’est souvent que le perroquet des décideurs locaux qui pensent plus à eux-mêmes qu’au bien-être des citoyens. Lorsqu’il le peut, l’auditeur est aussi lecteur, téléspectateur et internaute, conscient que la pluralité des médias est un des fondements de la démocratie, et qu’elle lui permet de se forger une opinion argumentée. C’est sans doute pour cela, justement, que près de la moitié de la population mondiale est encore privée de son droit fondamental d’être informée, par des régimes autoritaires, voire totalitaires.
Il y a quelques jours, RSF, Reporters Sans Frontières, publiait son classement mondial annuel de la liberté de la presse. Ce classement englobe tous les médias et prend en compte la liberté que les journalistes ont de s’exprimer. «Dans certains pays, les tortionnaires cessent leur triste besogne le jour où les médias les dénoncent. Ailleurs, ce sont les hommes politiques corrompus qui abandonnent leurs pratiques illicites lorsque les journalistes d’investigation publient des informations compromettantes.» Dans d’autres pays, les journalistes sont muselés, écartés, emprisonnés, voire éliminés. Chacun a pu y lire que certains pays se maintiennent en tête, alors que d’autres stagnent ou régressent.
Le Mali, comme d’autres pays en proie à l’instabilité sécuritaire et politique, a fortement chuté. On se rappelle, en effet, les pressions musclées exercées sur plusieurs journalistes en 2012, suite à leurs propos sur les ondes ou dans la presse écrite, et les 28 jours de détention de Boukary Daou, directeur de publication du quotidien Le Républicain, arrêté le 6 mars 2013, pour avoir publié une lettre ouverte de soldats maliens. Pour échapper à l’incarcération définitive ou la mort, certains journalistes fuient leur pays. L’exil est leur seule planche de salut. L’exil, c’est partir en terre inconnue. L’exil, c’est arriver dans un pays dont on ne connaît souvent ni la langue, ni les codes. En juin 2000, la journaliste de France Info, Danièle Ohayon, et le réalisateur, Philippe Spinau, créent l’association «la Maison des Journalistes», la MDJ, en région parisienne. La MDJ sera un lieu pour accueillir des journalistes exilés. En mai 2002, une première structure ouvre à Bobigny, en proche banlieue. En 2003, la mairie de Paris met à disposition les locaux d’une usine désaffectée dans le XVe arrondissement. Le 3 mai, journée mondiale de la liberté de la presse, «La Maison des Journalistes» investit les lieux. Depuis, plus de 260 professionnels de l’information, issus de près de 60 pays différents, y ont été accueillis. En moyenne, par an, trente journalistes y trouvent refuge. Darline Cothière, directrice de la MDJ, précise qu’«il faut être forcément journaliste, et avoir été persécuté pour avoir exercé son métier. La procédure n’est pas aussi simple qu’on peut le croire. Il faut faire passer un entretien au journaliste pour connaître exactement sa situation. La MDJ est en contact avec des correspondants de Reporters Sans Frontières, dans le pays d’origine de l’exilé, afin qu’ils nous confirment et témoignent de la situation de ce dernier.»
La MDJ l’héberge pendant six mois, et lui offre un soutien administratif, juridique, matériel et social. La mairie de Paris subventionne des cours de français dédiés aux journalistes non francophones. Cependant, la relocalisation du travail de journaliste reste très difficile, car se faire une place dans les médias n’est aisé pour personne. «Dans le cadre d’un partenariat avec des écoles de journalisme –Sciences-Po, ESJ de Lille et ESJ de Montpellier, la MDJ a permis à plusieurs journalistes réfugiés d’adapter, et de compléter leurs compétences journalistiques, afin de sortir titulaires d’un diplôme français pour se présenter mieux armés sur le marché national des médias.»
Les journalistes hébergés par la MDJ poursuivent leur métier comme ils le peuvent. Parmi eux, Makaïla Nguebla, 45 ans. Il se définit comme «journaliste et blogueur tchadien en lutte, depuis plusieurs années, pour l’enracinement d’une culture démocratique au Tchad, afin de favoriser et promouvoir le respect des droits de l’homme et des libertés». L’exil, Makaïla connaît. De Tunisie, il se réfugie à Dakar en 2005. Il y exerce son métier de journaliste, et s’exprime vivement contre la sphère politique tchadienne, sur son blog, à partir de 2007. Le 7 mai 2013, à l’issue de sa participation à une émission de «Radio Sénégal» Sud FM, il est interpellé. «Le pays de la Teranga a certainement cédé aux pressions du gouvernement tchadien», explique-t-il. Il est expulsé du Sénégal, dès le lendemain, vers la Guinée Conakry où il ne connaît personne. Assisté par RSF et Amnesty International, il s’envole pour la France, 3 mois plus tard. Depuis, il réside à la MDJ.
Réfugié politique, il continue à animer son blog. Il intervient dans de nombreux fora, et sensibilise des groupes de lycéens ou d’adultes sur la géo-politique en Afrique. Il raconte son histoire afin que personne n’oublie que la liberté d’expression est l’un des piliers de la démocratie, et que le journaliste, quel que soit son pays d’origine, doit être libre d’«accomplir tous les actes de sa profession, enquêtes, investigations, prise d’images et de sons, articles, émissions, librement. Le journaliste doit pouvoir accéder à toutes les sources d’information concernant les faits qui conditionnent la vie publique, et voit la protection du secret de ses sources garantie» comme le rappelle l’Unesco. C’est, bien sûr, au journaliste de conserver son indépendance de parole en refusant l’argent que certains veulent lui glisser dans la poche, et en refusant les privilèges qui le feraient taire.
Mais la liberté d’expression de la presse, son pluralisme et son indépendance doivent, avant tout, être assurés par ceux qui dirigent les Etats, sinon, leur prétendue démocratie ne sera jamais qu’une coquille vide.
Françoise WASSERVOGEL
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