Sadou Abdoulaye Yattara, Journaliste, Coordinateur à l’Institut pour la Démocratie et l’Education aux Media au Mali : « Il faut qu’on ait un document qu’on applique pour civiliser les relations au sein de nos rédactions »

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A bâton rompu, une interview exclusive au quotidien Le Républicain, lors du FILEP 2019 à Ouagadougou. Sadou Abdoulaye Yattara, ce doyen de la presse malienne, un des pionniers qui ont porté le flambeau de cette profession, croisé le fer avec la dictature du parti unique (qui a chuté le 26 mars 1991) pour nous frayer un chemin. Dans cette interview, on ne découvre pas un homme nouveau, mais ce combattant de la liberté d’expression et de la presse, qui est resté le même, égal à lui-même, et toujours engagé pour le développement des media, la protection et l’indépendance économique des journalistes, condition sine qua non pour une presse libre et indépendante. Du journal ‘’Aurore’’ à l’hebdomadaire ‘’Le Courrier’’, au Centre d’Etudes et de Renforcement de Capacité (CERCAP) et à l’Institut pour la Démocratie et l’Education aux Media au Mali dont il est le Coordinateur général, ancien président de la Maison de la presse, Sadou Abdoulaye Yattara, reste d’une solidarité exemplaire de cette grande famille du Journalisme et de la Communication, une personne ressource incontournable pour la pacification et le développement de notre pays. Pour ce doyen, « nous sommes en mission, une mission d’information qui est capitale pour une société », parlant des journalistes. Ne serait-ce que pour ça, «nous voulons vraiment que les Etats, je ne dis pas qu’ils légifèrent, mais qu’ils prennent des précautions pour notre sécurité », avise-t-il. « Le journal, la radio, la télé, c’est un miroir. Tout ce que tu mets dans le miroir, sera vu par tout le monde… », une interview à lire absolument !

 

Le Républicain : Vous participez activement au 8ème FILEP : le FILEP, c’est un grand rassemblement des journalistes Africains ?

Sadou Abdoulaye Yattara : Tout à fait, le Festival international de la Liberté d’expression et de presse (FILEP) a une histoire, c’est d’abord un festival consacré aux questions de liberté d’expression et de la presse, et le FILEP est initié par le centre Nobert Zongo. Dès qu’on parle de Norbert Zongo en Afrique, on se réfère déjà, on rappelle un grand journaliste d’investigation, qui est tombé sur le champ de l’honneur. C’est en son honneur, que durant le FILEP, sont toujours sacrés les meilleurs journalistes d’investigation en télé, à la radio et même en télévision. Donc c’est un festival où se rencontrent les défenseurs de la liberté d’expressions et de presse, qu’il soit journaliste ou simplement militant de la cause.

Au cours de cette rencontre africaine des journalistes, il est beaucoup question de sécurité, d’intégration et de l’unité de l’Afrique ?

Bien sûr, le thème central tourne autour de l’unité, qu’est-ce que les medias peuvent faire pour favoriser, promouvoir l’intégration Africaine. Evidemment, l’intégration Africaine n’est certes pas un nouveau sujet qui a commencé aujourd’hui, mais bien avant les indépendances africaines. Cette volonté a été concrétisée par la création de l’Organisation de l’Unité africaine (O.U.A.), le 25 mai 1963. Et depuis, l’idée fait son chemin ; maintenant, les medias veulent jouer leurs partitions, parce qu’aujourd’hui, l’Afrique est immensément riche de ses medias. Il faut que les médias concourent à cette Unité Africaine, parce que, les journalistes voyagent, et font des investigations extra-frontalières, ce sont eux qui se déplacent, ils reçoivent les plaintes des populations. A cet effet, nous voulons jouer notre partition par rapport à cette question d’intégration de mouvement, de déplacement, d’installation dans tous les pays. Ça c’est un premier aspect. Le deuxième aspect de cette 8ème édition du FILEP concerne les questions de sécurité. Aujourd’hui, vous savez les questions de sécurité sont vraiment d’actualité en Afrique singulièrement dans notre sous régions, ce qui fait que de toutes les façons, les medias ont tous besoins de savoir, et de situer comment ils se positionnent par rapport à cette question, parce que les terroristes ou les Etats, de façon générale, s’appuient sur des medias pour passer telle ou telle idée. Le festival a discuté dans les panels très enrichissant, le rôle que le journaliste peut jouer, à montrer à la société, les dangers qui la guette par rapport aux questions de terrorisme, et des questions qui peuvent contrarier son développement. Nous avons vu que de plus en plus, il y a des grands medias et aussi des medias de proximité, qui ont besoin d’être outillés, de savoir les rôles qu’ils doivent jouer par rapports aux populations qui les écoutent ou les lisent, ce sont ces medias que le commun des mortels écoute de façon générale. Ils ont besoin d’être outillés pour jouer leurs partitions, en participant à la sécurisation des populations, pour également faire comprendre les malentendus qui souvent sont sources d’incompréhension pouvant provoquer des dissensions entre populations, des mal-compréhensions en dehors des questions terroristes beaucoup plus grandes. Quand il y a dissensions, on ne sait pas où ça arrive, parce qu’en chacun d’entre nous, il y a des conflits qui sont latents. Nous voulons dire aux medias : jouer votre partition pour que vos populations, vos usagers de façon générale comprennent que la guerre, le terrorisme, la prise des armes ne résolvent jamais des situations de cohabitation ou d’Etat. Il faut négocier, il faut savoir se parler, et je pense que les médias, de façon générale ont été outillés par rapport à ce festival. C’est vrai cette fois-ci, on n’a consacré qu’un panel, mais le festival passé, la septième édition s’est consacrée essentiellement à cette question. C’est comme une piqure de rappel qu’on est entrain de faire à ce festival pour dire aux médias de jouer leur partition pour faire l’intermédiaire entre les Etats, entre les mouvements ou groupes terroristes armés, pour qu’ils ne détruisent pas notre continent, parce que nos pays ont besoin de se développer, pas de se faire la guerre.

Les médias ont un grand rôle à jouer et la question de sécurité devient double ou pluriel parce qu’il y a la question de sécurité à l’intérieur de nos Etats. Mais il y a la question de sécurité des journalistes, des Hommes de médias eux-mêmes ?

Absolument, nous avons constaté que quand on parle de sécurité, le commun des mortels voit toujours les questions de sécurité concernant les citoyens de façons générale, ils oublient les femmes de médias qui recherchent l’information, et celle-ci est là souvent où il y a un danger. Je dis qu’un journaliste qui est sur une information doit être protégé, mais la première protection c’est le journaliste lui-même. En cherchant l’information il ne doit pas s’exposer. Il y a des précautions qu’il faut prendre, c’est de ne pas s’exposer, de faire son travail en toute discrétion pour avoir les informations à publier dans son organe de presse, c’est un premier aspect. Le deuxième aspect est que les Etats aussi doivent multiplier les précautions pour défendre les journalistes. Si les terroristes qui n’ont ni loi, ni foi s’en prennent aux journalistes, les Etats qui sont organisés, ne doivent pas le faire. Ils doivent plutôt aider. Mais je continue à dire que c’est le journaliste le premier qui doit prendre les dispositions pour s’aider. Parce que quand il y a des groupes belligérants, il faut toujours avoir une démarche, une méthode pour donner son information, ce n’est pas pour dire que l’un a tord, l’autre a raison, mais le journal, la radio, la télé, c’est un miroir. Tout ce que tu mets dans le miroir tout le monde va le voir, tout le monde n’a pas besoin que tu lui dises que c’est celui là qui a fait ça. Expose les faits, tout le monde va s’en sortir. Nous voulons vraiment que les Etats, je ne dis pas qu’ils légifèrent, mais qu’ils prennent des précautions pour notre sécurité, ne serait-ce que quand nous sommes en mission, une mission d’information qui est capitale pour une société.

La question de la situation économique et financière des organes de presse, des hommes de médias aussi est une question centrale. Quelle stratégie pour amoindrir la misère économique des journalistes et les organes de presse et on pense que la misère des journalistes ne permet pas une certaine indépendance, une certaine liberté de la presse ?

Je suis plus au moins d’accord avec vous par ce que c’est une question récurrente. L’indépendance économique, c’est l’indépendance fondamentale quand un organe de presse est indépendant, ses journalistes le seront, donc les productions des journalistes le seront également. Mais quand vous n’êtes pas indépendant, quand vous n’avez pas les moyens de votre politique, de payer vos salariés, de payer votre loyer, d’envoyer des reporters à l’intérieur du pays pour couvrir l’actualité, vous êtes dépendant. Vous êtes même un sujet manipulable. Je pense que la solution, c’est d’abord que les entreprises de presse dans mon pays le Mali s’organisent en devenant de vraies entreprises. Une vraie entreprise, c’est une entreprise qui a une rédaction dans laquelle, il y a des journalistes dont le travail, c’est la recherche, la collecte et la diffusion de l’information. Ensuite, d’autres qui ont pour mission de chercher les moyens économiques pour permettre à la rédaction de façon générale de vivre, c’est à dire les services commerciaux, qui cherchent la publicité, d’autres moyens de faire rentrer les ressources, parce que l’information (la vente des journaux) ne permet pas de faire vivre les gens. Il faut qu’ils soient des services forts au même titre que la rédaction. Le troisième aspect, c’est que la partie managériale, la direction, il faut qu’elle laisse le service de rédaction, les services commerciaux faire leur travail ; il ne faut pas qu’elle s’immisce pour les orienter, qu’elle se contente de sa place de manager, d’être la direction où certes les décisions se prennent mais de commun accord avec la rédaction et le service commercial. C’est ce qui va permettre à mon avis à nos médias d’être économiquement équilibrés pour faire face aux tâches qui sont les leurs. Les journalistes s’ils ne sont pas dans les conditions, ils ne vont pas travailler, ils vont toujours penser aux charges auxquelles ils ont à faire à la fin de chaque mois. Il faut chercher que les journaux se vendent certes, mais qu’il y ait des publicités pour les radios, les télévisions pour vivre. Et puis les Etats aussi, parce que les journaux, les médias de façon générale, jouent un rôle fondamental dans l’information du public. Donc ils jouent un rôle de service public, mais il faut que les Etats les appuient comme dans les grandes démocraties. Dans certaines grandes démocraties les médias sont appuyés soit par des aides directes, soit par des aides indirectes pour être diffusés. Par exemple un journal édité à Bamako a besoin qu’il soit lu à Mopti. S’il n’y a pas de moyens, c’est difficile d’envoyer le journal à Mopti. Sur ce plan, les Etats peuvent aider les organes à circuler plus ou moins.

Comment vous voyez l’avenir de la presse, des organes de médias ?

Pour moi il y a beaucoup de gens qui pensent qu’avec l’émergence d’internet, l’émergence des médias sociaux, les médias classiques vont cesser de paraitre. Ce n’est pas certains, hein ! Parce que les réseaux sociaux, c’est du nouveau, tout le monde se jette sur ça, mais tout le monde se rend compte qu’il n’y a aucune information fiable qu’y circule. Les réseaux sociaux, c’est quoi ? C’est toi, c’est moi. Derrière ton écran tu écris, tu dis ce que tu veux. Ce n’est pas de l’information vérifiée, ce n’est pas de l’information triangulée. Ce n’est pas de l’information professionnelle. C’est comme quelqu’un qui écrit ce qu’il veut. Le jour où ils vont se rendre compte de cela, ils vont revenir à la presse classique qui donne des informations qu’il faut, des informations sur le développement, sur nos priorités, des informations sur nos problèmes, sur des choses cachées dont on a besoin. C’est pourquoi moi je me suis dis que ce n’est pas évident que le média classique disparait de si court, mais il faut s’adapter au contexte. Ils vont s’adapter au contexte. Par exemple, il est difficile aujourd’hui, de vendre le journal à la criée. Comme je fais toujours référence aux grands pays développés, ils sont dans les kiosques mais aussi sur des sites qui donnent accès seulement par abonnement. On peut le faire, le malien qui est à Washington a vraiment besoin de lire un journal comme « Le Républicain », parce qu’il sait qu’il trouvera dans ce journal l’information, qu’il ne trouvera pas dans le « Washington post » ou dans « Le Monde ». C’est l’information sur le Mali qu’il ne retrouvera pas non plus sur les réseaux sociaux. Mais si « Le Républicain » a un site internet où on a accès par abonnement, il va payer son abonnement pour y avoir accès à l’information. C’est plus intime, c’est plus important. C’est ce que les médias font désormais. Cela va exiger que vous ayez de bons produits vendables à tout le monde. Voilà, donc, c’est un peu comme ça qu’on va tirer profit des nouvelles technologies, au lieu de vendre à la criée. C’est la même chose pour les radios, les télévisions où on paie les câbles, les abonnements pour y avoir accès.

Dernière question, de plus en plus on parle de convention collective pour l’indépendance économique ou financière du journaliste, la convention collective est-elle une panacée ?

Ce n’est pas une panacée mais c’est un outil, un moyen qui permet au journaliste d’avoir des assurances par rapport à son métier. Quand la convention est appliquée, c’est des garanties pour le travailleur mais aussi pour l’employeur parce que la convention collective définit et détermine les droits et devoirs de chaque partie, aussi bien de l’employeur que de l’employé. C’est une convention entre les deux, qui dicte ce que tu dois faire, ce que tu ne dois pas faire, plus ou moins par rapport à ton travail, les droits que tu as et la façon dont il faut les observer. C’est à cela que ça devient une panacée, parce que si on la signe, elle permet de mettre chacun dans ses droits. Donc, pour les journalistes qui n’ont pas référent, ils vont s’en référer, et c’est valable pour les employeurs. On a un document dont on est convenu et qui s’applique au plus grand nombre, toute la corporation. Pour les journalistes, on fait la convention pour eux, non ce n’est pas pour eux seuls, c’est aussi pour les employeurs, car les deux parties ont des devoirs et des droits, des obligations à respecter. C’est un document qui scelle les relations entre les deux parties. S’il n’y a pas de journaliste il n’y a pas d’organe de presse et vice-versa, s’il n’y a pas de patron, le promoteur, le bailleur de fonds, il n’y a pas d’organe de presse non plus. Les deux ont besoin de s’unir. L’organe, s’il existe, c’est dans l’intérêt des deux, les journalistes reçoivent les salaires et puis le promoteur ou le Pdg ou le Directeur, lui aussi a son organe dont il a les retombées économiques, entre autres, qu’il exploite par rapport à sa vie d’entrepreneur ou d’opérateur économique.

Pour finir, la convention collective, c’est pour quand au Mali ?

La convention collective, c’est pour quand au Mali ? En fait, il y a déjà, je n’oserai pas dire un draft, mais il y a un document de convention collective qui est signé, depuis mars 2009, entre les employeurs et les journalistes. Mais tout document même une loi, qui est signée, qui est promulguée si elle n’est pas appliquée ce n’est pas une loi. C’est la même chose. Ce texte a été signé, il est valable, il est paraphé mais s’il n’est pas appliqué, il n’existe pas.

Signé avec les parties prenantes y compris le gouvernement ?

Toutes les parties prenantes y compris le gouvernement. Il y a des ministres qui ont signé, le ministre du travail a signé et un autre ministre. Je crois qu’il y a deux ou trois ministres qui ont signé ça, l’inspection du travail a signé. Toutes les parties qui doivent signer, l’ont signé. Le texte est disponible, j’ai une copie par rapport à cela, donc ce n’est pas un texte caché, mais il faut l’appliquer. Un texte n’existe que quand il est appliqué. Et pour qu’une convention soit appliquée, il faut que les deux parties se lèvent et décident de l’appliquer ou il faut qu’il y ait une partie qui se lève pour exiger que le document soit appliqué. Et cela n’est pas encore le cas chez nous, les gens parlent toujours mais ils ne veulent pas l’appliquer. Mais il faut qu’il y ait quelqu’un qui se lève par rapport à ça. Sinon le document existe bel et bien.

Votre mot de la Fin ?

C’est simplement pour dire encore aux médias maliens, à propos de la convention, que même en dehors de la convention collective, il y a d’autres conventions qu’on peut appliquer. Parce qu’une convention, c’est simplement pour harmoniser les relations entre employés et employeurs. Donc, c’est extrêmement important. La convention la plus proche des journalistes, c’est celle du commerce et que beaucoup emploie déjà. C’est déjà un bon texte, mais il faut qu’on ait un document qu’on applique pour civiliser les relations au sein de nos rédactions. Parce que pour le moment, ce n’est pas le cas.

 Propos recueillis par Boukary Daou à Ouagadougou (Burkina Faso)

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