Sans la plume ni le micro, ils sont nombreux à célébrer en leur manière, la journée mondiale de la liberté de la presse. Ils, ce sont les revendeurs de journaux. Mamadou Kida y exerce depuis l’avènement de la démocratie au Mali.
“On paye de moins en moins les journaux…” Malgré ce temps difficile que son secteur traverse, Mamadou Kida ne se voit pas encore exercer d’autres métiers loin de son étalage à journaux. “Les temps ne sont plus les mêmes, dans les années 94 à 95, nous étions beaucoup branchés à lire, mais maintenant on travaille en grande partie avec l’Etat. L’Etat est un grand mauvais payeur… Nous les acceptons comme ça”, car “nous n’allons jamais négliger notre emploi”, se console-t-il.
10 h passées. Au quartier du fleuve, le soleil commence peu à peu à emporter le vent frais du matin. L’affluence est fluide maintenant devant le kiosque de vente de journaux de Mamadou Kida. Le revendeur profite de ses heures de repos pour voir les nouvelles fraiches traitées dans les journaux du jour. La journée du revendeur a commencé depuis 5 h du matin. Il ne décrochera qu’à 18 h.
Suite aux opérations de déguerpissement de l’ancienne gouverneure du district de Bamako Amy Kane, Mamadou Kida a été recasé de son premier point de vente après près de 25 ans d’occupation. Depuis un moment, la vie reprend son cours normal ou presque. “Ça m’a pris deux ans pour me réinstaller. Maintenant ça va. Nous sommes des commerçants carrément particuliers et des marchandises particulières. Le papier est sollicité par des intellectuels”, dit-il sans terminer sa phrase. L’arrivée d’un client l’interrompe. La commande est vite faite. Il avait mis de côté les journaux de ce dernier. Pas de perte de temps. Il rejoint sa chaise et plonge dans sa lecture. Bien qu’il n’a pas fait d’études supérieures, le revendeur lit et s’exprime aujourd’hui très en français.
Premier contact
Natif de Konza, un village situé à douze km de Konna, région Mopti, Mamadou Kida a quitté son terroir après l’obtention de son diplôme du Certificat d’études primaires (CEP) pour Bamako. Dans la capitale, il n’a pas eu la chance de continuer ses études. Il fallait trouver quelque chose pour joindre les deux bouts. Tantôt porteur de bagage au marché, ouvriers saisonniers à la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT) et agent de pointage de route des Travaux publics, Kida passe par plusieurs petits métiers avant d’embrasser sa passion, revendeur de journaux dans les années 92-93. Tout est parti d’un beau matin. “J’ai vu une jeune dame au bord de la route. Elle était entrain de brandir ces journaux. Elle m’a beaucoup inspiré et c’est là que j’ai pris goût de ce métier”, dit-il avant de donner sa deuxième motivation. “Lire m’intéressait beaucoup, le journalisme aussi. C’était tout le monde qui était dans la voie du cri de la démocratie. Ce métier nous permettait d’être en contact avec ces acteurs et s’informer sur leurs actualités”, se souvient le revendeur nostalgique. Sourire sur les lèvres, il se met aussitôt à citer tous les acteurs de la démocratique et les journalistes. “J’ai tellement de bons souvenirs de ce métier. Jai été inspiré par le journaliste Belco Tamboura de Nouvel horizon. Il a crée son propre journal après l’Observateur”.
Nouvellement venu dans un secteur où la population était assoiffée par le vent de la démocratie, les revendeurs de journaux pouvaient aussi payer cher, mais rien ne pouvait arrêter le désormais nouveau commerçant. “Depuis 5h, nous nous déplacions à pieds et partions prendre nos journaux et nous les mettions sur les axes. Je continuais souvent jusqu’à 00h”.
C’était sans risque ? “Ce n’est pas facile de revendre des journaux si les articles sont menacés et les journalistes aussi. Vous qui détenez ledit produit qui le mettiez sur le marché, il fallait faire attention. Mais nous sommes devenus revendeurs de journaux avec grand cœur, courage et détermination”, témoigne-t-il ému. A l’aise dans la langue de Molière, une langue qu’il maitrise parfaitement maintenant, il ne se laisse pas se déconcentrer par les bruits de moteurs de voiture et engins à deux roues qui prenaient le dessus sur sa voix. Le kiosque est installé au bord de la route. “Le revendeur est l’homme du peuple selon notre formateur. Nous sommes des acteurs incontournables de la scène de la presse. Dans ce métier, j’ai rencontré beaucoup de grandes personnalités du dernier planton du président, aux hommes politiques, aux ministres jusqu’au président lui-même. J’ai rencontré IBK à domicile. Le métier est un art. Celui qui l’exerce doit lire, l’aimer pour bien le faire”, insiste-il en déplorant l’attitude de leurs tous derniers cadets, “plus attirés par le gain facile sans fournir d’efforts”.
D’une rencontre à une autre Kida s’est aussi créé un groupe d’amis autour de son kiosque même si la plupart “préfèrent s’emporter dans de discussions chaudes sur les choix politiques que payer des journaux“.
“Qui ne lit pas à l’école ne pourra pas lire un journal”
M. Sangho, un abonné vient de prendre place à côté du kiosque. De retour au pays après quinze ans de vie dans un pays voisin, l’ingénieur à la retraite a passé des mois à chercher un kiosque d’abonnement avant de venir chez Kida. Un choix qu’il motive. “Kida est conscient. Professionnellement il est sérieux. Il a du respect et de la considération pour ses abonnés”, a témoigné M. Sangho.
Avec quelques années d’expériences acquises, Kida s’est engagé dans un nouvel challenge, organiser le secteur de revendeur de journaux. Aidé par d’autres commerçants, il arrive à mettre en place leur association. Il va assurer la présidence entre 96-2000. L’association va réussir à rassembler tous les distributeurs de journaux à un point fixe. Chaque matin, les revendeurs se donnent rendez-vous désormais là-bas pour s’approvisionner.
Dans sa vie professionnelle, le natif de Konza trouve encore une place pour ses quatre femmes et ses enfants, tous scolarisés. Il n’est pas resté non plus à l’écart de son village. L’éleveur y garde ses troupeaux.
Au-delàs des souvenirs de ces acteurs de la démocratique, de ces années de lutte d’engagements pour valoriser le métier de revendeur de journaux se cache un souhait que « les Maliens se mettent à la lecture et à la recherche “celui qui ne lit pas à l’école ne pourra pas lire un journal à la place”.
Kadiatou Mouyi Doumbia