Directeur de Publication du journal « Le Scorpion », Mahamane Hameye Cissé est également le président de l’Union de la Presse francophone (UPF-Mali) et Coordinateur de l’IDEM-Institut pour la Démocratie et l’Education aux Média-Mali. Le Point focal de TAEF (The African Editor’s Forum) est aussi un acteur privilégié de l’espace médiatique malien et un rédacteur des textes régissant la presse au Mali. A ce titre il est au centre de l’évolution et de la défense de la liberté d’expression au Mali. A l’occasion de la journée internationale de la presse, il livre en exclusivité au Républicain son expertise de la presse malienne.
Le Républicain : Quel est l’état des lieux de la presse malienne aujourd’hui?
L’état des lieux de la presse aujourd’hui n’est pas très reluisant. Elle est marquée par malheureusement assez d’exactions, assez de harcèlements, assez de tortures, d’embastillements. De 2012 à aujourd’hui, ces treize derniers mois ont été physiquement les durs moments que la presse a vécus depuis l’indépendance. Mais en tout cas depuis Mars 91, la presse n’a pas vécu physiquement les péripéties, j’allais dire l’enfer qu’elle a connu cette année Mars 2012 à mars 2013.
Quels sont les éléments qui permettent de faire ce constat ?
D’après la CPJ, il y a eu plus de 62 cas de violations de la liberté de la presse en moins d’un an et ensuite jusqu’au coup d’état nous occupions la 25ème place du classement de Reporters sans frontières et après depuis mars 2012 on se retrouve a la 99ème place donc on n’est descendu de 74 marges. C’est quand même très dur : jamais le Mali n’a connu un tel rang même pendant les pires moments en tout cas du système ATT où on a eu le cas des journalistes qui ont été embastillés pour l’affaire de la maitresse du président. Le Mali ne s’est pas aussi mal classé que cette année. Mais malgré tout ça la presse joue quand même son rôle et ne s’est jamais départie de ce rôle. Parce que c’est ça aussi la grandeur du sacerdoce que nous défendons, notre rôle du relais d’information pour que les populations puissent être informées à tout moment. Nous continuons à revendiquer notre sécurité, à revendiquer de meilleures conditions d’exercice de cette profession, mais on n’a pas été payé sur le coup. En tout cas pendant cette transition vous avez connu le cas de Boukary Daou qui a fait 28 jours de détention. Depuis 1960 aucun journaliste n’a vécu autant de jours dans les liens de l’incarcération. Il a pu se mettre au dessus de ça en résistant, en faisant confiance à la mobilisation et à la solidarité des confrères et à la mobilisation de toute la société civile démocratique et de la presse internationale. Et le clou a été à notre grand bonheur un grand épilogue qui fait que la procédure est totalement nulle. Et la fierté qu’on a d’abord une justice qui a été courageuse qui a pu dire le droit. Donc pour nous, c’est un nouveau départ qui va nous amener peut être vers une relecture des textes, vers plus de sécurité des journalistes, vers plus de respect des journalistes dans l’exercice de leur profession.
Doit-on comprendre que la législation actuelle garantit peu la liberté de la presse au Mali ?
On ne peut pas dire que la législation actuelle garantit la liberté de la presse mais ce qui est essentiel, c’est que la constitution garantit la liberté de la presse, cela est fondamental, c’est la norme des normes. La norme fondamentale qu’est la constitution dans son article 7 garantit la liberté de la presse, la liberté de la presse est reconnue et garantie, elle s’exerce dans les limites de la loi et ça c’est fondamentale. Et tous les textes internationaux que le Mali a ratifiés garantissent la liberté de la presse. Cela veut dire que dans le principe la liberté de la presse est garantie et doit être garantie au Mali. Malheureusement nous n’avons pas une loi qui garantit de manière efficace, de manière battante et effective cette liberté de la presse…
Qu’est ce qui doit changer ?
Les lois sur les nouvelles fausses, c’est des lois déphasées, des lois anachroniques, c’est des lois qui sont inspirées de la loi française de 1881. On est en train d’appliquer une loi du 19ème siècle en plein 21ème siècle. Les notions d’offenses au chef d’Etat sont vides de sens parce qu’en matière pénale pour punir quelqu’un de faute, il faut que la faute soit définie. Il y a beaucoup de choses à revoir dans notre loi, et la principale chose qu’il faut faire c’est de dépénaliser à l’instar du Niger, de la Guinée, du Togo et même de la Côte d’Ivoire, de décriminaliser les délits de presse. Aujourd’hui ce n’est pas de mise dans le système de droit de garder un journaliste en prison dans ce pays parce qu’il a fait un délit. Il y a d’autres manières : on peut l’amender, la prison ce n’est pas sa place. Depuis 2009, à l’ occasion des journées nationales de l’information et de la communication, on avait prévu de la relire, malheureusement on nous a menés en bateau … Dans tous les pays, c’est pendant la transition qu’on est arrivé à avoir les meilleurs textes relatifs à la liberté de la presse, à la liberté d’expression. Je pense que notre transition va se ressaisir et aller vers ça, on peut relire les textes conformément à la lecture que l’ensemble des professionnels réunis en 2009 souhaitaient autour du ministère de la communication pour les journées nationales de l’information et de la communication. On peut relire les textes et les mettre dans le bon sens pour la préservation de la liberté de la presse.
Que pensez-vous de la mise en place d’une structure de veille sur la sécurité des hommes de medias ?
C’est une très bonne idée, moi je me dis que c’est une idée très pertinente et très opportune. Après avoir connu plus de 64 violations de la liberté de presse, d’agressions des journalistes, de tortures des journalistes, de harcèlements de journalistes, d’embastillements des journalistes, il est grand temps qu’on ait, en tout cas au sein de nos associations des structures de veille ou un grand comité de veille pour pouvoir alerter, tirer la sonnette d’alarme. L’ensemble des démocrates, des défenseurs des libertés et des droits humains doivent aller dans ce sens pour soutenir une structure comme ça et je me dis quelle peut aider à être plus solidaires, plus soudés, plus unis. Vous avez vu où, dans l’affaire Boukary, la mobilisation, la solidarité, l’unité, l’union ont pu nous amener. Donc ça doit être un élan qu’on ne doit plus laisser et cette structure de veille va garantir la protection des journalistes non seulement dans leur profession mais aussi dans leur sécurité.
Propos recueillis par
Khadydiatou Sanogo et Ousmane Baba Dramé